De Canton à Foshan

La prospérité chinoise et ses contrastes

20 juin 2005

Fock Yue Lan, née à La Réunion de parents chinois, revient presque tous les ans en Chine depuis 1960. C’est sa deuxième patrie et elle accompagne cette fois-ci les membres des associations de Réunionnais d’origine chinoise dans une visée plus culturelle que familiale. Délégation oblige.

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Lorsque son père, émigré de Shun De, envoie Yue Lan en Chine, à la veille de la révolution de 1949, dans l’espoir de la voir se fixer au pays de ses ancêtres (elle a 18 ans), Yue Lan s’aperçoit assez vite que les conditions de vie sont très dures. Bientôt sa famille lui manque, la révolution maoïste creuse le fossé entre la Chine rêvée par ses parents émigrés et celle qu’elle a sous les yeux. La faim, les restrictions, le travail aux champs, les réunions politiques avec les Gardes rouges. Elle a vingt ans, s’échappe chez un oncle à Hong-Kong et part retrouver ses parents à La Réunion sans même les avertir de son initiative.
Mais les liens n’ont jamais été rompus avec la famille de Shun De, le village d’où viennent pratiquement tous les Réunionnais qui ne sont pas de Meixian, dans la région de Canton. Elle y retournera régulièrement et a été durablement marquée dans sa vie de femme par la Révolution culturelle. "C’étaient des conditions très dures", se souvient-elle. Pas cauchemardesques, parce que cela s’accompagnait de libertés nouvelles, jamais vues par les femmes chinoises, mais vraiment dures.
Devant le pont de l’île de Shamian, ancienne concession française sur la Rivière des Perles, un écriteau interdisait le passage "aux Chinois et aux
chiens"
. "Mao les a tous mis dehors", raconte-t-elle de cette ancienne enclave où se dressent encore aujourd’hui de solides bâtisses à l’architecture soignée, occupées autrefois par les coloniaux et aujourd’hui souvent réservées aux ambassades ou aux administrations.

Amélioration des conditions de vie

Ces images mentales d’une époque révolue font apprécier aux Chinois d’aujourd’hui continentaux ou d’outre-mer l’amélioration des conditions de vie au pays. "On sait vraiment qu’ils vivent mieux aujourd’hui parce que, depuis quelques années, ils n’ont plus besoin de l’argent et des colis que nous leur envoyions. Avant ils manquaient de tout, même d’aiguilles à coudre", se souvient Yue Lan. À près de 65 ans, elle continue de rendre visite à sa famille : une tante de 88 ans à Canton, un cousin de 71 ans, qu’elle retrouve cette fois dans le temple taoïste de Foshan, à moins de trente km au sud-ouest de Canton, le temple des Ancêtres, construit sous la dynastie des Song, il y a environ mille ans et restauré sous la dynastie Qing, au XIXe siècle, après avoir été détruit par un incendie.
Fock Fou Wing, son cousin, aurait bien aimé l’entraîner une fois encore dans la famille, à 30 km de Foshan où, dit-il, tout le monde l’attend. À Foshan, il vit seul depuis la mort de sa femme. Une vie de retraité paisible, depuis 1990. Il avait 55 ans lorsqu’il a quitté son emploi de chauffeur de laboratoire pharmaceutique d’Etat, qui a été privatisé après son départ. "Du temps où il travaillait, son logement lui était offert, puis il a pu l’acheter à un bon prix, environ 12.000 yuan (en valeur d’aujourd’hui, environ 1.200 euros) ; les conditions dépendaient de son ancienneté, de son grade et de son salaire", traduit Yue Lan. "S’il avait été en activité au moment de l’ouverture du capital de son ancienne entreprise, il aurait pu en devenir un actionnaire", poursuit-elle. Il a aujourd’hui une retraite (de mille yuan) qui lui assure un niveau de vie correct et il semble vraiment heureux de revoir sa cousine de La Réunion. Mais cette fois-ci, le temps leur est compté et ils échangent sur le trottoir, devant le temple des Ancêtres, leurs cadeaux de l’amitié. Ils se reverront l’année prochaine, promet-elle.

Artisanat dynamique

À Foshan, l’activité artisanale prédomine très largement : un artisanat d’art dont les salariés vivent plutôt bien eux aussi. Les visites ont été soigneusement préparées. Une halte nous conduit à la fabrique de céramique de Shiwan, une entreprise d’État passée avec la décentralisation sous le contrôle des autorités locales. Les salaires y sont de 1.000 à 1.200 yuan par mois. Rapportés au pouvoir d’achat des Chinois et au coût de la vie, ce sont des salaires moyens, bien au-dessus du salaire minimum de 600 ou de 800 yuan dans le secteur d’État, de 300 yuan pour les ouvriers du privé.
L’entreprise que dirige une jeune femme produit essentiellement pour l’exportation. Elle expédie vers toutes les diasporas chinoises du monde et les China towns, des articles correspondant à des goûts très codifiés et très traditionnels. Les artistes potières ce sont essentiellement des femmes ; elles produisent des statues de personnages mythiques (Guan Di, Mao Tsé Toung), des figurines animalières et des miniatures. L’entreprise vit sans difficulté de ses productions exportées : elle a du mal à suivre le rythme des commandes, dont le carnet est déjà plein pour 2006.
Que représentent pour les Chinois ces salaires qui font trembler ailleurs le monde du travail ? Ceux que nous avons rencontrés expriment leur satisfaction devant des conditions de vie très nettement améliorées, par rapport aux privations et au rationnement de l’avant ouverture.
Le pouvoir d’achat des Chinois est protégé par la politique monétaire de non-réévaluation du yuan. Selon M. Lu, l’accompagnateur touristique de la délégation réunionnaise dépêché par l’agence de voyage, les salariés des entreprises d’État travaillent cinq jours par semaine, sept heures par jour et les salaires vont de 1.200 yuan pour des ouvriers, à 2.500-3.500 yuan pour les cadres et jusqu’à 5.000-7.000 yuan pour les ingénieurs. Un directeur d’entreprise d’État serait payé autour de 10.000 yuan.
Pour les fonctionnaires, les salaires vont de 2.500 yuan à 4.500 pour les salaires moyens et 8.000 pour les plus importants.

Appel au crédit

"Ceux qui ont les salaires les plus bas font, à côté de leur travail rémunéré, des activités diverses d’économie informelle qui leur permettent souvent de doubler leurs revenus", explique Yue Lan. Certains même ne vivent que de leurs activités sur le “marché libre” et parviennent à en vivre assez correctement. "Le kilo de riz ne coûte que 30 yi jiao (ou 30 centimes de yuan ; il faut 100 yi jiao pour faire un yuan - Ndlr)", ajoute-t-elle comme élément de comparaison. Les Chinois font facilement appel au crédit pour s’équiper : pour l’achat d’un frigidaire ou d’un motocycle (coût approximatif : 500 euros), bien que le gouvernement chinois cherche à en réfréner l’usage, trop polluant. Les six banques du pays - quatre d’État et deux privées - concèdent des prêts à quiconque en fait la demande, pourvu que le contractant ait un salaire régulier et une situation, et la Banque de Chine prête à 3%.
Dans ces conditions, on peut comprendre l’aisance relative de ceux qui travaillent, quels que soient leurs niveaux de salaire. De plus, la possibilité de se faire des revenus parallèles doit resserrer certains écarts de salaires.
Mais le chômage fait aussi son apparition et avec lui, des formes de pauvreté voire de mendicité. On voit à Canton des SDF, parfois avec enfants. Selon les Cantonais, il s’agirait de migrants venus du Nord, attirés par la prospérité de la région du Sud et ses grandes villes industrieuses. La migration des ruraux est un phénomène massif qui pose de gros problèmes d’insertion, sans compter celui de la désertification des campagnes.
La situation à Canton ne reflète pas exactement ce que connaissent les travailleurs chinois des autres provinces, moins riches. De plus, même à Canton, les privatisations entraînent des bouleversements dans la politique de logement puisque souvent, les travailleurs des entreprises d’État sont logés par l’entreprise.
Il faut sûrement nuancer l’optimisme des Cantonnais, dont le niveau de richesse régionale excède de beaucoup le PIB moyen du pays. Mais il est le reflet d’un réel dynamisme qui tire tout le pays vers le haut.

P. David


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