Témoignages témoins d’une année de commémoration pour le 19 mars 1946

18 novembre 2006

Parmi toutes les dates qui jalonnent l’année 2006, le 19 novembre marque un acte important : le 19 novembre 2005, soit quatre mois avant le soixantième anniversaire de la loi du 19 mars 1946, plusieurs Réunionnais se sont constituées en comité et ont décidé de lancer l’appel pour que le 19 mars soit, comme le 20 décembre, déclaré jour férié....

TÉMOIGNAGES,

publié dans l’édition du 24 novembre 2005

[Il y eut] d’abord l’abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848...
Cette date est célébrée chaque 20 décembre depuis 1982.
Ainsi, il y a 157 ans, cette abolition a permis à des dizaines de milliers d’esclaves de sortir de leur statut d’objet, et de voir reconnue leur qualité d’êtres humains.
 Toutefois, l’héritage du régime esclavagiste a continué à peser sur le plan social.
Discrimination et ségrégation raciale, régime de l’engagisme, maintien de la structure foncière et domination des grands propriétaires ont continué de reproduire les schémas hérités de l’ordre esclavagiste du fait du statut colonial.
Cette situation a perduré près d’un siècle.
....Ensuite, l’abolition du statut colonial par la loi du 19 mars 1946.
Quatre-vingt dix-huit ans après l’abolition de l’esclavage, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, auteurs de la loi du 19 mars 1946, ont voulu sortir notre île de son sous-développement, de sa misère sur tous les plans. Ils y sont parvenus en faisant voter - à l’unanimité de l’Assemblée constituante - la fin du statut de colonie. 
Les Réunionnais ont dû mener une lutte longue et difficile pour la mise en application de cette loi.
 À Paris comme à La Réunion, certains cercles influents ont empêché pendant des décennies, que le droit à l’égalité, au cœur de la loi du 19 mars 1946, soit reconnu aux Réunionnais. 
Ils ont même légiféré à ce sujet. (...) Chacun peut le constater, la loi du 19 Mars 1946 a ouvert la voie à une transformation radicale de l’île en modifiant profondément ses structures économiques et sociales, en lui donnant les moyens d’éduquer et de former ses jeunes, de soigner sa population et de lui offrir une réelle protection sociale même si, dans tous ces domaines, beaucoup reste à faire.
 Après l’abolition de l’esclavage, l’abolition du statut colonial par la loi du 19 mars 1946 est bien la deuxième plus grande date de l’histoire de La Réunion.


Une aspiration au changement
Publié dans l’édition du vendredi 21 octobre 2005

Il y a au moins un point sur lequel l’ensemble des historiens et des personnes qui se sont penchées sur le cas de La Réunion au sortir de la guerre s’accordent : tous reconnaissent que la situation économique, sociale et sanitaire étai catastrophique. « La Réunion était un territoire profondément sous-développé et sous-alimenté, dont la population, de plus en plus nombreuse, vivait dans l’inertie et la misère, sous la houlette plus ou moins paternaliste d’une bourgeoisie peu habituée à l’effort et accoutumée dès l’enfance à se faire servir », écrit Jean Defos du Rau (1)

Un état lamentable

Aux méfaits du système colonial s’ajoutaient donc l’attitude d’une bourgeoisie locale passive mais aussi les effets de la guerre (d’abord blocus de 39 à 42 puis difficultés de communication et rationnement) et les conséquences du passage sur l’île de cyclones (avril 44, janvier et avril 45) qui sont restés dans les mémoires. (...)

La meilleure solution

La misère était telle que toutes les structures sociales de l’île, de l’Église aux organisations syndicales en passant par les partis progressistes, les associations, la Ligue des Droits de l’Homme, étaient obligées d’inscrire l’organisation d’actions de charité dans leurs programmes.
Les conditions sanitaires étaient déplorables. (...) La transformation de la colonie en département apparaissait comme la meilleure solution. Elle aurait permis d’apporter à l’île les investissements dont elle a besoin et à la population la couverture sociale et médiale qu’elle réclame. Porteurs de ses aspirations populaires, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche décidèrent de déposer auprès de l’Assemblée Constituante la proposition visant à transformer La Réunion en un département. L’adoption de la loi du 19 mars 46 allait transformer radicalement La Réunion. (...)

(1) “Île de La Réunion - Étude de géographie humaine” publié en 1960 par L’Institut de Géographie de la Faculté des Lettres de Bordeaux.


APPEL DE L’ALLIANCE

Soutien à l’appel du 60ème anniversaire de la loi du 19 mars 1946
Publié dans l’édition du samedi 10 décembre 2005

L’Alliance se félicite de la création d’un comité pour la célébration de la loi du 19 mars 1946.
Pour les membres de l’Alliance, il convient de donner toute son importance à cet événement majeur de l’histoire de l’île.
C’est l’opportunité aussi de rappeler aux hommes et aux femmes de ce pays l’impérieuse nécessité de connaître leur histoire, ses grandes étapes fondatrices, les Hommes qui l’ont façonnée et les luttes qui l’ont jalonnée.
La Loi portant abolition du statut colonial votée 98 ans après celle de 1848 mettant fin au système esclavagisme fait partie de ces repères qui fondent la société réunionnaise et construisent son identité.
Pour l’Alliance, cet anniversaire est l’affaire de tous : élus locaux, militants associatifs et culturels, intellectuels, acteurs économiques. Il est de la responsabilité de toutes les forces vives du département de se mobiliser autour de cette commémoration afin de lui donner l’éclat qui convient.


RASSEMBLEMENT DES VÉTÉRANS DU P.C.R. POUR LES 60 ANS DE LA LOI VERGÈS - LÉPERVANCHE

Paul Vergès : "Un jour, on fêtera le 19 mars comme le 20 décembre"
Publié dans l’édition du lundi 13 février 2006

TOUT au long de son intervention hier matin, le Président du Conseil Régional a souligné la continuité du combat mené nos ancêtres pour l’abolition de l’esclavage puis celui pour le statut de département et aujourd’hui celui pour un développement durable et solidaire de La Réunion. Dans toutes ces luttes pour l’égalité, les avancées passent par le rassemblement le plus large des Réunionnais, a insisté Paul Vergès.
« (...) Le drapeau a été transmis de génération en génération et la mémoire de cette histoire joue un rôle considérable dans la construction de notre avenir », a déclaré Paul Vergès. (...)

Rassembler la population

Et le président de l’Alliance d’insister sur l’importance de l’union des Réunionnais pour relever les défis qui les attendent : « L’idée de Raymond Vergès en créant le CRADS était de rassembler au maximum la population pour répondre aux besoins de La Réunion. C’est également le but de l’Alliance, qui ne repousse personne ».
Dans cet esprit, Paul Vergès revenait sur la continuité entre l’abolition de l’esclavage en 1848 et celle du statut de colonie en 1946 : « Le 20 décembre fut une victoire extraordinaire sur le plan civil, pour le respect de la dignité humaine et pour le respect des droits humains. Mais sur le plan matériel, social, c’était toujours le régime colonial. (...) C’est la force rassemblée des Réunionnais qui a permis une transformation radicale de la société réunionnaise. (...) En dehors de l’accès des esclaves au statut de personnes libres, les conséquences de la loi du 19 mars 1946 furent beaucoup plus grandes que celles de l’abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848 ».
«  La plus grande faute... (...) ajoutait Paul Vergès, d’un dirigeant ou d’un élu communiste c’est d’oublier tout ce qu’ils doivent aux générations passées. Nous ne sommes pas des orphelins nés de parents inconnus. Et lorsque récemment, en notre présence, le chef de l’État a rendu hommage aux chefs marrons Simandèf et Dimitile comme libérateurs de La Réunion, la légitimité de notre combat en était renforcée ».
(...) « Partout des humains se lèvent pour l’égalité et pour le respect de leur culture. Et avec tous les peuples de la Terre nous disons : nous c’est nous, rèspèkt anou. C’est pourquoi, un jour, on fêtera le 19 mars 1946 comme le 20 décembre 1848, comme la fête réunionnaise de l’égalité, de la solidarité, de la dignité, du respect ».


"Ensemble construisons l’avenir"
Publié dans l’édition du lundi 20 mars 2006 (page 8)

La Réunion a célébré le 60ème anniversaire de sa départementalisation. Le temps fort de cette célébration a été les échanges chargés d’émotion entre Paul Vergès, président du Conseil régional et fondateur du Parti communiste réunionnais (PCR) et Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale et fils de Michel Debré, farouche adversaire du PCR pendant des décennies. « Il faut savoir dépasser le passé et ensemble construire l’avenir » se sont accordés à dire, en substance, les deux hommes.


Un jour, le 19 mars 1946 sera fêté dans la concorde par tous les Réunionnais
Publié dans l’édition du mardi 11 avril 2006

(...) Nous avons la conviction que, comme pour la célébration du 20 décembre 1848, le bon sens finira par l’emporter.
Devant l’importance des défis à relever par La Réunion dans les années à venir, le rassemblement de tous les Réunionnais paraît devoir s’imposer, dans le respect des différences, autour d’un projet partagé. Au point que demain, sur la scène politique, les sectaires devront s’effacer.
Le 19 mars 1946 sera alors fêté dans la joie et la concorde par tous nos compatriotes.

Eugène Rousse


La départementalisation

Le 14 mars 1946 à l’Assemblée Nationale les députés ont voté le classement comme Département français les quatre vieilles colonies de la Guadeloupe de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion. Ce vote, acquis à l’unanimité, a fait l’objet de la loi qui a été promulguée le 19 mars 1946 et connue à La Réunion sous les noms de Raymond Vergès et Léon de Lépervanche.
C’était le résultat heureux d’une revendication maintes fois réclamée. À ce sujet, il est bon de rappeler ces faits antérieurs.
Le 20 octobre 1936 au cours d’une Assemblée Générale du puissant syndicat général du personnel du CPR, de Lépervanche déclarait : « Il faut que les travailleurs de la Colonie soient traités sur un plan d’égalité avec ceux de France ». Les syndiqués ont réagi par acclamation “La Réunion Département Français”.
Le 11 novembre de la même année un grand défilé des travailleurs s’est déroulé dans les rues de Saint-Denis. En tête de cette manifestation était déployée une grande pancarte sur laquelle était inscrite en grosses lettres “Réunion département français”. Ceci au grand désarroi de la droite ultra qui avait tenté vainement de perturber ce grand mouvement des travailleurs.
En 1946 pour les élections à l’Assemblée constituante toute la campagne a été menée avec le mot d’ordre : “Réunion département français” par le docteur Vergès et le syndicaliste de Lépervanche qui furent brillamment élus députés. En France, c’est aussi une majorité de gauche et d’extrême gauche qui fut élue à la chambre des députés. Par leurs actions au Parlement les deux représentants de La Réunion ont été les promoteurs de la a transformation de la Colonie de La Réunion en département français. Il est nécessaire de préciser qu’il y a eu aussi la collaboration des représentants des trois autres vieilles colonies qui ont été également transformées en département. Il est également bon de mentionner que c’est aussi grâce que c’est aussi grâce à la grosse majorité des députés de gauche à l’Assemblée que ce résultat fut obtenu.
Cette nouvelle a eu un grand retentissement dans l’île. C’était le moment tant attendu pour une amélioration de la situation sociale de toute la classe prolétarienne. Le soir un grand défilé a été organisé à Saint-Denis et aussi à Saint-Louis. Au Port, l’apothéose a été atteinte le 1er mai avec l’arrivée de Léon de Lépervanche. Mais par la suite de cette expérience s’est transformée peu à peu en déception. En effet en France comme à La Réunion une grosse majorité d’hommes politiques de droite avaient collaboré au régime de Pétain.
Après la victoire, avec la fin de la guerre, ces collaborateurs hésitèrent à se présenter à des élections. Mais cette léthargie des réactionnaires n’a pas duré longtemps. Dès que l’Assemblée constituante avait achevé son travail, elle fut dissoute. Dans le cadre de la nouvelle constitution de nouvelles élections furent organisées pour une nouvelle Assemblée Nationale. C’est à ce moment que les hommes de droite et d’extrême droite se lancèrent à nouveau dans la politique.
À Saint-Denis, le Docteur Vergès était le maire. À la suite d’un tragique incident, le Conseil municipal de cette ville fut dissoute et une délégation spéciale, favorable à la droite, fut installée pour la gestion de la commune. Cet événement fut exploité à fond pour influencer la population, il y eut aussi de l’argent distribué. À l’élection municipale, c’est la droite qui reprend la mairie. Aux élections législatives ce sont également les anti-départementalistes qui ont été proclamés élus. Les conséquences de ces changements ne tardèrent pas à se faire sentir. Les quatre nouveaux départements, sauf mention spéciale fut abandonné. Dorénavant ils ne pouvaient être appliqués que si c’était mentionné étendu aux DOM.

En décembre 1948 on a commencé par la Sécurité sociale mais uniquement pour la branche maladie. Ce qui a eu pour conséquence une diminution des salaires avec la réduction de 4% au profit de l’assurance maladie au moment des fêtes de fin d’année. Le patronat a profité de cette occasion pour mener une propagande contre la Sécurité Sociale car ils étaient contre. Il a encouragé des manifestations d’opposition qui ont été parfois violentes.
Avec l’intégration des fonctionnaires, la classe ouvrière a été divisée et le mouvement syndical affaibli. Les fonctionnaires qui constituaient les cadres syndicaux ont été amenés à s’affilier aux syndicats nationaux des différentes administrations centrales.
La situation du prolétariat, non seulement ne s’améliora pas, mais régressa. C’est à cette période que commença la répression dans le travail et la fraude électorale généralisée. La droite patronale qui était anti-départementaliste au départ était devenue le défenseur de cette sorte de département. Elle était opposée à tous les avantages sociaux.
Le Parti communiste lança le mot d’ordre d’autonomie pour l’application de tous les avantages sociaux. Cette orientation s’est amplifiée au fur et à mesure. La grande majorité des salariés s’était ralliée à cette idée. Il y eu aussi quelques personnes de la classe moyenne favorables à l’autonomie. Le parti politique a vu son influence augmentée. Parallèlement les luttes revendicatives loin de cesser continuèrent fermement. Certes il y a eu des victimes avec les licenciements, les arrestations, les morts, l’ordonnance d’expulsion des fonctionnaires progressistes. Malgré tout, les syndicats n’ont jamais cessé de revendiquer pendant ces 60 ans écoulés.
Si aujourd’hui le monde du travail, les retraites, les familles, l’éducation, les libertés connaissent une situation nouvelle et avantageuse, c’est grâce aux luttes menées par les syndicats. En comparant 1946 et 2006, nous sommes même surpris du grand changement qui a eu lieu et dont le socle a été la loi de classement de La Réunion en département.
Mais reste encore d’autres revendications en suspens. Elles concernent les personnes âgées, les chômeurs, le logement, le transport, les conditions d’existence. Aussi les luttes doivent s’amplifier pour une amélioration dans ces domaines.

Les positions variables de la droite réunionnaise

La droite réunionnaise, avec les sucriers et les propriétaires fonciers, était contre la départementalisation. Ils craignaient que leurs usines et propriétés soient nationalisées. Ce qui du reste s’était passé en France après la guerre pour certaines usines et quelques grosses entreprises de production.
Cette crainte était d’autant plus fondée que le gouverneur Aubert de l’époque représentait le gouvernement de Vichy. De plus ils avaient stocké le sucre, les huiles essentielles, la vanille et d’autres produits pendant toute la période de la guerre et les avaient payés à des prix faibles. Ces produits représentaient à ce moment des fortunes colossales. Ils appréhendaient que de forts impôts soient appliqués sur leurs supers bénéfices. Avec le changement politique survenu quelques temps en France et à La Réunion, l’assurance leur avait été donnée qu’aucun changement n’aurait lieu malgré la loi de départementalisation. Par la suite ces réactionnaires ont participé activement contre toute application des avantages sociaux. Ils se sont alliés aux grosses entreprises métropolitaines pour mieux assurer leurs profits.
Ils sont devenus des départementalistes rétrogrades pour mieux renforcer leurs privilèges. Aussi quand ils déclaraient à tout bout de champ leur patriotisme, c’est uniquement quand ils étaient assurés du maintien de leurs profits et du régime de cette époque.

Fabien Lanave
(article extrait du bulletin d’information édité par l’Association ECHO-DES RETRAITES)

Parti communiste réunionnais PCR

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