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Les îles Éparses appartiennent à la République malgache

Libre opinion d’André Oraison, Professeur de droit international public Membre et Conseiller juridique du Mouvement Réunionnais pour la Paix

mercredi 20 novembre 2019, par André Oraison


Au lendemain de l’avis consultatif rendu le 25 février 2019 par la Cour internationale de Justice de La Haye dans l’affaire des îles Chagos qui condamne sévèrement le Royaume-Uni pour avoir décolonisé Maurice de manière irrégulière [1], le Président de la République malgache, Andry Rajoelina, a saisi l’occasion historique qui lui était offerte pour suggérer à la France la constitution d’une commission mixte franco-malgache afin d’aboutir si possible avant le 26 juin 2020 – date du 60e anniversaire de l’indépendance de la Grande Ile – à une « solution consensuelle » sur la question de la restitution des îles Éparses du canal de Mozambique à la République de Madagascar ou, à défaut, à un système de cogestion franco-malgache sur ces îlots [2]. Cette alternative – faut-il dès présent le préciser ? – est tout à fait conforme au compromis politique adopté à l’unanimité par le sommet des chefs d’État ou de Gouvernement des pays membres de la Commission de l’Océan Indien (COI), réuni à Saint-Denis de La Réunion le 3 décembre 1999. Autant dire déjà, sans lire l’avenir dans les boules de cristal ou le marc de café, que c’est la solution souple « cogestion » (dans des domaines qui restent à préciser) qui, au final, semble avoir le plus de chance de l’emporter sur la solution radicale « restitution » [3]. Mais ce n’est pas la solution la plus juste.


Au plan historique, le contentieux territorial franco-malgache est très ancien puisqu’il remonte officiellement à 1972 [4]. Après avoir renoncé à revendiquer le récif de Tromelin en 1978 au profit de l’État mauricien (pour des raisons qui nous paraissent injustifiées), le Gouvernement d’Antananarivo avait recherché une solution négociée pour résoudre le problème posé par les seules îles Éparses du canal de Mozambique. Lors de la réunion d’une première commission mixte franco-malgache, en mars 1979, il avait ainsi été convenu que le sort de ces îlots serait réglé par des négociations diplomatiques bilatérales et non par des instances juridictionnelles internationales, arbitrales ou judiciaires. Mais les démarches entreprises auprès de la France, dès juin 1979, n’ont jamais abouti.

Dans un « Mémoire explicatif » solidement argumenté, joint à une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies le 12 novembre 1979, le représentant permanent de Madagascar auprès de l’Organisation mondiale a alors demandé l’inscription à l’ordre du jour de la 34e session ordinaire de l’Assemblée générale d’un point additionnel, intitulé : « Question des îles malgaches Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India ». Peu après, l’organe plénier des Nations Unies a adopté le 12 décembre 1979, à une très large majorité – par 93 voix contre 7 et 36 abstentions – une résolution 34/91 qui « réaffirme la nécessité de respecter scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un territoire colonial au moment de son accession à l’indépendance » avant d’inviter instamment « le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ».

Pour les juristes internationalistes, cela ne fait aucun doute : bien qu’elle ne soit qu’une recommandation, par définition non contraignante au plan juridique pour la France, la résolution 34/91 devrait néanmoins être respectée par l’ancienne puissance coloniale, dès lors qu’elle est conforme au droit international public contemporain de la décolonisation forgé dans le cadre des Nations Unies.

Contrairement à ce qu’affirme périodiquement le président de la République française, Emmanuel Macron, l’archipel des Glorieuses et les îlots Juan de Nova, Europa et Bassas da India ne sont pas des terres françaises mais bien des territoires malgaches au regard du droit international positif. Le différend franco-malgache sur les îles Éparses du canal de Mozambique apparaît essentiellement comme le procès du décret français du 1er avril 1960. À ce sujet, il convient de préciser qu’avant la fin des négociations relatives à l’accession à la souveraineté de Madagascar qui conduisent aux premiers accords de coopération franco-malgaches, signés le 2 avril 1960, un nouveau statut interne a été conféré in extremis aux îles Éparses du canal de Mozambique et au récif de Tromelin par un décret du 1er avril 1960, « relatif à la situation administrative de certaines îles relevant de la souveraineté de la France ». De surcroît, ce décret – un acte juridique que l’on peut qualifier, sans exagération, de scélérat – a été adopté dans le plus grand secret : il n’a été porté à la connaissance de la partie malgache qu’après le 14 juin 1960 qui est sa date de publication au Journal officiel [5]. Dans son article 1er, cet acte règlementaire français ne donne enfin que de très brèves indications dans une formule qui se veut autant impérative qu’irrévocable : « Les îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India sont placées sous l’autorité du ministre chargé des départements d’outre-mer et des territoires d’outre-mer » [6].

Sur un plan plus panoramique, voici le diagnostic que l’on peut établir sans crainte de se tromper. Un faisceau d’indices démontre que les différents îlots revendiqués par les gouvernements successifs d’Antananarivo, à partir de 1972, ont bien été des territoires étatiques malgaches et plus précisément encore des dépendances naturelles du Royaume souverain de Madagascar jusqu’à son annexion par la France, le 6 août 1896. Il apparaît également que ces terres insulaires ou archipélagiques ont été, par la suite, des dépendances administratives de la Grande Ile jusqu’à l’entrée en vigueur du fort regrettable décret du 1er avril 1960. En réalisant le démembrement du territoire national malgache sans consultation préalable du peuple de Madagascar ou de ses représentants élus et, plus encore, au mépris du principe fondamental de l’intangibilité des frontières coloniales, le décret français du 1er avril 1960 – un acte purement unilatéral émanant de l’ancienne puissance coloniale – déroge aux principes généraux de la succession d’États. On peut de surcroît mettre sérieusement en doute la thèse traditionnelle française selon laquelle la République de Madagascar aurait acquiescé au démembrement de son territoire national. Cette amputation lui a plutôt été imposée par la Puissance administrante à la veille de sa résurrection en tant qu’État souverain, le 26 juin 1960.


[1A. ORAISON, « Chagos : la Cour internationale de Justice condamne le Royaume–Uni », Le Quotidien de La Réunion, mercredi 27 févier 2019, p. 2.

[2F. RAVONY, « Madagascar. Rencontre Rajoelina-Macron. Une année pour régler la question des îles Éparses », Le Quotidien de La Réunion, jeudi 30 mai 2019, p. 31.

[3Lors de sa visite éclair à la Grande Glorieuse le mercredi 23 octobre 2019, Emmanuel Macron n’a nullement donné l’impression de remettre en cause l’appartenance des îles Éparses à la France. Il a en effet annoncé « le classement en réserve naturelle nationale de la Grande Glorieuse », dès 2020. F. BANC, « Grande Glorieuse », Le Quotidien de la Réunion, vendredi 25 octobre 2019, p. 12.

[4A. ORAISON, « Radioscopie critique de la querelle franco-malgache sur les îles Éparses du canal de Mozambique (La succession d’États sur l’archipel des Glorieuses et sur les îlots Juan de Nova, Europa et Bassas da India) », Revue Juridique de l’Océan Indien (RJOI), 2010, numéro 11, p. 147-233.

[5Voir le décret n° 60-555 du 1er avril 1960, « relatif à la situation administrative de certaines îles relevant de la souveraineté de la France », JORF, 14 juin 1960, p. 5343.

[6A. ORAISON, « Radioscopie critique du décret français du 1er avril 1960 (À propos du différend franco-malgache sur les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India) », La Revue Juridique de Madagascar Conseil International (La Revue MCI), 2016, n° 72-73, pages 47 à 57.


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  • Rappelons d’abord que le gouvernement britannique a détaché les îles Chagos de l’île Maurice en 1965, trois ans avant l’indépendance mauricienne (1968), afin d’y installer la base américaine de Diego Garcia. La République mauricienne revendique à présent les Chagos.

    De mon point de vue, la Cour internationale de Justice (CIJ) n’aurait pas dû rendre un avis consultatif sur le différend entre le Royaume-Uni et la République mauricienne, en l’occurrence favorable à celle-ci pour la souveraineté des îles Chagos. On peut maintenant être sûrs que le gouvernement britannique ne portera jamais cette affaire devant la CIJ, du moins s’il veut conserver la souveraineté des Chagos ! L’avis de la CIJ est aussi juridiquement très contestable. L’intangibilité des frontières coloniales (uti possidetis juris) est en effet un principe dont l’application est souvent malaisée. Au nom de ce principe, la République mauricienne va-t-elle ainsi revendiquer les Seychelles, détachées de la colonie mauricienne en 1903 et devenues indépendantes en 1976 ? Il faut par ailleurs signaler que les Chagos n’ont jamais fait partie d’un quelconque État mauricien, inexistant avant la colonisation, se trouvent aussi à 2.000 kilomètres de l’île Maurice !

    L’intangibilité des frontières coloniales est aussi un principe difficilement applicable pour le différend franco-malgache sur la souveraineté des îles du canal de Mozambique. Ce principe était encore mal établi lors du décret français du 1er avril 1960, détachant les îles en question de Madagascar trois mois avant son indépendance. Et comme pour le différend sur les îles Chagos, quelle date faut-il considérer ? Au nom de l’intangibilité des frontières coloniales, le gouvernement malgache va-t-il revendiquer les Comores (détachées de Madagascar en 1946) et les territoires antarctiques (détachés en 1955) ? Ce serait peut-être excessif !

    Le professeur Oraison mentionne par ailleurs la résolution 34/91 (1979) de l’Assemblée générale des Nations Unies, reconnaissant la souveraineté malgache sur ces îles et demandant à la France de les restituer. Sans valeur contraignante, ce sont en fait de simples avis consultatifs analogues à ceux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en France. Comme le gouvernement français par rapport au CESE, les États concernés peuvent suivre les avis de l’Assemblée générale ou ne pas les suivre, sans avoir aucun compte à rendre. Il faut aussi rappeler que l’Assemblée générale est une instance politisée, avec une majorité tiers-mondiste automatique ! Ses résolutions peuvent bien sûr inspirer les juristes internationaux, être une source éventuelle du droit international. Mais elles ne suffisent pas à régler les litiges entre des États, surtout pour la souveraineté territoriale : une question très sensible !

    Le professeur Oraison souligne par ailleurs que les îles en question ont été des dépendances naturelles du Royaume malgache avant sa transformation en colonie française (1897). Ce n’est pas faux, compte tenu de leur proximité géographique et de leur fréquentation par des marins malgaches. Mais le problème essentiel est de savoir si le royaume de Madagascar considérait alors ces îles comme faisant partie de son territoire. Il n’existe aucun document officiel à cet égard ! C’est pour la même raison que Clipperton fut attribuée à la France (1931) par les juristes du roi Victor-Emmanuel III, bien que cette île soit beaucoup plus proche du Mexique que de la Polynésie française : la partie française pouvait alors produire l’acte d’annexion de 1858, alors que la partie mexicaine ne pouvait fournir aucun document officiel avant cette date. Par ailleurs, la continuité juridique entre le Royaume malgache (aboli en 1897) et la République malgache (créée en 1958, indépendante en 1960) n’est pas évidente : le Royaume malgache ne contrôlait pas entièrement l’île de Madagascar.

    Par contre, le professeur Oraison ne mentionne pas un argument juridique imparable pour la souveraineté malgache sur les îles du canal de Mozambique ! Cela s’explique peut-être par sa spécialisation en droit international, non constitutionnel. De 1958 à 1960, la France et Madagascar faisaient toutes deux partie de la Communauté française. Ses attributions étaient mentionnées dans l’article 78 de la Constitution française : politique étrangère, défense, monnaie… La République malgache (créée en 1958) possédait en tout cas la personnalité juridique, et un État membre ne pouvait s’approprier unilatéralement une partie du territoire d’un autre État ! C’est pourtant bien ce que le gouvernement français a fait par le décret du 1er avril 1960, en violant donc sa propre Constitution ! Il a aussi reconnu que ces îles appartenaient à Madagascar (1958-1960).

    Le décret français du 1er avril 1960 aurait été à la rigueur défendable si les îles en question avaient été administrées à partir de Madagascar, selon le principe de la double casquette. Mais dans l’Empire français puis l’Union française (1946-1958), ces fictions juridiques n’avaient aucune utilité ! Les territoires coloniaux ne possédaient pas de personnalité juridique et pouvaient être modifiés à volonté. C’est ainsi que la Haute-Volta (Burkina Faso) fut supprimée en 1932 puis reconstituée en 1947, que les territoires antarctiques ont été rattachés à Madagascar en 1924 puis détachés en 1955. De plus, les îles du canal de Mozambique ont été intégrées à un niveau inférieur et appartenaient à des régions malgaches en 1958, lorsque la République malgache fut créée dans le cadre de la Communauté française.

    S’agissant de l’île Tromelin, elle est bien mentionnée dans le décret français du 1er avril 1960, mais n’a jamais fait partie officiellement de Madagascar. Cette île n’a donc pas à lui être restituée, est par ailleurs revendiquée par la République mauricienne. Quant au récif du Geyser, son appartenance juridique n’était pas bien établie en 1960. Étant un peu plus proche des Comores que des îles Glorieuses, ce récif pourrait être laissé en dehors d’un traité de restitution à Madagascar des îles du canal de Mozambique.

    Je me permets de renvoyer ici à mon essai sur la souveraineté des territoires d’outre-mer français contestés, que l’on pourra ou non juger pertinent : https://www.aht.li/3581231/OUTRE-MER.pdf – Les pages 7-15 concernent les îles du canal de Mozambique, revendiquées par Madagascar. Les pages 12-15 envisagent plus particulièrement l’aspect juridique de la question, proposent aussi une méthode générale pour que Madagascar obtienne la restitution de ces îles. Elles sont surtout importantes pour leurs espaces maritimes : les zones économiques exclusives (ZEE).

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