Il est venu du Port, accompagné de sa femme, pour profiter de cette journée historique qui scelle la reconnaissance aux pères de la départementalisation. Le couple ne cache pas son appartenance au Parti communiste réunionnais. "Moin la zamé foté mon vot", déclare Marcello, qui poursuit : "moin la touzour été kominis. Si lé pou shanzé sa, mi vot pi di-tou".
Travailleur modèle, il a accompli un nombre important de métiers, pour nourrir les siens. "An fèt, mi koné pa kèl travay moin la pa fé", précise-t-il. Planteur, manœuvre maçon, puis maçon, agent à la SIDR, il travaillera jusqu’à l’âge de 65 ans. "Té mank amoin 6 moi po moin gingn mon retrèt. Moin la ral in CES pandan 1 an, san mank 1 èr. Té pa sa la fé v’nir amoin rish, mé moin la travay. Zordi, mi toush mon pansion, mé i fo pèy tout. Nou gingn 500 léro. Kan moin la pèy loiyé, la mitièl, délo, la limièr, na preske pi pou ashèt manzé". Pour ce militant communiste de la première heure, la départementalisation a bien changé les choses, même s’il conserve un regard nostalgique de la vie lontan, bien plus naturelle qu’aujourd’hui.

L’époque de la solidarité

"La vi la guèr mi vé pi voir, parss domoun la pass tro la mizèr pandan la guèr", commence-t-il, avant de parler de son expérience de la départementalisation. Il décrit alors la misère des Réunionnais, qui ne connaîtront une évolution effective qu’à partir de 1949, selon lui. Parlant du blocus de 1940, il raconte : "Pandan la guèr, nou la manz manioc, maï, patate. Luil navé poin. Nou té fé luil pistash. Lontan lo ri, lo pin, kafé, dosèl, té o tiké. Point pou klouté navé poin. Le sèl té fé èk la mèr. Té fé bouy la mèr po gingn ali. É mintnan, nana mikro i koz. Lontan, té batt tanbour po dir aou ousa té vann maï, tousala, é ankor té rasione".
Pour autant, l’évolution s’est faite lente, ce que ne manque pas de noter le militant du PCR. Il raconte que les travailleurs établissaient des caisses de solidarité, où chacun mettait selon ses possibilités, "O-ka ou inn dan la bann navé in problèm". Et de poursuivre : "apré, banna la fé la kèss sékirité sosial. Soman, té tir dirèk dési nout pèy. Kan kontrolèr travay, in zour, la pass La Mare, nou té pa bon èk li pou sa. Mé bon, lavé mèt an plas la kèss sékirité sosial. La nou té plis trankil".
Marcello n’oublie pas de comparer hier et aujourd’hui, sur le plan du travail. "Dan l’tan, manzé navé poin, travay navé. Zordi nana lo shomaz. Mé avan té travay à la min, astèr na bann mashine. Sak i fé pandan 6 moi à la min, in mashine lé kapab fé sa an in-dé zour. Lé diféran", fait-il remarquer.
Loin d’être fataliste, encore moins négatif, il indique que "lontan té bon osi. Larzan, tout té bon. Mintnan lé pli difisil. Larzan sé pi larzan. La po koul anou èk léro là". Et de s’expliquer : "kan ou sar fé komision, ranpli pa out shario, sinon sa nana pou 200, 300 éro po péyé. Lontan avèk 200 fran, nou té manz in moi".

Conditions sanitaires insalubres

À côté de lui, sa femme (73 ans) est toute ouïe. Elle raconte les conditions sanitaires dans lesquelles vivaient les Réunionnais. "Nou té dor desi payass payaz fermé dann goni. Navé lo piss véra, bonpé té malad. Apré la départmantalizasion, la shanzé tousala. Mon papa té plant maï. Nou voiyé pa la mizèr dési manzé. Linz parkont nou lavé poin".
Plus tard dans la matinée, les discours débutent. Tour à tour, sous la présidence de Roland Robert, maire de La Possession, dont les parents furent de fidèles défenseurs de la départementalisation, les orateurs se succèdent, dont le maire de Sainte-Suzanne, Maurice Gironcel, qui accueillait la manifestation. Après le discours d’Élie Hoarau, l’intervention remarquée de Paul Vergès, président de la Région Réunion et député européen. Le couple écoute attentivement. Paul Vergès rappelle notamment les conditions sanitaires dans lesquelles se trouvaient les Réunionnais, notant un taux de mortalité infantile extraordinaire, la persistance de maladies telles que le paludisme, la malaria, la tuberculose, la lèpre, la syphilis. Outre cela demeurait le problème de logement insalubre. "Na dë zénérasion d’sa, navé sirtou bann payot dann shan’n kane", précise Paul Vergès. L’école était quasiment fermée à la population indigente, et on enregistrait un taux d’analphabétisme de plus de 90%, d’autant que les services étaient quasi inexistants. "Navé poin sifizaman de médesin, de farmasien, de transpor", continue le président.
Le couple n’est pas étonné. Il a vécu la dureté de cette époque, et fait partie des résistants qui, malgré l’adversité, le tan margoz, ont lutté pour faire plier un régime colonial. Depuis, et la jeunesse doit le savoir, il importe de "regarder le chemin parcouru" pour que notre pays soit ce qu’il est aujourd’hui.

Bbj