Un des derniers souvenirs que Félix Gauvin garde de Raymond Vergès est lié à un des nombreux procès de presse faits à “Témoignages” : à ses directeurs et directrices délégués tant que Raymond Vergès a été protégé par son immunité de parlementaire, puis à Raymond Vergès lui-même, poursuivi et condamné en juin 1957, un mois avant sa mort. Félix Gauvin l’accompagnait dans l’ancien Palais de justice. Il le revoit descendre un grand escalier de bois. Le gramoun - alors âgé de 75 ans - était accablé et très fatigué et son ami soudain le “voit” basculer en avant. "Les autres n’attendaient que cela, qu’il tombe... Il se serait tué". Sans rien dire, il passe devant et à un moment, ce qu’il avait pressenti arrive. Le vieil homme butte... "Pouf ! sur mon épaule". L’avoir rattrapé ce jour-là est resté un de ses grands moments de bonheur, encore aujourd’hui.
"Le vieux Vergès, je l’aimais tant, comment le laisser tomber !" Les occasions de lui manifester une amitié qui a résisté à tous les coups bas n’ont pas manqué, notamment lors des nombreux épisodes d’une “guerre civile larvée” qui a fait des ravages dans l’île, après la prise de position de la hiérarchie catholique contre le communisme. "Raymond Vergès n’aimait pas qu’on parle mal de la religion. C’est Mgr de Langavant qui a tué la foi des Réunionnais, en ne comprenant pas que le peuple avait besoin d’un changement".
Après la mort de Jean Chatel, élu à la mairie de Saint-Denis en 1946, une nouvelle élection a lieu en 1947. "Il y avait trois partis : Vergès, Salez et Bertrand Rivière (La Montagne). Ollivier, le 1er adjoint, était devenu maire par intérim et des élections arrivent. Ollivier et Vergès faisaient à peu près partie égale, les deux autres devaient les départager."
"Il y a eu dans ces élections une histoire de 25.000 francs, donnés par Mgr Langavant à un candidat pour faire battre Vergès. C’est Isnelle Amelin (1) qui a “rendu” l’argent à Ollivier en plein conseil municipal", se souvient Félix Gauvin.
Lui aussi a eu “son histoire de curé”, mais dans son souvenir, cela n’a que peu à voir avec la politique : les voies des hommes de Dieu sont parfois impénétrables... N’empêche, il a été chassé de l’Église et "maudit à jamais" par le curé de Sainte-Clotilde, à l’époque où il en était l’adjoint spécial. Une histoire de Peppone créole banni par un Don Camillo qu’une paroissienne aurait ensorcelé... Le curé a remis à l’un des fils de Félix Gauvin un petit mot manuscrit pour le père. "Huit ou dix jours avant, il m’avait félicité. Le terrain de l’église appartenait à la commune et je l’avais fait nettoyer par le cantonnier !... Sé pa kroyab !"

Une des grandes déceptions de Félix Gauvin avait été d’être réformé, au moment de la guerre : "Après avoir tué mon corps sur la bicyclette, j’ai été ajourné au conseil de révision". “Trop maigre et mal foutu !” Sé pa kroyab !
Humilié de ne pas pouvoir faire l’armée, il était très admiratif de De Gaulle à ce moment-là. Il l’a été beaucoup moins "après les couillonnades" faites à Giraud (2). Vingt ans plus tard, c’est avec un autre gaulliste, Anatolien Vincent-Dolor, que les communistes chercheront à faire des listes d’union pour tenter de reprendre la municipalité de Saint-Denis.
Après le vol des élections de 1959, où Paul Vergès avait été laissé pour mort sur un coin de trottoir, rue Pasteur, on vote à nouveau à Saint-Denis le 6 novembre 1960. "Monseigneur Langavant lété parti demandé le préfet : “Si i vol pa lélèksion, kissa i pass ?” é le préfet la répond dawar sé lé kominiss. Alors Langavant la fé inn manèv pou anvoyé sé zom sur une liste avèk les kominiss. Lavé Paul Hoarau, Vincent-Dolor (le père)... Vincent-Dolor tèt de list, Henri Lapierre lavé pass dézièm. Apré, le préfet la di riskab kominiss i pass pa. La Langavant i rod domand ses “entristes” retir azot. Vincent-Dolor la refusé retir a li..."
(1) Isnelle Amelin (1907-1994), l’une des camarades de Raymond Vergès depuis toujours, co-fondatrice de l’UFR en 1958. Elle a été conseillère municipale à Saint-Denis dans la majorité municipale élue n 1945, puis très longtemps dans l’opposition, pendant les années de la fraude.
(2) Fait prisonnier dans les Flandres, envoyé en Allemagne, d’où il s’échappe. Membre du Conseil National de la Résistance, il s’est opposé à de Gaulle sur des questions de pouvoir et de conduite de la Résistance et a été évincé du CNR.

En effet, nous célébrons déjà le 20 décembre 1848, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage qui a permis à plus de 60.000 esclaves de sortir de leur statut d’objet, et d’être, enfin, reconnus comme des êtres humains.

Extrait de “Nou lé pa plus. Nou lé pa moin. Rèspèk a nou :
Amplifions l’Appel pour que le 19 mars soit une date commémorative”, déclaration adoptée à l’unanimité par 1.200 vétérans réunis le 12 février à Sainte-Suzanne.