Conférence sur « Le parcours exceptionnel d’un jeune Réunionnais Francis Sautron à Madagascar et à La Réunion »

Approfondissons la connaissance de l’histoire commune à La Réunion et Madagascar pour préparer l’avenir

14 février 2019, par Manuel Marchal

A l’initiative de l’association REAGIES, l’Université de La Réunion accueillait hier une conférence intitulée « Le parcours exceptionnel d’un jeune Réunionnais Francis Sautron à Madagascar et à La Réunion ». Elle a permis de mettre en évidence l’importance de mieux connaître l’histoire commune entre les deux pays. C’est ce que met en pratique REAGIES à Madagascar, qui invite à découvrir ce travail d’approfondissement réalisé par des étudiants de Diego-Suarez, ville qui fut dirigée par Francis Sautron sous la bannière de l’Union du peuple malgache, puis de l’AKFM.

Raoul Lucas et Ary Yée Chong Tchi Kan.

Un public plus nombreux que d’habitude avait répondu à l’invitation de l’Université de La Réunion à l’occasion d’une conférence organisée par REAGIES sur le thème « Le parcours exceptionnel d’un jeune Réunionnais Francis Sautron à Madagascar et à La Réunion ». Francis Sautron était un syndicaliste, militant de la cause de l’indépendance de Madagascar puis du Parti communiste réunionnais. Son évocation donne une autre lecture des relations entre les peuples malgaches et réunionnais que celle qui est généralement traduite dans les livres d’histoire.
Après que Simone Yée Chong Tchi Kan, présidente de REAGIES, a souhaité la bienvenue au public et présenté les actions de l’association, sont ensuite intervenu les deux conférenciers : Ary Yée Chong Tchi Kan, secrétaire du PCR aux relations internationales, et Raoul Lucas, professeur à l’Université.

Solidarité entre Malgaches et Réunionnais

Ary Yée Chong Tchi Kan a rappelé qu’en mars 2017 à Madagascar, le PCR était la seule délégation étrangère à participer à la commémoration de la répression par l’armée française de la révolte de 1947 qui fit des dizaines de milliers de victimes. Sa présence à cet événement s’expliquait par une solidarité internationaliste qui est un des fondements du PCR. Une solidarité qui avait été abordée lors d’une autre conférence à l’Université, « La Réunion-Cuba, 2 îles contre l’apartheid ». Ceci avait rappelé que le PCR était un des rares partis invités au centenaire de l’ANC en 2012 en Afrique du Sud.
Ary Yée Chong Tchi Kan a décrit le contexte politique au moment où Francis Sautron arrive à Madagascar. Des fronts demandant l’abolition du statut colonial se constituent à La Réunion, le CRADS, et à Madagascar, le MDRM. Tous deux dominent la vie politique et remportent les élections législatives. Les deux députés de La Réunion de 1945, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, sont membres du CRADS tandis que le MDRM gagne trois députés en 1946. Le MDRM demande l’abrogation de la loi d’annexion de 1896 et la restauration de la liberté. Cet élan est brisé par la répression de la révolte de 1947. La puissance coloniale saisit ce prétexte pour dissoudre le MDRM et condamner ses dirigeants à de lourdes peines de prison. Ceci amena de nouvelles formes de luttes, avec la création du Comité de solidarité de Madagascar en 1950, une solidarité marquée avec les communistes de La Réunion et de France. Gisèle Rabesahala va commencer à jouer un rôle essentiel, notamment dans les relations avec La Réunion et le PCF. Les congrès du Comité de solidarité étaient l’occasion d’affirmer les liens avec les communistes réunionnais, avec les participations de délégations de la section de La Réunion de l’Union des femmes françaises, et de la Fédération communiste de La Réunion. Car les Réunionnais, en particulier leurs parlementaires communistes Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, députés, et Adrien Barret, Conseiller de la République, prenaient la défense à Paris des victimes de la répression de 1947 en demandant l’amnistie pour les prisonniers politiques malgaches.

Francis Sautron syndicaliste à Madagascar

Francis Sautron est alors un jeune militaire engagé dans la France libre en 1944 à 17 ans, envoyé à Madagascar où il sera démobilisé en 1946. Raoul Lucas explique que Francis Sautron y découvre alors un autre système colonial qu’à La Réunion, celui de l’indigénat. Ce système n’accorde des droits qu’à ceux qui sont qualifiés d’Européens, c’est à dire les Réunionnais et les Français, et aucun aux Malgaches, très nombreux à être astreints aux travaux forcés. Cette société était alors divisée en trois, avec pour un travail égal à celui d’un Français, un salaire inférieur versé aux Réunionnais, et encore plus faible aux Malgaches. Francis Sautron travaillait alors à l’arsenal de Diego-Suarez. Il est membre de la CGT et participe au congrès de ce syndicat en 1953, ce qui lui coûte sa révocation bien que sa hiérarchie lui ait accordé une autorisation d’absence. Il est ensuite réintégré quelques mois plus tard. Il tente de syndiquer les Réunionnais et les Malgaches. Mais les syndicats français n’étaient pas au fait de la réalité coloniale. Il a alors fallu dépasser la CGT, et créer un syndicat indépendant de la Confédération, affilié directement à la FSM (Fédération syndicale mondiale).

Francis Sautron maire de Diego-Suarez

Le statut de Madagascar évolue avec la loi-cadre Deferre qui mit fin à l’indigénat et créa une République autonome dans l’Union française. Cette période vit l’émergence de l’Union du peuple malgache (UPM) avec Gisèle Rabesahala et des communistes en 1956, expliqua Ary Yée Chong Tchi Kan. Francis Sautron était membre de ce parti et conduisait une liste aux élections municipales à Diego-Suarez de novembre 1956. Il est alors élu maire à 31 ans. Mais l’opposition refuse de siéger. Saisissant ce prétexte, le gouvernement décide alors de dissoudre la municipalité un mois après son élection. Un nouveau vote est organisé en janvier 1947. Francis Sautron est de nouveau élu, il est communiste, syndicaliste et réclame l’indépendance de Madagascar.
En 1958, la création de l’AKFM élargit l’action de l’UPM en l’intégrant. Aux municipales de 1959, l’AKFM remporte la mairie d’Antananarivo, et celle de Diego-Suarez avec la réélection de Francis Sautron.
Madagascar accède ensuite à l’indépendance en 1960. La République est alors dirigée par Philibert Tsirana, un partisan de maintien de liens étroits avec la France et opposé à l’AKFM. En 1963, Tsirana fait voter une loi précisant que maires et 1er adjoint doivent être de nationalité malgache. Cela empêche Francis Sautron d’être maire, car il avait refusé de changer de nationalité. En 1964, l’opposition remporte l’élection à Diego-Suarez. Estimant sans doute que son travail à Madagascar est accompli depuis l’indépendance du pays, Francis Sautron revient à La Réunion, passe un concours et travaille à la CGSS. Il milite alors à la CGTR et au PCR jusqu’à sa mort.

Histoires croisées entre La Réunion et Madagascar

Pour Raoul Lucas, le parcours de Francis Sautron à Madagascar souligne que la part réunionnaise de l’histoire malgache ne se résume pas à la colonisation et la Sakay. Des Réunionnais se sont engagés aux côtés des Malgaches pour faire changer les choses à Madagascar. La vanille à Madagascar a été importée par les Réunionnais.
La part malgache de l’histoire réunionnaise ne se limite pas au marronnage et au peuplement servile. A la fin de la période de la colonisation, de nombreux malgaches arrivés avec un statut d’engagé. Madagascar a aussi joué un rôle dans la formation des élites réunionnaises. Jusqu’en 1964, un seul lycée, Leconte Delisle, existait à La Réunion. Jusqu’aux années 1960, les mesures prises pour démocratiser l’accès au lycée se sont appliquées dans tous les DOM sauf à La Réunion.
Des Réunionnais qui avaient des moyens, mêmes inspecteurs ou directeurs, voyaient leurs enfants se voir fermer la porte du lycée. Ces parents vont se tourner vers Madagascar. L’établissement le plus connu était le collège de Saint-Michel.

Sur les traces de Francis Sautron du 20 au 28 mars

Ary Yée Chong Tchi Kan évoqua les actions allant dans le sens d’un renforcement des liens avec Madagascar. Les 2 et 3 août 2018 s’est tenu à Antananarivo le premier Forum des îles sous le thème le bon voisinage et la diplomatie des peuples. 150 personnes étaient présentes. La seconde édition aura lieu au milieu de cette année, et portera sur des projets concrets. Le parcours de Francis Sautron devrait inspirer la jeunesse de nos deux pays. En 1997, Francis Sautron a été fait chevalier de l’Ordre du mérite de Madagascar.
Simone Yée Chong Tchi Kan conclut en soulignant que cette conférence est un commencement de la connaissance de notre histoire. « Nous avons fait un pas ensemble sur l’évocation de Francis Sautron. Faisons ces pas ensemble pour valoriser l’histoire de ce jeune Réunionnais ».
Elle invite à découvrir le travail à ce sujet de jeunes étudiants de Diego-Suarez. Ce sera dans le cadre d’une manifestation organisée à Diego-Suarez du 20 au 28 mars. Des places sont encore disponibles. Ceci rappelle que « toutes les actions de REAGIES né bénéficient d’aucune subvention des institutions, tout se fait grâce à la solidarité ».

M.M.

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Messages

  • Mes parents Réunionnais de Palmiste Rouge -cirque de Cilaos- ont du aller vivre à Madagascar dans les années 1938-1939 parce qu’ils ne pouvaient plus nourrir leurs 4 enfants. C’est parce que pauvres qu’ils sont partis à Madagascar et c’est pourquoi je suis né à Soavinandriana, la région du lac Itasy.J’ai vécu toute mon enfance et rejoints La France à 18 ans dans le cadre du BUMIDOM. J’ai gardé de ce pays un attachement très profond. Depuis une dizaine d’ années je m’y rends et essaye d’avoir des actions humanitaires ( avec Le Secours Populaire Français ).J’ai rencontré Gisèle RABESAHALA qui a été mon guide pendant ses trois dernières années.
    J’ai été frappé par ce qu’elle m’a dit sur les Réunionnais à Madagascar. Elle les "divisait" en deux catégories : les bons, les merveilleux, les solidaires et les autres, les profiteurs du sexe, les racistes...Cela fait 10 ans que chaque fois que je peux je me rends dans les villes de Sambava -la capitale de la vanille- à Antalaha à Diego à Tamatave à Antsirabé à La Sakay. Je visite toujours les cimetières et suis toujours surpris du nombre de tombes sur lesquels sont inscrits des noms bien de chez nous. Je ne manque jamais de discuter avec les aînés malgaches,de ce qu’ils retiennent des Réunionnais. Je parle leur langue. Je ne manque pas de rencontrer le consul d’Antsirabe qui connaît bien les Réunionnais.
    Je pense finir de rédiger mes observations après mon prochain séjour en octobre 2019. Que vais-je faire ? Je ne sais pas . Car parfois j’ai envie de vomir quand je vois le comportement de certains de mes compatriotes : les profiteurs du sexe , du sexe de ces adolescentes de 14 ans , 15 ans. Difficiles à supporter . Difficiles à écrire.
    Mes actions humanitaires me permettent de vivre avec des familles pauvres, très pauvres. Ce qui est écrit sur le travail des filles -enfants je le vois à chaque fois.Les paysans qui n’ont rien et qui sont obligés d’envoyer leurs filles ou leurs garçons à travailler comme"bonne" ou "garçon" j’en rencontre à chacun de mes voyages.Lorsqu’une Maman vous explique que sa fille de 15 ans est allée se prostituer c’est parce qu’il n’y a pas d’argent dans la famille. C’est en accord avec sa Maman, son Papa qu’elle va se prostituer.Elle devient la seule source financière. Cela vous "retourne" et vous vous dîtes "et alors qu’est-ce que tu fais ",
    Si vous acceptez je pourrais vous relater d’autres exemples mais aussi le rôle que les Malgaches ont joué pour l’économie de La Réunion et combien Madagascar a été une planche de salut pour beaucoup de Réunionnais pauvres.

  • Je suis né dans une case sous tôle au Port et il y avait beaucoup de bidonvilles. Nous étions pauvre mais pas misérable puisque du façon ou d’une autre on mangeait pour calmer sa faim. Dans la cours de notre grand mère, les fruits : papayes, goyave, mangues...etc compensaient le manque de denrées alimentaires que nos parents ne pouvaient acheter . En 1980, dans le cadre de mon stage en entreprise, j’étais amené à rencontrer des gens hébergés dans un bidonville à Saint-Denis ( la belle et grande ville du chef lieu ). J’ai vu des personnes vivant dans des conditions inhumaines. Voir et sentir la misère cela vous déchire les triples. J’étais bouleversé. Ma conscience d’être humain avait pris une grosse claque. Quelques mois plus tard c’était à l’Hermitage, proche de l’ancienne route nationale. Un couple, dont la femme devait accoucher vivait sous un tas de feuille de tôle dans des conditions d’hygiène déplorable. Tu quittes les lieux en pleurant parce tu n’as pas de solutions pour venir en aide à ces familles... Actuellement les feuilles de tôle se font rare pour cacher la misère, mais cette misère est camouflée dann béton aussi bien au Chaudron que dans des villes ou la richesse extérieure est de mise. Madagascar , je n’ai jamais mis mes pieds là bas. Au dire des bénévoles de l’association "Enfant du monde" j’aurai du mal à tenir une journée sans craquer.

  • Madame,

    Je suis d’accord avec vous - j’ai vécu à la Réunion pendant 5 ans - mon mari y était professeur d’Histoire et Géographie à Saint-Paul - Nous avons été reçu merveilleusement par les Réunionnais et nous avons adoré leur façon de vivre - beaucoup de pique-nique sur le bord des plages où les enfants de toutes couleurs (cousins très souvent) se mélangeaient. Mon marie et moi avons ramené dans leur famille (deux jeunes, une fois une fille, une fois un garçon) que d’autres jeunes plus âgés avaient laissé à pied sur une des plages. Je peux vous dire que ces deux familles ont le lendemain contacté le principal du Collège et lui dire de bien remercier mon mari. Pour ramener ces enfants, je l’accompagnais toujours…. je voulais que les parents comprennent bien que nous n’étions pas des prédateurs. A l’occasion de notre présence sur l’île de la Réunion, nous avons visité tous les sentiers les WE et nous étions reçu chez l’habitant, toujours de façon charmante…. Nous avons invité nos enfants, nos parents plus lointains et aussi des amis pour leur faire visiter cet île magnifique. A partir de là, nous avons visité Madagascar du Nord au Sud en plusieurs voyages et nous avons été écoeurés à Tananarive de voir - à ce moment-là - c’était des Allemands - comment ils se comportaient avec les jeunes Malgaches ! Je n’ai pas pu m’empêcher de me manifester. On ne profite pas de la pauvreté des gens ! Nous, nous avions, chaque fois, porter beaucoup de choses qui pouvaient leur servir … vêtements divers…. Médicaments que nous avions porté aux Bonnes Sœurs à Tananarive. J’ai maintenant 80 ans et je regrette de ne plus pouvoir aller sur cette magnifique île que je n’oublierais jamais. D’ailleurs, à la Noël, j’ai commandé à Colipays les fruits merveilleux de cette île pour faire profiter mes enfants des mangues….. ananas…. fruits de la Passion. Bien amicalement à tous.


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