Délégation d’agriculteurs et de techniciens mauriciens

L’île sœur veut qu’on s’occupe de ses oignons

17 novembre 2004

L’expérience réunionnaise en matière de culture sous irrigation et de production semencière intéresse au plus haut point nos amis mauriciens qui souhaitent la mise en place de partenariats, notamment pour la fourniture de semences, et notamment de l’oignon Véronique...

Quand des agriculteurs parlent à d’autres agriculteurs, ils se comprennent, car ils parlent le même langage : celui de la terre. Une délégation d’une dizaine d’agriculteurs mauriciens, accompagnée de trois techniciens en recherche et développement, séjourne actuellement dans l’île pour s’inspirer de l’expérience réunionnaise en matière de diversification.
Hier, cette délégation s’est rendue successivement à Dos d’Ane, puis dans l’Ouest, sur le périmètre irrigué de l’antenne 4 avant de terminer une journée bien studieuse chez Jean-Bernard Grondin, seul semencier de l’île.

Après les salades de Dos d’Ane, les agriculteurs mauriciens se sont montrés intéressés par les premiers essais de plantation d’oignons menés sur les terres nouvellement irriguées de l’antenne 4.
Rendez-vous chez Marceau Pottigan, jeune agriculteur qui, en quelques années, a transformé des terres en friches, brûlées de soleil, en des parcelles productives sur lesquelles on retrouve de la canne, mais aussi de l’aubergine et de l’oignon.

Mécanisation intégrale

M. Pottigan est également président de la Coopérative agricole de l’Ouest, créée il y a trois ans avec plusieurs agriculteurs de l’Ouest. Là encore, l’expérience réunionnaise intéresse au plus haut point la délégation mauricienne qui rappelle les enjeux : quelque 3.500 hectares seront bientôt irrigués dans le Nord de l’île sœur, dont 700 sont promis à ce que nos voisins appellent “la diversification non sucre” qui se compose essentiellement de maraîchage et d’arboriculture.
"Mais il n’est pas impossible, compte tenu de ce qui se passe ailleurs et des menaces d’importations massives, que nous allions vers une surface plus conséquente", explique un technicien mauricien.
"Là, nous en sommes encore à un stade expérimental, même si nous sommes plutôt avancés, c’est encore modeste", explique le jeune agriculteur à ses visiteurs qui le pressent de questions, en leur présentant une parcelle où, de la plantation à la récolte en passant par le traitement, tout a été pensé pour une mécanisation intégrale.
"De toute façon, quand on pense mécanisation, il faut voir les choses de manière globale", précise Marceau Pottigan. Cela signifie prévoir les espaces pour la circulation des engins agricoles, par exemple pour que Véronique -c’est le nom de la variété d’oignons plantée- puisse s’épanouir et que l’agriculture y trouve son compte.

“Rose Bourbon” avec “Véronique”

Le choix de la variété ne doit rien au hasard : "c’est la variété la plus prisée par les consommateurs, et c’est aussi celle que l’on trouve le plus facilement auprès de la société semencière, qui nous fournit des produits de bonne qualité", poursuit M. Pottiran.
Toutefois, si Véronique est appréciée de manière générale dans la cuisine réunionnaise, elle est un peu forte pour les salades. L’objectif, assure l’agriculteur, est d’arriver à terme à offrir aux consommateurs une palette élargie à plusieurs variétés. C’est dans ce cadre que des parcelles de “Rose Bourbon”, une variété “made in Réunion” seront proposées aux agriculteurs...
Pour l’heure, Véronique se taille la part du lion dans les plantations locales. À raison de 4,5 kg de semences à l’hectare, pour un coût de 500 francs le kilo, l’agriculteur peut espérer un rendement théorique de 25 tonnes/hectares.
"Dans l’absolu, oui. Mais sur le terrain, 15 tonnes à l’hectare, c’est bien", rectifie le producteur. Avec l’irrigation et la mécanisation, deux récoltes annuelles sont envisageables. Mais notre agriculteur préfère y renoncer, pour ne pas épuiser un sol récemment mis en culture et d’un point de vue sanitaire, pour éviter tout risque de maladie.
Alors, il alterne avec de l’aubergine et du haricot. Concernant l’écoulement, Marceau Pottigan assure ne pas connaître de problèmes, "même si on ne vend pas toujours au meilleur prix. Mais l’avantage, avec l’oignon, c’est qu’il se conserve pendant plusieurs mois...".

Après les cultures en plein champ de l’antenne 4, cap à La Possession pour une visite de la ferme semencière de Jean-Bernard Grondin. Là encore, le choix de la visite ne doit rien au hasard. D’abord parce que M. Grondin est l’unique producteur de semences dans l’île. Mais aussi parce que M. Grondin père est très connu dans les milieux agricoles mauriciens. À sa manière, il fut un pionnier de la coopération entre nos deux îles.

Une demande loin d’être satisfaite

D’ailleurs, en faisant les honneurs de son installation, Jean-Bernard Grondin commençait par un hommage à son père : "Ce que vous voyez là, c’est l’aboutissement d’un travail de fond commencé il y a quarante ans, de travaux et d’expériences qui ont abouti en 2002 à la création des Semences de l’océan Indien, sous la forme juridique d’une société civile d’exploitation agricole". La société emploie aujourd’hui quatre personnes dont un technicien qui met la main à la pâte aussi bien pour la commercialisation que pour la partie plantation.
Sur 2,5 hectares à La Possession et 7,5 hectares à Saint-Gilles, Jean-Bernard Grondin produit des semences d’oignon, de haricot, de maïs et de légumes lontan. À terme, la société pourra également proposer des semences de piments, citrouilles et concombre péi.
Mais pour l’heure, c’est l’oignon qui constitue le pivot de l’exploitation, avec une production de 500 à 600 kg par an, écoulée sur le marché local, mais aussi sur l’île Maurice à la coopérative de Belle-Mare. Que ce soit pour le marché local ou pour satisfaire la demande mauricienne, la production de la ferme est nettement insuffisante.

"C’est vrai, nous ne pouvons pas satisfaire la demande. Mais nous n’avons pas assez de surface et il est difficile de trouver des terres"
, déplore Jean-Bernard Grondin. Aux 10 hectares qu’il possède déjà, il faudrait au moins 15 hectares pour répondre aux demandes réunionnaises et mauriciennes. Mais trouver une telle superficie agricole dans l’Ouest ou au pire, dans le Sud, deux régions climatiquement intéressantes pour la production de semences, semble mission impossible...

N’est pas semencier qui veut

Suivant les traces de son père qui n’était pas homme à se laisser démonter face à l’adversité, Jean-Bernard Grondin a tenté une parade : faire produire des semences par des agriculteurs. Expérience plus que mitigée : n’est pas semencier qui veut. Il faut respecter un cahier des charges strict.
Passer d’une logique de production pour la vente à une logique de production de semences est un pas que visiblement les agriculteurs réunionnais ne sont pas encore prêts à franchir. Certes, les mentalités évoluent, mais il y a encore du chemin. En 2004, tirant les leçons de ce demi-échec, Jean-Bernard a alors décidé de se recentrer sur la production de sa propre exploitation.
Mais ce repli ne le satisfait guère, car il sait que le marché est là, que la demande est loin d’être comblée. La visite de la délégation mauricienne, qui n’a pas manqué de se rappeler de l’œuvre accomplie par M. Grondin père, est riche de promesses. Pour Jean-Bernard Hoarau, un partenariat renforcé avec Maurice ne pourrait que permettre à la production semencière réunionnaise d’aller de l’avant.

S. D.


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