62ème anniversaire de la loi abolissant le statut colonial de La Réunion

Pourquoi célébrer le 19 mars comme le 20 Désanm ?

19 mars 2008

Dans le livre “Du rêve à l’action”, paru l’an dernier chez Océan Éditions, on trouve de très nombreuses et riches réflexions de Paul Vergès pouvant aider les Réunionnais qui veulent militer au service de leur peuple. C’est le cas du discours prononcé par le Président de la Région Réunion la veille du 19 mars 2006 dans l’hémicycle du Conseil régional à l’occasion du 60ème anniversaire de la loi Vergès-Lépervanche, qui a aboli le statut colonial de notre pays.

Cette cérémonie s’est déroulée en présence notamment du ministre de l’Outre-Mer et du président de l’Assemblée nationale.

Pour célébrer aujourd’hui le 62ème anniversaire du vote de cette loi, “Témoignages” reprend de larges extraits de ce discours, publié sous le titre : « Fidèles à ce qui animait nos pères dans leur combat libérateur ». Comme le dit Brigitte Croisier, auteure du livre, il est important de marquer tous les ans un tel événement, de même qu’il est important de célébrer tous les ans le 20 décembre 1848, date de l’abolition de l’esclavage à La Réunion. En effet, dit-elle en citant Paul Vergès, « la célébration de la loi du 19 mars est non seulement “un moment fédérateur”, mais aussi une étape pour aller plus loin dans le mouvement de décolonisation ».

« (...) Nous devons constater le caractère fédérateur aujourd’hui de cette loi (du 19 mars 1946 - NDLR), qui a conduit - et ce n’était pas une mince affaire - à un véritable consensus dans ce pays. Je crois que le bilan de nos affrontements fait apparaître que les uns et les autres, dans leurs affrontements mêmes, voulaient atteindre, selon ce qu’ils proclamaient, un même but : l’égalité à La Réunion. Et ce but nous l’avons finalement atteint ensemble sur un mot d’ordre qui lui-même a fédéré tout le monde. Cela méritait d’être souligné et c’est à cela essentiellement que sera consacrée notre séance d’aujourd’hui. (...)

Désir d’égalité

Quand nous regardons l’objectif de 1946 et que nous relisons les débats, il est manifeste que le but de l’ensemble des représentants des quatre « vieilles colonies » était un but d’égalité sociale. Les débats de l’Assemblée le montrent également. L’application de cette réforme fait ressortir les réticences du Ministre des colonies de l’époque, Marius Moutet, qui évoquait le coût financier de ce que représentait l’accession de centaines de milliers d’hommes et de femmes à la qualité de citoyen français et à l’exercice du droit à l’égalité. Constamment ressurgit l’argument du coût financier de la mise en œuvre de ce principe d’égalité. D’où 40 ans, 50 ans de luttes où il n’est pas question de remettre en cause la sincérité des uns et des autres.

Quelles furent les étapes de cette bataille ? Il ne s’agit pas de rejeter toutes les critiques sur l’adversaire et de considérer qu’on avait toutes les qualités. Il s’agit d’essayer de voir historiquement quels étaient les arguments des uns et des autres.

D’un côté, ceux qui étaient pour l’égalité le plus tôt possible et qui se sentaient animés par le mot de Robespierre : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! », celui de l’égalité. De l’autre, ceux qui se voulaient réalistes et qui estimaient qu’il fallait évoluer à travers diverses étapes.

60 ans plus tard, l’égalité sociale est réalisée pratiquement dans tous les domaines. Des retards, des déficits, les caractères spécifiques de La Réunion, sa croissance démographique continuent à faire l’objet d’un débat légitime. Mais chacun peut dire qu’il a participé à la bataille pour arriver à l’égalité sociale des Réunionnais et des Métropolitains, des citoyens de la République Française. C’est un élément considérable dans ce que nous pensons être une analyse historique. (...)

Première partie d’une décolonisation

Mais cette égalité matérielle, cette égalité sociale constitue la revendication de milliards et de milliards d’êtres humains dans le monde. Quand il est question des inégalités entre le Nord et le Sud, du retard existant dans le Sud, celui-ci concerne d’abord le plan social, la santé, le logement, l’eau, l’emploi, les revenus, les communications, etc.

Autrement dit, cette première partie d’une décolonisation, nous pensons l’avoir obtenue, ce qui ne diminue en rien l’importance du traitement de nos spécificités, par exemple notre rythme de croissance nécessaire pour régler le problème de l’emploi, compte tenu de notre transition démographique. Nous pensons qu’il est important, en ce 60ème anniversaire, de dire que dans un mouvement de décolonisation qui a touché le monde entier, en tant que composante historique de ce mouvement, nous avons, nous, atteint notre premier but qui est celui de l’égalité.
Celle-ci est passée d’un caractère théorique à une réalité concrète et pratique, produisant en une ou deux générations un bouleversement de notre société qu’aucun peuple, me semble-t-il, n’a connu. Et nous l’affirmons en ne masquant aucun déficit ni retard. Ce résultat est à mettre au compte de tous les Réunionnais qui, pendant ces 60 ans, se sont battus, au besoin se sont opposés, mais dont la convergence objective des efforts nous a amenés à cette égalité que nous célébrons aujourd’hui.

Comment aller plus loin ?

En ce sens, selon le mot de notre compatriote Raymond Barre, la départementalisation a atteint ses limites en atteignant son but. Il s’agit donc aujourd’hui de voir comment aller plus loin, dans la fidélité à ce qui a été fait, pour que notre pays connaisse un développement durable. Ainsi notre pays apportera sa contribution à l’étape actuelle de remise en cause d’un ordre mondial séculaire, par la défense de sa culture spécifique et de son identité, en lien avec la volonté de s’intégrer, comme en 1946, à une entité étatique plus grande qui est la République Française, intégrée elle-même dans l’Union Européenne.

Cette intégration doit en même temps prendre en compte notre environnement géographique ayant vu l’émergence de peuples devenus indépendants. Comment allons-nous concilier l’histoire et la géographie en étant fidèles à ce qui animait nos pères dans leur combat libérateur ? (...)

Une date aussi grande que le 20 décembre

Le 19 mars 1946 doit donc pouvoir entrer dans la mémoire collective des Réunionnais comme une date historique aussi grande que le 20 décembre 1848.
Prenons l’exemple d’une date importante de la République Française qui nous réunit : le 14 juillet. Cette date symbolique n’a pas été choisie le jour même de l’événement, mais un siècle après, quand le consensus a été réalisé autour de la Troisième République à un moment où il fallait lutter contre les derniers efforts des royalistes. Parce qu’elle symbolise la liberté, l’égalité et la fraternité, cette date de la prise de la Bastille a eu le mérite d’être choisie comme mot d’ordre fédérateur de la cohésion de la Nation française et de l’État français.

Eh bien ! quant à nous, notre combat séculaire, mené d’abord contre l’esclavage, puis l’engagisme, notre combat anticolonialiste est parvenu à une amélioration de la situation matérielle de la population et à l’exercice de ses droits fondamentaux. En effet, dans une situation complexe et spécifique, nous avons réalisé une appropriation réunionnaise d’une partie de la devise républicaine, nous avons donné vie au premier mot d’ordre, jusque-là formel, de la devise républicaine : l’égalité entre tous les citoyens. C’est donc un mot d’ordre historiquement fédérateur qui doit être célébré par tous (...).


« Rassembler pour mieux aller vers d’autres conquêtes »

À la fin de son discours, Paul Vergès a notamment déclaré ceci : « (...) avec une jeunesse qui, demain, prendra les rênes, nous avons à fédérer les générations actuelles dans un même consensus pour célébrer l’égalité de La Réunion. Aujourd’hui, il faut aller plus loin. Dans tous les secteurs de la République, les politiques ou les penseurs proclament qu’une exigence aujourd’hui domine le monde : pas simplement la revendication d’égalité mais aussi celle de l’identité. Devant la mondialisation des échanges, il nous faut défendre notre diversité culturelle, nous sommes pour la mise en commun de toutes nos cultures, nous sommes pour l’universalité, mais nous sommes contre l’uniformité. C’est là une bataille, heureusement, de la République française qui s’est étendue au monde et qui a été sanctionnée par l’UNESCO dans sa “Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles”. Ce sera le couronnement de la décolonisation de La Réunion. (...)

C’est pourquoi, nous souhaitons que, comme le 20 décembre 1848, le 19 mars 1946, qui a commencé par un vote unanime de l’Assemblée Nationale Constituante, puisse être célébré un jour, unanimement, par tout le peuple réunionnais, ce qui montrera sa capacité, lors des grands rendez-vous historiques, à se rassembler pour mieux aller vers d’autres conquêtes ».


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