Koudkongn de Raymond Mollard

« Je ne sais quoi de plus grand qu’elle, un dieu ou un navire »

19 mars 2007

On a tant dit et tant écrit sur Maud, que j’aurais eu scrupule à y revenir, mais je m’y décide au nom de cette passion que je partage avec elle : celle du grand large, du vent qui forcit, du foc à border, du “spi” à envoyer (ce que, face au vent, elle n’a jamais dû faire), de l’empannage à surveiller. Eh oui, en matière de navigation, quoique simple roturier de l’hauturière, je suis de ceux qu’ont exalté et qu’exaltent les joies houleuses de la course et de la croisière, et j’ai en mémoire bien des milles lumineux parcourus, en monocoque ou en catamaran, de la Pointe des Galets à Tamatave, de Foulpointe à l’île Sainte-Marie, de La Réunion à Port-Louis, de Saint-Pierre à Tromelin, de Grand-Baie à Saint-Brandon...
Autant dire rien par rapport à ce qu’elle vient d’accomplir. Mais puisqu’une autre femme de génie m’a appris que c’est parfois le “Dieu des petits riens” qui nous fait accéder aux grandes choses, j’essaierai quand même de décrypter les messages qui s’inscrivent dans son sillage.
D’abord son nom : il jaillit de l’Histoire comme un symbole, voire même un programme. C’est en effet (déjà !) celui d’une bataille, et même d’une victoire française. Hélas, s’ils citent encore chichement Bouvines, Marignan ou Austerlitz, nos manuels scolaires ont oublié que c’est à Fontenoy, le 11 mai 1745, que le Maréchal de Saxe, à la tête de l’armée de Louis XV, infligea une franche déculottée aux troupes anglaises. La mémoire de cette journée n’est toutefois pas totalement éteinte, puisqu’en survit une phrase, passée, elle, à la postérité : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! ». Soyons toutefois sans nostalgie : ce n’est vraisemblablement ni sous le signe de la guerre en dentelle, ni sous celui des “boucheries héroïques” dénoncées par Voltaire, que Maud place son goût du combat...
Ce qui, plus sérieusement, ma paraît absolument remarquable et immensément réjouissant, c’est qu’après tout ce qui a été dit, écrit, déclaré, affirmé, révélé, proclamé, détaillé sur son compte, personne aujourd’hui ne serait en mesure de dire quelles sont ses opinions politiques (si elles existent), quelle est sa religion (si elle en a une), quelles sont ses moeurs sexuelles, ses traumatismes infantiles, ses drames intérieurs, ses cheminements philosophiques...
C’est clair : elle est entrée en notoriété sans avoir recouru à aucune des catégories habituelles que le qu’en-dira-t-on officiel offre aux ego hypertrophiés, aucune des voies de gavage médiatiques que la presse people met au service de tant de médiocrités. Elle s’affirme non dans un paraître narcissique, mais dans le simple accomplissement de soi-même, au bout d’un combat dont elle avait elle-même fixé les règles, et qu’en définitive elle remporte d’abord sur elle-même. Et c’est cela, rien que cela, mais tout cela, qu’elle offre en partage aux enfants petits et grands dont elle a soulevé l’enthousiasme, au public qui l’a si chaleureusement soutenue, aux milliers de Réunionnais qui sont venus jeudi l’accueillir au Port comme une amie, une parente, une sœur. Quelqu’un qui nous manquait déjà !...
Elle n’a même pas, quoique c’ eût été parfaitement légitime - et que nous le ressentions comme tel - présenté son exploit comme celui d’une femme : la victoire qu’elle nous a offerte est celle de la détermination, de la volonté, de la persévérance, du courage. De toutes ces qualités qui sont à la fois les plus rares et les plus partagées du monde, auxquelles ni l’histoire, ni la philosophie, ni la science n’ont jamais donné de genre, et qui se sont magnifiquement incarnées en elle comme elles s’incarneront espérons-le dans bien d’autres personnes et bien d’autres exploits.
Pour le reste, qu’elle continue comme elle l’a si bien fait à « protéger son mystère », et puissions-nous de notre côté continuer à le respecter. Puisse-t-elle longtemps encore mettre tout son soin et son courage à nous abreuver d’aventures, à nous faire rêver sans nous faire la leçon, courant de bâbord à tribord comme l’infatigable servante que Saint-Exupéry salue dans Terre des Hommes, qui, dans la grande maison familiale, s’affairait jour et nuit des aiguilles aux armoires, « à réparer la trame de ces nappes d’autel, à ravauder ces voiles de trois-mâts, à servir je ne sais quoi de plus grand qu’elle, un Dieu ou un navire ».


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