L’insurrection malgache de 1947 – 1948 : la lourde responsabilité du gouvernement français -3-

Lamine-Gaye : « à Madagascar la répression a pris la forme d’un assassinat collectif »

6 avril 2017, par Eugène Rousse

Après avoir rappelé que les succès électoraux du MDRM en 1945 et 1946 pouvait laisser croire à une marche pacifique vers la restauration de l’indépendance de Madagascar (voir Témoignages d’hier), la troisième partie de l’article d’Eugène Rousse intitulé « L’insurrection malgache de 1947 – 1948 : la lourde responsabilité du gouvernement français », revient sur les causes de l’insurrection du 29 mars 1947 et la violente répression qui a suivi où la France a utilisé les méthodes barbares que lui avaient fait subir les armées nazies trois ans auparavant. Les inter-titres sont de Témoignages.

Raymond Rakoutoumala, président de l’Association des anciens combattants nationalistes de Moramanga, devant un monument érigé sur une fosse commune où les prisonniers étaient exécutés sur place par l’armée française.

Ce bilan est effectivement calamiteux car, après un demi-siècle de régime colonial, le traitement infligé aux Malgaches est sensiblement le même que celui réservé aux esclaves. Ils sont privés de liberté en raison du « régime de l’indigénat » institué depuis 1904, qui permet « d’emprisonner quiconque déplaît à l’administration » ; en raison aussi du « travail forcé » institué en 1926 et qui rend possible tous les excès. Aux Malgaches sont réservés les travaux pénibles et très mal payés refusés par les immigrants, majoritairement des Réunionnais, dont beaucoup n’aspirent qu’à quitter leur île pour « aller faire fortune à Madagascar ».

Effroyable misère et exploitation coloniale

À partir de novembre 1942, « l’effort de guerre » qui est demandé aux Malgaches se traduit par une aggravation de leurs conditions d’existence. Un seul exemple suffit pour étayer cette affirmation : « l’effort de guerre » oblige les Malgaches à vendre à ‘’l’office du riz’’ la totalité de leur récolte. Pour se procurer cette denrée de base de leur nourriture, ils doivent l’acheter à ‘’l’office’’ plus cher qu’ils ne le vendent. Le Haut-commissaire Marcel de Coppet admettra beaucoup plus tard, le 3 mars 1949, que les sacrifices demandés aux Malgaches « n’étaient pas justifiés par l’effort de guerre. Quant aux prestations, elles perdirent leur caractère d’impôts en nature pour s’apparenter à la corvée ».

De son côté, le président de la République française, Vincent Auriol, se range à l’avis de De Coppet lorsqu’il déclare devant le Conseil des ministres du 9 avril 1947 : « il est impossible de laisser les grandes sociétés… exploiter les indigènes de l’île (de Madagascar) et réaliser les gros bénéfices qu’elles exportent sans rien faire pour le territoire ».

Bref, on peut affirmer sans risque d’erreur qu’à l’origine de l’insurrection malgache de 1947 – 48, il y a l’effroyable misère des autochtones, l’attitude méprisante et brutale de l’administration coloniale française et le comportement de la majorité des colons qui traitent les Malgaches en sous-hommes. À cela s’ajoute évidemment le refus du gouvernement français de dialoguer avec les parlementaires malgaches.

C’est dans un tel contexte qu’éclate l’insurrection dans toute la région orientale de Madagascar.

L’étincelle du 29 mars 1947

Dans la nuit du 29 au 30 mars, ce ne sont pas moins de 2.000 à 3.000 hommes équipés d’un armement rudimentaire qui attaquent le camp militaire de Moramanga, à 110 kilomètres de Tananarive. Ils tuent une partie de la garnison, s’emparent des armes et mettent le feu à la poudrière avant de se replier sur la voie ferrée reliant Tananarive et Tamatave, qu’ils rendent inutilisable. Prenant ensuite la direction de Tamatave, ils font irruption dans les fermes des gros colons et tuent leurs propriétaires. Simultanément, les mêmes scènes se produisent en de nombreux points de l’Est du pays. Les insurgés commettent des sabotages destinés à ralentir la progression des militaires français chargés de les traquer et se rendent rapidement maîtres d’environ un sixième de l’île.

À vrai dire, cette insurrection ne surprend personne. À Tananarive, les plus hautes autorités de l’île avaient été informées par leurs agents de renseignements de la date exacte de la révolte ordonnée par les sociétés secrètes. Ces autorités se sont bien gardées de prendre toutes les mesures qui s’imposaient car l’occasion s’offrait enfin à elles « d’abattre le MDRM » en le rendant responsable de l’insurrection, qui devait faire très officiellement 89.000 victimes du côté des insurgés, 1.900 tués du côté des troupes coloniales (composées essentiellement de tirailleurs sénégalais et algériens) et 550 tués européens, dont 350 militaires. Une telle disproportion s’explique par le fait que les insurgés ne disposaient que de sagaïes, de coupe-coupes, de haches, de pioches et de 250 fusils pris lors des attaques de garnison.

Les horreurs de la répression

Dans les heures qui suivent l’attaque du camp de Moramanga, l’appareil répressif se met en marche dans les régions occupées par les insurgés. On y assiste alors à une répression d’une cruauté absolue. Début août, avec l’arrivée en renfort des parachutistes et de la Légion étrangère, ces régions sont quadrillées par les militaires qui procèdent nuit et jour à des exécutions sommaires, à des scènes de pillages, à l’incendie ou au mitraillage de villages, obligeant les populations à se réfugier dans les forêts. Les immigrés, de leur côté, s’organisent en groupes d’auto-défense, qui tuent systématiquement des otages malgaches.

De toutes ces scènes d’horreur — qui conduisent l’avocat et député sénégalais Lamine-Gaye à déclarer : « à Madagascar la répression a pris la forme d’un assassinat collectif » —, deux méritent d’être relatées.

1) La tuerie de Moramanga, telle qu’elle a été rapportée par des historiens.

« Le 5 mai 1947, avant l’aube, 166 otages sont transférés à la gare d’Ambatondrazaka et enfermés dans trois wagons plombés, affectés d’ordinaire au transport des bestiaux. Le convoi s’ébranle et arrive en début de l’après-midi en gare de Moramanga. Vers minuit, (…) les militaires de garde reçoivent l’ordre de faire feu sur le train (…). Les 71 rescapés de cette tuerie sont aussitôt transférés à la prison de Moramanga où pendant 2 jours ils sont soumis à la question (c’est-à-dire la torture). Reconduits à nouveau dans les wagons et laissés sans nourriture, ils en sont extirpés (…) le jeudi 8 mai dans l’après-midi pour être conduits vers le peloton d’exécution (…). L’ordre d’exécution est signé du général Casseville (…). Les otages sont aussitôt abattus sur le bord d’un charnier où s’empilent leurs cadavres ».

Ce récit a pu être fait grâce à un blessé qui a pu s’échapper du charnier à la faveur de la nuit.

2) La tuerie et les « bombes vivantes » dans un port de la côte Est.

Le 1er avril 1947, un jeune lieutenant venu de la caserne Lambert (La Réunion) est affecté dans un port de la côte Est de Madagascar. Dès son arrivée, il fait procéder au rassemblement d’une centaine de suspects sur une place publique et donne l’ordre d’ouvrir le feu sur ces derniers.

Dans les jours qui suivent, des prisonniers sont largués vivants d’avions survolant le port. Ces « bombes vivantes » ou « démonstratives » seront périodiquement lâchées sur des « villages dissidents » en vue de terroriser les populations.

Ajoutons que les prisons où sont parqués des milliers de suspects s’apparentent à des camps de la mort.

À suivre

Eugène Rousse

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