Retour sur la conférence en ligne « Comprendre la situation internationale » du 15 décembre 2024 : Rédacteur en chef de « Témoignages » et enseignant en journalisme à l’Université d’Antananarivo et d’Antsiranana -2-
Contribuer à donner une image positive des Réunionnais à Madagascar pour préparer l’avenir
24 décembre 2024, par
Touristes sexuels ou adeptes de cérémonies pour « jeter le sort », voici comment peuvent être jugés les Réunionnais par les Malgaches sur la base du comportement de nombre d’entre eux à Madagascar. A La Réunion, des Réunionnais traitent les femmes malgaches comme des prostituées ou pensent que les Malgaches sont tous des pauvres que l’on peut acheter. Ces préjugés sont tenaces et sont des obstacles à une large adhésion au co-développement entre La Réunion et Madagascar. Pourtant des Réunionnais ont montré que nos compatriotes sont solidaires des luttes des Malgaches pour faire avancer le pays. Il y eut notamment Paul Dussac et Francis Sautron. A leurs niveaux, des associations comme REAGIES, le PCR et des institutions donnent une image positive des Réunionnais. En partageant mon expérience de journaliste avec des étudiants des Universités d’Antananarivo et d’Antsiranana, je m’inscris dans ce sillage. Avant de réfléchir à une coopération, il est important de savoir comment vit concrètement la population afin de partager des réponses qui peuvent améliorer le quotidien. Ceci contribue à casser le préjugé du Réunionnais colonisateur ou touriste sexuel.
La Réunion et Madagascar sont liées par l’histoire. Les noms des lieux à l’intérieur de notre île rappelle le peuplement malgache, tout comme de nombreux mots dans le créole réunionnais.
Quand La Réunion était colonisée par la France et pas Madagascar, la Grande île était un réservoir de main d’œuvre pour les esclavagistes réunionnais. C’est ainsi que de nombreux Malgaches condamnés à l’esclavage furent déportés dans des plantations où l’espérance de vie n’était que de quelques années.
En 1841, la France acheta Mayotte et ses habitants. Les colonialistes français disposaient d’une base d’invasion bien plus proche que La Réunion. A la même époque, notre île était en crise. Le salariat avait remplacé l’esclavage. De nombreux petits planteurs d’origine européenne étaient ruinés malgré l’indemnisation versée par la France. Il fallait que les regards se tournent ailleurs. Madagascar était alors présenté comme un Eldorado à portée de main. Sa colonisation par des Réunionnais permettrait de faire tomber la pression sociale en offrant aux colons un niveau de vie qu’il n’aurait jamais pu avoir à La Réunion.
Enrichie par l’esclavage, la classe dominante de La Réunion avait ses entrées au plus haut niveau à Paris. De Villèle avait été Premier ministre à l’époque de la royauté en France au début du 19e siècle. François de Mahy était ministre de la Marine à la fin du 19e siècle. Il fut un des acteurs de la décision de la France d’envahir Madagascar en s’appuyant sur les bases coloniales de Mayotte, Nosy Be, Diego Suarez, Sainte-Marie avec La Réunion comme base arrière pour tenter notamment de soigner les nombreux militaires de l’armée coloniale victimes du paludisme.
Les Réunionnais au sommet de la société coloniale juste après les Français
En 1896, le Parlement français vota une loi d’annexion : Madagascar était intégrée à la France, le Royaume de Madagascar était supprimé et la Reine Ranavalona III fut déportée à La Réunion puis elle mourut en Algérie sans avoir eu la possibilité de revoir le pays de ses ancêtres. Paris imposa une nouvelle société organisée en quatre classes. Au sommet se situaient les Français, en deuxième position les Réunionnais, les Malgaches de nationalité française en troisième et l’immense majorité des Malgaches n’ayant pas la nationalité française en quatrième.
La France attribua des terres à des Réunionnais, d’autres intégrèrent la fonction publique. Ayant la nationalité française et se situant en deuxième position juste après les Français dans la société coloniale de classe, les Réunionnais étaient intégrés à l’exploitation des ressources humaines et naturelles de Madagascar.
Tourisme sexuel et autres travers
Les Malgaches avaient conscience de ce rôle des Réunionnais. Cela explique pourquoi l’aventure de la Sakay finit en fiasco. Une fois la 1ere République de Madagascar renversée, un gouvernement lança une révolution marquée par la malgachisation. A cette époque, des Réunionnais avaient construit un important complexe agricole dans la région de la Sakay. Ils n’avaient pas leur place dans la société malgache décolonisée. Ils furent expulsés et leurs biens restèrent là.
Aujourd’hui, nombre de Réunionnais viennent en vacances à Madagascar. Malheureusement, pour nombre d’entre eux, la principale motivation est le tourisme sexuel ou l’organisation de cérémonies cultuelles pour jeter un sort à des ennemis, améliorer sa situation financière ou gagner une élection.
A La Réunion, certains souffrent d’un complexe de supériorité propre au colonisé qui s’ignore. Les femmes malgaches subissent le préjugé d’être des prostituées par exemple. Il n’est pas rare qu’une Malgache soit abordée par un Réunionnais qui lui fait une proposition indécente.
Réunionnais solidaires des luttes de Madagascar
Fort heureusement, tous les Réunionnais n’étaient pas des colonialistes. Certains s’intégrèrent en firent souche en fondant une famille malgache. Il y eut également des Réunionnais qui décidèrent de se mettre au service de la classe la plus exploitée de la société coloniale. Paul Dussac était un riche usinier réunionnais qui dirigeait Stella. Sa sympathie pour les valeurs de la République française — liberté, égalité, fraternité — lui valurent d’être indésirable à La Réunion. Il vécut à Mayotte puis il reçut trois concessions près de Diego Suarez dans le Nord de Madagascar. Au nom de ses principes de communiste, c’est là qu’il décida de soutenir la revendication de la citoyenneté française pour tous les Malgaches, afin d’abolir le Code de l’indigénat qui obligeait à travailler dans des conditions proches de l’esclavage. Il fut un compagnon de route de Jean Ralaimongo, considéré aujourd’hui comme un des héros de la lutte pour le retour à l’indépendance de Madagascar. Paul Dussac fonda plusieurs journaux et fut le secrétaire général du Parti communiste de la région de Madagascar fondé à l’époque du Front populaire. Son engagement lui valurent des années de prison qui entraînèrent sa mort prématurée.
La solidarité continue avec associations et institutions réunionnaises
Après la Seconde guerre mondiale, le Réunionnais Francis Sautron travaillait à l’arsenal de la base navale de Diego Suarez — l’actuelle SECREN — et en tant que syndicaliste, il organisa les travailleurs de Diego Suarez pour créer un syndicat où ils pouvaient militer. Francis Sautron avait une grande popularité, cela lui permit d’être élu maire de Diego-Suarez jusqu’au retour de l’indépendance. L’hôtel de ville d’Antsiranana construit sous son majorat est un de ses héritages. La rue qui relie le port à l’hôtel de ville porte le nom de « Boulevard Francis-Sautron ».
Mais à Madagascar, le souvenir de ces Réunionnais s’est estompé.
L’héritage de cette solidarité est perpétué par les relations entre l’AKFM et le PCR, par les actions d’associations comme REAGIES et la Fondation Abbé Pierre ou des initiatives comme le Forum politique des îles. Au niveau des institutions, la coopération décentralisée contribue à revaloriser l’image des Réunionnais, même si en marge des dérapages liés au tourisme sexuel continuent encore d’exister.
Partager pour casser les préjugés
En choisissant d’enseigner le journalisme dans les Universités d’Antananarivo et d’Antsiranana, j’évoque systématiquement Paul Dussac, journaliste réunionnais défenseur des intérêts du peuple malgache. Je montre également que des Réunionnais agissent dans une démarche de partage pour faire progresser Madagascar. Le fait de choisir de vivre dans les mêmes conditions que le Malgache moyen est également accueilli favorablement. En effet, des étudiants étaient surpris de me croiser dans le bus qui n’est pas manifestement le moyen de transport choisi par des enseignants étrangers de nationalité française en mission.
Car avant de réfléchir à une coopération, il est important de savoir comment vit concrètement la population afin de partager des réponses qui peuvent améliorer le quotidien. Ce co-développement sera en effet indispensable pour que La Réunion puisse être sûre d’échapper dans quelques décennies à un possible retour à la misère, découlant du déclin de la France, pendant que l’Afrique sera devenue un vaste continent émergent débarrassé de l’influence des anciennes puissances coloniales.
Ceci contribue à casser le préjugé du Réunionnais colonisateur ou touriste sexuel.
Lancée en 2022, l’expérience va continuer.
M.M.
Messages
25 décembre 2024, 19:55, par Ahaona
Bonjour
Nou sommes en 2024/2025 : tous les jours, des réunionnais (ou leurs descendants métis avec un père blanc réunionnais) nous démontrent comme au bon vieux temps de la coloniale leurs arrogances et leurs condescendances. Ce n’est pas tout de ressasser les actions de certains Ancêtres que cela blanchit les turpitudes de certains zoreilles dans les rues de Madagascar le soir.