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Les Réunionnais paient le prix de leur solidarité
Pas d’argent pour les familles d’accueil d’enfants mahorais hospitalisés à La Réunion
vendredi 14 mai 2004
Depuis 4 ans, les familles réunionnaises qui accueillent enfants et adultes de Mayotte en évacuation sanitaire voient leurs indemnités arriver au compte goutte. Lenteur administrative ? Ligne budgétaire de l’aide médicale française mal coordonnée ? Victimes, elles paient le prix de leur dévouement. Leur démarche offre pourtant une alternative aux hôpitaux et permet au gouvernement de faire de conséquentes économies...
En plus de ses deux filles âgées de 10 et 15 ans, Marie-Paule délivre soins et amour à trois jeunes enfants mahorais, soignés dans des hôpitaux réunionnais. Mais les indemnités dues par l’État n’arrivent qu’au compte-goutte. (photo S. L.)
Sept mois d’attente l’année dernière pour que les familles d’accueil réunionnaises perçoivent leurs indemnités journalières ! Ces indemnités sont pourtant nécessaires pour faire face aux besoins élémentaires de leurs pensionnaires et retirer une modique rétribution en échange de leurs services. En début d’année, elles sont montées au créneau.
Accompagnées de la députée Huguette Bello, elles ont enfin pu rencontrer le directeur de la DRASS. Celui-ci a immédiatement signé le transfert de paiement et révisé sa dotation à la hausse, passant de 18,24 à 21,51 euros par jour. Cette petite augmentation accordée en mars n’a cependant pas résolu le problème du paiement au lance-pierre.
Mardi dernier, Serge Tardy, inspecteur principal à la DRASS, nous a assuré avoir reçu le financement du Ministère de la Santé, confirmant ainsi que les familles percevraient leur dû d’ici la semaine prochaine. Il n’a pu cependant justifier les raisons de ces importants retards qui perdurent depuis quatre ans.
Or ces aides aux familles d’accueil sont une nécessité pour que les hôpitaux de La Réunion n’aient pas à puiser dans leur propre budget pour assumer les dépenses de soins des malades de la région, comme ce fut le cas dans le passé. Un profond sentiment d’injustice anime les familles d’accueil. "Bénévol i ve pa dir kouyon !", nous confie Marie-Paule Montpré, mère d’accueil à bout de ressources : "On dit parfois que l’espoir fait vivre les imbéciles mais ce sont nous, les familles d’accueil, les imbéciles de cette histoire".
Travail illégal au service du gouvernement
Voilà deux ans que Marie-Paule et Gérard Montpré se sont portés bénévoles pour accueillir des enfants mahorais. Marie-Paule, poussée par sa fibre maternelle, ne regrette en rien sa démarche, elle déplore seulement de mettre en péril sa propre famille en vivant à crédit. Avec pas moins de 1.000 euros de dettes concédées par son petit commerçant de La Montagne, "c’est la bagarre pour pouvoir nourrir sept personnes tous les jours".
Les financements mensualisés seraient suffisants pour vivre décemment et assumer le coût de cette prise en charge. Ils permettraient à Marie-Paule d’avoir une petite rétribution pour ses services alors que pour l’heure elle estime "travailler pour le gouvernement dans l’illégalité, sans indemnité ni assurance". À son versement, l’argent permet juste de renflouer les caisses du budget familial, de payer crédits et agios.
En plus de ses deux filles âgées de 10 et 15 ans, Marie-Paule délivre soins et amour à trois enfants mahorais. Il y a Wassulat, âgée de 4 ans et atteinte de la mucoviscidose, une maladie très grave qui demande d’ "avoir la tête sur les épaules", avec pas moins de 29 médicaments, deux séances de kiné et trois aérosols par jour. Le corps médical se réjouit des multiples progrès de la petite fille et de la qualité de l’attention et des soins délivrés par Marie-Paule.
Shamaya, 3 ans, ne connaît pas ses parents mais vit avec sa "tatie" depuis deux ans. Déficiente cérébrale, Shamaya est une boule de tendresse qui ne compte pas ses câlins. Enfin, le petit dernier de 15 mois, Ibrahim, est nourri par gastrostomie en attendant de subir une intervention chirurgicale.
C’est Marie-Paule qui assure les soins à domicile et emmène les enfants pour leurs visites à l’hôpital. C’est Marie-Paule qui fait les petites annonces et bénéficie de la solidarité de quartier pour pouvoir vêtir décemment ces enfants qui lui sont confiés avec juste ce qu’ils portent sur eux. C’est Marie-Paule qui paie la coopérative pour Wassulat, récemment scolarisée et non sans mal.
Mais l’amour est plus fort
C’est Marie-Paule qui garde le sourire et la tête haute lorsqu’elle doit demander une rallonge de crédit à son épicière du coin. Cette dernière participe ainsi à cette formidable action de solidarité et de coopération régionale, tout comme la pharmacie et le kinésithérapeute également victimes des retards de paiements de la DRASS. "J’aime ce que je fais, c’est naturel", nous confie Marie-Paule, "ces enfants sont comme les miens et je mets tout mon cœur à les accueillir. Le stress ne vient pas des soins à prodiguer mais bien des sous qui n’arrivent pas".
La famille Montpré se dit la "cinquième roue de la charrette", mais n’est pourtant pas prête à abandonner ses enfants à l’hôpital. "Je suis humaine et je dois être forte pour continuer mon action, même si mes propres enfants ne comprennent pas tous ces sacrifices. Financièrement, c’est très dur, mais demain sera un jour meilleur et je serai récompensée au centuple lorsque ces enfants retourneront guéris dans leurs familles".
Le préfet alerté
L’attitude criante de courage, de générosité et d’amour de la famille Montpré - comme des autres familles d’accueil - souligne un peu plus l’injustice qui leur est faite par l’Administration. Bien loin de chercher à s’enrichir, elles participent activement à la politique de coopération régionale et offrent le cadre familial indispensable à la stabilité de ses enfants déracinés.
Marie-Paule, digne mais à bout de solutions, a fini par faire appel à Huguette Bello. La députée a fait appel au préfet pour solliciter une réunion de tous les acteurs impliqués dans cette mission, afin d’améliorer la coordination des services et de faire en sorte que cette formidable action de coopération régionale ne soit pas discréditée par des blocages financiers. Pour l’instant cet appel au représentant de l’État est resté sans réponse.
(à suivre)
Estéfany
L’U.D.A.F. se bat pour les familles
L’Union départementale des associations familiales (UDAF) est une association reconnue d’utilité publique. Elle a notamment la charge de mener des enquêtes pour trouver des familles d’accueil pour les enfants de notre région évacués sanitaires à La Réunion, d’effectuer un important collectage des factures à remettre à la DRASS et de maintenir des liaisons entre les familles d’accueil avec les hôpitaux.
Depuis plus de quatre ans que ce système fonctionne, l’UDAF subit, elle aussi, les retards de paiement des indemnités dues aux familles d’accueil. Des difficultés qu’elle vit très mal, car c’est son image et le formidable travail de ses bénévoles qui en souffrent.
"Les familles s’adressent à nous quand elles ont des problèmes financiers et nous les comprenons. Nous nous battons pour elles, mais que faire quand l’argent n’arrive pas ?" déplore le président de l’UDAF, Aristide Payet.
Depuis deux ans, la DRASS alloue à l’UDAF une somme d’argent pour assurer la lourde gestion administrative de cette activité. C’est en dégageant une partie de ce budget réservé à la gestion que l’UDAF a pu compenser, en décembre 2003, une première partie du retard des crédits de l’État. Mais, soumise à sa propre réglementation comptable, elle ne peut puiser sans fin dans les fonds réservés à d’autres actions pour pallier le retard du budget d’aide médicale qui incombe au ministère de l’État.
Aristide Payet est entré en contact avec le président du Conseil général de Mayotte afin de solliciter la prise en charge d’une partie de l’action sociale. Il est pour l’heure en attente de réponse. La directrice de la CAF de La Réunion, également directrice de celle de Mayotte, est aussi intervenue pour demander une dérogation afin que les allocations versées aux familles mahoraises soient transférées vers les familles d’accueil réunionnaises. Les bénévoles de l’UDAF tentent tout pour venir en aide à ses familles, accélérer le mouvement. Satisfaite que la DRASS ait répondu à sa requête en accordant une augmentation de 17% des indemnités journalières des familles, elle déplore toutefois ces retards répétés dans un siècle où les progrès de l’informatique permettent notamment d’accélérer les démarches administratives.