Pour la CGPER, le codéveloppement passe par de véritables échanges entre agriculteurs de La Réunion et de Madagascar

CGPER : « La coopération régionale se résumerait-elle à la formation des agriculteurs malagasy ? »

7 août 2023

Suite à la visite du président du Sénat de Madagascar à La Réunion et la proposition émise par des acteurs réunionnais d’aller à Madagascar pour former les agriculteurs de la Grande île, la CGPER souligne que l’époque des colonies est terminée. « Nous pensons qu’il faut instituer des véritables échanges en matière de pratiques agricoles, de respect de notre environnement et que seule cette coopération basée sur la connaissance mutuelle des peuples pourra déboucher sur une « co-opération » équitable », affirme Jean-Michel Moutama, président de la CGPER, dans une tribune adressée ce jour aux médias.

En juin 2023, la Présidente de Région et le Président du Sénat de Madagascar ont partagé leur vision quant à l’importance de la coopération entre La Réunion et Madagascar, fondée sur des liens historiques et géographiques mais également sur les perspectives qui doivent s’ouvrir pour l’avenir.

Cette coopération s’établit notamment sur certains dossiers prioritaires : celui de la francophonie et des échanges humains, notamment dans le cadre de la formation, celui de la sécurité alimentaire, qui illustre tout le potentiel et l’intérêt d’une coopération renforcée entre La Réunion et Madagascar, celui de l’agroécologie puisque les deux îles sont toutes deux des hauts lieux de la biodiversité mondiale, celui de l’Énergie, le Président du Sénat s’étant montré très intéressé par les innovations explorées par La Réunion.
Des pistes de travail avaient été ouvertes. Enfin, cette coopération revêt une dimension culturelle d’autant plus importante en cette année qui sera marquée par la célébration du 360e anniversaire du peuplement de La Réunion.
Ces échanges avaient traduit une volonté louable de promouvoir un codéveloppement mutuellement profitable :
C’est dans un tel contexte que la délégation du président du Sénat revient à La Réunion, avec plusieurs représentants du monde économique de la Grande île.

« Nous avons également à apprendre des agriculteurs malgaches »

Si le contexte est toujours le même, malheureusement les stratégies et les ambitions des uns et des autres se sont affûtées. Nous revoilà donc à rêver du temps jadis ou les techniciens de toutes sortes allaient en remontrer aux paysans malagasy.
Que propose-t-on au président du Sénat malgache ? De former les agriculteurs malgaches, quand ils demandent si clairement d’ouvrir des échanges commerciaux avec La Réunion de manière équitable.
Non, nous ne sommes plus au temps où il faudrait aller former les agriculteurs malgaches alors qu’ils luttent contre les aléas climatiques, l’inorganisation des marchés et surtout la concurrence internationale avec des pays d’où il est plus facile d’exporter vers La Réunion.
Alors que Madagascar est à seulement 800 kilomètres, une heure d’avion et deux nuits de bateau de La Réunion comme le rappelait si justement M. le président du Sénat de Madagascar.
Nous pourrions intervenir pour former les formateurs des agriculteurs malgaches sur la technicité agricole, l’irrigation, la fertilisation ou encore l’environnement, expliquent certains.
Cela suffira-t-il à créer un vrai courant d’échanges entre les agriculteurs réunionnais et les agriculteurs malagasy ?
A les en croire, il suffirait d’envoyer là-bas des techniciens pour former les Malgaches.
Nous revoilà donc à rêver du temps jadis ou les techniciens de toutes sortes allaient en remontrer aux paysans malagasy : les agriculteurs réunionnais apprécieront, eux qui n’ont plus l’occasion, depuis belle lurette, de voir des techniciens venir les conseiller sur leurs exploitations.

« Puisque nous parlons de coopération, pourquoi ne pas imaginer que nous avons également à apprendre des agriculteurs malgaches ? ».
- Sur leur façon de produire, de respecter leur terre et leur environnement,
- En utilisant moins d’intrants chimiques, en respectant les cycles naturels et en produisant ce qu’ils consomment.

La coopération n’est pas « allon mont’ bana Koman i travay »

Non, la coopération n’est pas « allon mont’ bana Koman i travay ». La coopération est affaire de réciprocité et d’humilité, la coopération est une affaire d’équité.
C’est une coopération et une collaboration « gagnant-gagnant » qui est vivement souhaitée par les représentants de la Grande île.
Ils produisent du riz à moins de 800 km de chez nous et nous importons le riz d’inde, d’Asie et de France.
Ils manquent d’eau dans certaines régions et nous proposons de former les agriculteurs malgaches à une agriculture intensive, image d’un passé pas si lointain ou nous excellons à piller les ressources de la terre et notamment l’eau si précieuse à la vie…
Ils ont des terres et nous rêvons d’y aller s’installer.
En 1977, la formidable expérience de la Sakay a pris fin douloureusement avec l’expulsion des agriculteurs réunionnais installés sur les hauts plateaux de Madagascar pendant un quart de siècle. Quelques 46 ans plus tard, nous n’avons toujours pas tiré les leçons de l’histoire, « assé envoy’ des lamontrèr » en coopération.

Mettre en place à Madagascar des plans de production avec les agriculteurs malgaches

A la CGPER, nous pensons que les agriculteurs de tous les pays, méritent mieux que l’on pense d’eux qu’ils ont besoin de « lamontrèr »… Ils sont toujours l’un des métiers les plus confrontés aux aléas climatiques et subissent d’ores et déjà la pression d’un changement climatique bien installé.
Nous pensons qu’il faut instituer des véritables échanges en matière de pratiques agricoles, de respect de notre environnement et que seule cette coopération basée sur la connaissance mutuelle des peuples pourra déboucher sur une « co-opération » équitable.
Comment établir les relations directement en amont avec les producteurs malgaches pour servir à la fois les agriculteurs de la Réunion et de Madagascar, les éleveurs indépendants de La Réunion et les intérêts des filières coopératives ?
La question reste posée mais il ne faut surtout pas choisir la voie de la facilité en proposant d’aller former les agriculteurs malagasy !
Pourquoi ne pas voir au-delà et proposer de mettre en place à Madagascar des plans de production avec les agriculteurs malgaches ?
Ce qui aurait également effet de stabiliser les prix et de permettre à la fois aux indépendants de La Réunion et à la coopération réunionnaise d’être le réseau d’écoulement de cette production.

« Penser autrement le monde agricole »

« L’imagination au pouvoir » scandaient les jeunes en Mai 68, ils traduisaient là une volonté de changement, de faire autrement, d’imaginer un autre monde, d’autres relations.
Manifestement ce n’est pas le cas lorsqu’on préconise toujours les mêmes médicaments dont on sait qu’ils n’ont aucun effet sur la maladie qui affecte le malade.
Non, il nous faut penser autrement le monde agricole, il nous faut penser autrement la relation entre les agriculteurs réunionnais et les agriculteurs malagasy, il nous faut penser d’autres réponses à la demande de nos voisins et cousins malgaches.
Ils souhaitent pouvoir répondre à des attentes communes et vous leur proposez toujours les mêmes poncifs de la pensée unique « Nous allons les former »,
Nos agriculteurs malagasy et réunionnais méritent mieux… de ceux qui prétendent organiser et encadrer la production agricole.

Jean Michel Moutama
Président de la CGPER

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Messages

  • Les collectivités territoriales Françaises ( communes , groupements de communes , départements et régions ) peuvent signer des conventions de coopération économique et sociale avec des états étranger dans les conditions fixées par la loi française.
    Rien ne s’oppose donc à ce que les collectivités territoriales de la Réunion passent des conventions avec un Etat étranger de la région ou d’ailleurs , pour promouvoir leur développement mutuel , mais pour ce faire elles doivent toujours respecter la loi française et doivent recueillir préalablement l’accord de leur représentant de l’Etat (pour ce qui nous concerne celui de notre préfet de Région) avant de s’engager .
    On peut bien entendu souhaiter l’institution de partenariats gagnant-gagnant entre les réunionnais et les malgaches et peut être aussi les autres états frontaliers de notre région géographique, mais l’Etat Français a également son rôle à jouer dans la négociation des termes de ces accords de partenariat .

    En attendant que nous puissions adapter à notre situation spécifique les lois françaises , dont font partie intégrantes les règlements de la Commission européenne, lorsque l’alinéa 5 de l’article 73 de notre constitution sera supprimé, ces accords de coopération régionale organisant un partenariat gagnant -gagnant ne pourront pas comprendre des dispositions dérogatoires à nos lois sans un accord de notre gouvernement ou de nos parlementaires .

    Evidement nous ne sommes plus à l’époque des colonies, mais En l’état actuel de notre législation, un engagement d’achat exclusif de notre riz à Madagascar ne pourrait pas être opposable aux importateurs réunionnais qui pourraient trouver sur le marché mondial des conditions d’achats plus intéressantes que celles qui leur seraient proposées par les malgaches . Et je pense que les malgaches préféreront vendre leur riz selon l’évolution des prix sur le marché international lorsque les prix du marché international seront supérieurs à ceux prévus par un éventuel accord de coopération .

    Comme il est probable que le prix du riz sur le marché international connaisse dans les prochaines années une hausse importante en raison de la diminution des quantités produites suites aux conséquences du réchauffement climatique qui vont continuer de provoquer chaque année des inondations destructrices des plantation de riz un peu partout dans le monde , nous avons à la Réunion intérêt à produire notre riz nous même plutôt que d’être obligés de le payer très cher dans les années futures que l’on achète à Madagascar ou ailleurs .

    Nous avons la terre et le climat qui convient ainsi que l’eau nécessaire pour l’irrigation et bien entendu la main d’oeuvre suffisante pour produire deux récoltes par an . En plus en tant que citoyens européens nous pouvons bénéficier de la garantie de revenu accordée par l’application de la politique agricole commune de l’Union européenne . Pourquoi attendre plus longtemps pour encourager nos agriculteurs à se lancer dans la production de riz ?
    Si l’Etat français et les collectivités territoriales de la Réunion acceptent de les aider financièrement , il ne leur faudrait pas longtemps produire les 60000 tonnes de riz dont nous avons besoin et disposer d’un surplus non négligeable exportable vers la France hexagonale et l’union européenne qui consomme beaucoup plus de riz qu’elles n’en produisent .
    Ceci d’autant plus que la filière canne connait chaque année des difficultés et n’est plus suffisamment avantageuse ,malgré les aides de l’Etat, pour les petits planteurs dont certains préfèrent déjà abandonner leur exploitation plutôt que de travailler sans pourvoir vivre dignement du fruit de leur travail .

    Le fait que nous puissions produire nous mêmes notre riz ne nous empêche pas de signer un partenariat gagnant - gagnant avec Madagascar . Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire ensemble en nous aidant mutuellement sans pour autant nous mettre dans une situation de dépendance .

  • La loi française interdit aux collectivité territoriales françaises de passer des conventions de coopération avec des Etats étrangers , mais elle les autorise à passer des conventions de coopération avec des collectivités territoriales étrangères dans le même domaines de compétences .

    Par conséquent sauf suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la constitution française qui permettrait à la Réunion d’adapter la loi sur la coopération régionales décentralisée à l’extérieur des frontières européennes à ses spécificités, la Région Réunion ne devrait pas pouvoir signer de conventions gagnant- gagnant avec l’Etat Malgache, mais uniquement avec les collectivités territoriales malgaches ayant des compétences similaires aux siennes et uniquement dans les mêmes domaines de compétences ,et dans la mesures où ces conventions respecteraient les lois françaises et les règlements de la Commission européenne appliquées par la France et notamment les dispositions concernant la politique agricole commune de l’union européenne .

    Dans ces conditions , je ne vois pas comment, dans l’état actuel de notre législation , nous pourrions conclure un engagement qui nous obligerait à acheter notre riz exclusivement à Madagascar au lieu de l’acheter là ou les prix seraient les plus avantageux pour nous après avoir payé les droits de douanes applicables à cette denrée alimentaire .

    Le prix du riz est actuellement en hausse suite aux inondations qui ont détruit de nombreuses rizières en Asie , en Inde et au Pakistan , et comme Madagascar ne pourra nous approvisionner en riz que lorsqu’il en aura produit suffisamment pour alimenter la population malgache ; le mieux pour nous réunionnais serait de produire nous mêmes le riz dont nous avons besoin , ceci d’autant plus que la culture du riz hybride mis au point par la chine permet des rendements de plus de 10 tonnes à l’ha et serait même plus rentable que la canne si on peut produire deux récoltes par an.

    Il ne s’agit pas bien entendu d’abandonner la culture de la canne qui peut être encore très rentables pour les grandes exploitations de plusieurs dizaines d’ha mais de permettre aux petits planteurs qui songent à abandonner leur exploitation qui ne leur fournit plus un revenu décent pour vivre de se reconvertir plutôt que de rester à ne rien faire et de vivre des minimas sociaux et par la même occasion de permettre à tous les réunionnais de parvenir à une certaine autonomie alimentaire pour leur principale nourriture .


Témoignages - 80e année


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