Construisons un projet alternatif — 5 —

L’autosuffisance alimentaire grâce au co-développement

6 juillet 2009, par Manuel Marchal

Comment réussir à ne plus dépendre des aléas extérieurs pour se nourrir ? Du 21 au 23 juin 2008, les pays de l’océan Indien ont décidé que l’autosuffisance alimentaire est, avec l’autonomie énergétique, un des deux points sur lesquels des avancées rapides et concrètes peuvent être obtenues.

L’an dernier, le monde a été secoué par des émeutes de la faim. Ces événements dramatiques ont été provoqués par la hausse des prix de produits alimentaires de première nécessité. Cette hausse s’expliquait par une offre insuffisante à la demande pour trois raisons principales : stagnation de la production, changement des habitudes alimentaires et hausse des produits pétroliers.
Tout d’abord, plusieurs grands pays exportateurs de riz comme l’Inde par exemple ont décidé de ne plus fournir les pays étrangers afin de satisfaire la demande de leur marché intérieur. Il s’agit de lutter contre l’inflation provoquée par une forte demande confrontée à une production qui n’augmente plus assez vite. Il est à noter que si la population mondiale a triplé au cours de ces cinquante dernières années, la production de nourriture a été capable de suivre cette tendance. Mais cette course à la production commence à atteindre des limites. Tout d’abord parce que les terres cultivables ont une superficie qui n’est pas extensible à l’infini sous peine de provoquer des dégâts irrémédiables à notre écosystème mondial. Ensuite, les conséquences du réchauffement climatique commencent à se faire sentir, favorisant la canicule, les phénomènes climatiques extrêmes destructeurs et les incendies. Au cours de ces dernières années, un grand pays exportateur de céréales comme l’Australie a été durement touché par une sécheresse sans précédent.

L’impact des changements mondiaux

Une autre explication de cette offre insuffisante sur le plan mondial résulte du changement des habitudes alimentaires à l’intérieur de grands pays émergents. L’élévation du niveau de vie de centaines de millions de personnes, conjuguée à la mondialisation d’un modèle culturel d’alimentation, entraînent un changement dans les comportements alimentaires. En quelques années, c’est une population supérieure à celle de l’Europe qui a les moyens financiers de manger autant de viande et de lait que les Européens ou les Nord-américains. Mais pour répondre à cette nouvelle demande, il faut consacrer davantage de céréales à l’alimentation des animaux. Ce sont autant de produits alimentaires qui ne sont plus destinés à la consommation humaine. D’où une tension qui a eu l’an dernier des conséquences dramatiques. Pour la première fois, le cap du milliard de personnes sous-alimentées a été franchi.
Enfin, la hausse considérable du prix du pétrole l’an passé a amené une conversion massive d’importantes superficies à la fabrication de carburants. Ce choix a diminué la production destinée aux humains, et les prix ont donc augmenté (voir encadré).
Les facteurs qui ont conduit aux émeutes de la faim peuvent encore se reproduire de manière encore plus violente. Tous les pays qui ne sont pas capables de subvenir par eux-mêmes à leurs besoins alimentaires peuvent être touchés par l’impact de la hausse importante du prix des aliments. La Réunion est dans ce cas. Facteur aggravant pour notre île : les aliments que nous importons sont produits à des milliers de kilomètres. Ce qui veut dire que chaque fois que le pétrole augmente, le prix des aliments importés suit la même tendance.

Un développement partagé

La dépendance de La Réunion dans ce domaine est une préoccupation partagée par des peuples qui ont été colonisés. Le colonisateur a en effet imposé une monoculture pour satisfaire les besoins de sa métropole, au détriment des cultures vivrières. Ce qui place les peuples issus de cette colonisation dans une double dépendance (voir encadré).
Persister dans ce modèle, c’est être condamné à payer toujours plus cher pour se nourrir sans avoir la garantie à terme d’avoir accès à des produits alimentaires en cas de grave crise de sous-production chez les pays exportateurs.
En juin 2008, les pays de notre environnement régional ont proposé un projet alternatif : l’autosuffisance alimentaire dans la COI. Sur la base d’une population estimée à 40 millions d’habitants dans quelques dizaines d’années, il s’agit de créer les conditions pour que notre région soit capable de nourrir tous ces habitants. Les participants au séminaire ont proposé de faire de Madagascar le grenier de l’océan Indien en mettant en commun les compétences de tous. Cela permettrait aux habitants de la Grande Île d’en finir avec la famine et d’obtenir des revenus supplémentaires grâce à l’exportation de produits alimentaires, et cela donnerait la possibilité aux quatre autres pays de la COI d’avoir un accès de proximité aux produits alimentaires qu’ils n’arriveraient pas à produire sur leur propre territoire.
Cette stratégie offre une approche totalement différente. Elle marque une rupture avec les séquelles de la colonisation, puisqu’elle fait de tous les peuples de l’océan Indien des partenaires pour un co-développement.

Manuel Marchal


Quand le Sud paie le prix des agro-carburants

Une comparaison a été mainte fois utilisée l’an dernier : un plein d’agro-carburant, c’est une année de nourriture pour un être humain. Ce mot d’ordre n’empêche pas de grands pays exportateurs de nourriture comme l’Europe, les États-Unis ou le Brésil de détourner du foncier agricole uniquement pour planter du carburant. Et chacun de vanter un carburant "vert" qui peut être utilisé par les véhicules à pétrole actuels, et qui présente surtout l’avantage de faire croire qu’il est possible de continuer avec le modèle lancé au début du 20ème siècle aux États-Unis.
Ce qui s’apparente à une tentative désespérée de soutenir à bout de bras un modèle condamné par la disparition inéluctable du pétrole est payé au prix fort par les affamés du monde.


Une double dépendance

La colonisation a considérablement amoindri les capacités de pays entiers à se nourrir par le fruit de leur agriculture. Ce sont en effet les cultures répondant aux besoins des métropoles qui ont été privilégiées par le colonisateur qui avait la mainmise de l’aménagement du territoire de continents entiers. Les choix des colonisateurs ont entrainé des pays vers la spécialisation sur une monoculture : cacao, sucre, palmier…
Aujourd’hui, le prix de ces produits tropicaux est toujours fixé par les Occidentaux, les mêmes Occidentaux qui exportent vers leurs anciennes colonies des produits alimentaires dont ils fixent aussi le prix. Et quand une tension survient, ce sont les plus pauvres qui paient le prix fort dans tous les domaines : famine, crise sociale et crise politique.

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