Rencontre avec le ministre

Pêche : choisir le co-développement

21 septembre 2004

Plutôt que de raisonner uniquement en termes de concurrence, le conseiller régional préfère suggérer un partenariat avec les Etats voisins : La Réunion apporterait son savoir-faire.

Hervé Gaymard est aussi ministre de la Pêche. Samedi matin, lors de la conférence de presse qu’il a donnée juste avant de s’envoler pour l’île Maurice, il a notamment déclaré que "la protection des ressources est une chose ; son exploitation étant une autre, il convient que soit menée une politique ambitieuse de la pêche française dans l’océan Indien". Et d’ajouter : "Une grande initiative doit être prise".
Juste avant, le ministre avait réuni, à la préfecture de Saint-Denis, les professionnels de la pêche ainsi que les institutions et les élus. Jean-Claude Lacouture y représentait le Conseil général et Raymond Lauret le Conseil régional. Ce dernier explique ce qui s’y est passé et ce qui s’y est dit.

Raymond Lauret, vous avez participé à la rencontre qu’Hervé Gaymard a eue avec les responsables de la pêche réunionnaise. Que faut-il en retenir ?

- Mon sentiment, c’est que le ministre français de l’Agriculture et de la Pêche a pu constater que les professionnels de la pêche sont, dans cette île, des gens sérieux, responsables et soucieux, par-delà leurs propres entreprises, de l’intérêt commun et qu’ils situent leur vie professionnelle dans un cadre le plus large possible. Ainsi, chacun s’est loué des initiatives prises pour lutter contre le pillage et du succès qu’ont connu les opérations d’arraisonnement des bateaux pirates.
Et puis, nous avons eu l’occasion de le rappeler : sur les 6 secteurs à l’export de notre production locale qui utilisent la totalité de l’aide à laquelle ils ont droit au titre du transport des marchandises exportées, 5 sont des sociétés qui s’occupent de pêche.

Le ministre a déclaré qu’une grande initiative pour la pêche avec des autorités pour La Réunion devait être prise. Qu’en est-il ?

- Je suis particulièrement satisfait que cette idée a aussitôt fait aujourd’hui son chemin. Paul Vergès, quand il a reçu Hervé Gaymard à la Région vendredi 17, lui en a parlé. Devant l’ensemble des responsables de la pêche réunionnaise et devant les responsables d’institutions telles que l’IFREMER, le Crédit maritime, l’administration suprême des T.A.A.F. (terres australes et antarctiques françaises) ou la direction des Affaires maritimes, j’ai développé moi-même cette idée.

Sur quoi repose-t-elle ?

- C’est très simple. L’océan Indien et ses ressources vont prendre dans le débat mondial des années à venir une place de plus en plus grande. Les États riverains sont très peuplés et 4 projections démographiques confirment cette prédominance pour notre région.
Or le niveau de développement de ces États est bas. La plupart appartiennent au cercle des pays en retard de développement (PMA).
La pêche peut être une occasion pour ces pays de relever un peu la tête.
Or, actuellement, l’écrasante majorité de la flotte de pêche dans l’océan Indien est taïwanaise. La capture française est négligeable. Le ministre s’est vu remettre, à ce propos, un document réalisé par l’IFREMER, document édifiant s’il en est.

Dans cet océan, La Réunion est la seule région ultrapériphérique européenne...

- Avec Mayotte qui aspire elle aussi à le devenir. Or Mayotte n’a pas plus de 400 kilomètres carrés de superficie et a une population qui va se multiplier par 2,5 dans une décennie. Le sol de Mayotte, c’est son espace maritime et ses lagons.
Ce que nous avons dit à Hervé Gaymard s’analyse à la lumière de ce qui précède : il y a à La Réunion un savoir-faire, en ingénieurs de pêche, en recherches et en avancées dans le domaine de l’aquaculture. Là nous savons faire, nous l’avons prouvé.
Plutôt que de risquer d’exacerber les conflits d’intérêts qu’il peut y avoir, pourquoi ne pas choisir une autre vie, celle d’un co-développement raisonné de la pêche dans la zone, co-développement qui profiterait à tous les territoires environnants ?
La Réunion apporterait son savoir-faire en matières d’études de leurs ressources, de formation des hommes et d’encadrement technico-administratif, ce qui ne manquera pas d’offrir des perspectives à ses pêcheurs.

Certains États sont-ils intéressés par cette idée ?

- Absolument. Je pense à Mayotte, aux Comores, au Mozambique, à Madagascar.

Comment procéder ?

- La Réunion est membre de la C.O.I. (Commission de l’océan Indien). Cette appartenance doit dépasser très vite le seul cadre du sport et des Jeux des îles de l’océan Indien.
La France préside pour un an le Conseil des chefs d’État de la C.O.I. À ce titre, en janvier de l’année prochaine, Jacques Chirac présidera à Tananarive la conférence de ces chefs d’États. C’est une occasion unique pour La France de proposer aux États riverains une politique ambitieuse de pêche dans l’océan Indien, fer de lance d’une coopération régionale basée sur le co-développement.
Que Hervé Gaymard ait retenu cette idée comme une possible politique pour La Réunion et Mayotte, on ne peut qu’en être satisfait.


La Réunion ne bénéficie pas de son océan

Parmi les interlocuteurs du ministre Hervé Gaymard, dimanche, Alain Gaudin, du Comité régional de pêche maritime et des élevages marins, s’est adressé à lui. Nous publions son intervention.

Monsieur le Ministre,
L’océan Indien est le dernier des grands océans à avoir été exploité. Grâce à ses ressources halieutiques abondantes, il est devenu, avant même la constitution de la flotte de pêche palangrière réunionnaise, une zone de convoitise et un espace de pouvoir (...).

En effet, ce vaste espace maritime constitue :

- Pour La France, un intérêt géostratégique et économique majeur puisqu’il fournit plus de 56% de ses prises en thonidés.

- Pour L’Europe, une zone propice pour maintenir voire développer l’activité des flottes communautaires espagnoles et portugaises sous accords de pêche avec les États ACP riverains.

- Pour les petits États insulaires, riverains ou pêcheurs, un atout important pour leur développement économique et social.

- Pour La Réunion, seule région européenne de l’océan Indien, cet océan, en revanche, ne constitue qu’un potentiel faiblement exploité à ce jour. Les captures de la pêche réunionnaise ne représentent que 0,14% des prises globales toutes flottilles confondues dans la zone. Preuve en est la carte élaborée par l’IFREMER sur la pêche lors de cette dernière décennie que j’ai plaisir à soumettre à votre réflexion.

Les professionnels entendent, avec votre soutien, conforter, accroître et développer durablement leurs activités dans cette zone qui leur revient.

Pas deux poids, deux mesures

J’aurais 2 questions à vous soumettre, Monsieur le Ministre :

1- Quelle stratégie La France entend-elle mener en faveur de la pêche réunionnaise dans l’océan Indien ?

En matière de gestion de la ressource sur des stocks partagés, il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures. Certains dispositifs favorisent et permettent déjà le transfert de flotte communautaire vers un pays tiers. Dans notre contexte, cela peut amener ces pays à constituer leur propre flotte et par conséquent à augmenter leur effort de pêche. Les produits seront ensuite écoulés à des prix très compétitifs vers La Réunion, marché européen à 35 minutes de vol, avec la bénédiction de l’UE et de La France.

L’UE et la France brident leur économie insulaire

Dans le même temps, cette même UE et cette même France brident volontairement un pan de leur économie insulaire. Ne faudrait-il pas dans le cadre des accords de partenariats économiques régionaux (UE-ACP/UE-PMA) actuels et à venir, faire réaliser une étude d’impact sur les conséquences de ces accords sur notre secteur ? Et notamment y inclure des clauses de sauvegarde tant sur nos droits de pêche que sur nos produits ?

2- Le maintien des aides à la flotte après 2006, les SOFIPECHE-SOFIDOM et POSEIDOM sont les outils indispensables au développement de notre filière. Les négociations pour le prochain FEP sont en cours ou d’autres échéances communautaires vont arriver. Comment La France entend-elle défendre et soutenir le secteur de la pêche réunionnaise ?

S’agissant du POSEIDOM, il faut que vous sachiez, Monsieur le Ministre, que chez nous ce dispositif est également un instrument de régulation du marché local. Il est indispensable de veiller à son renforcement et à sa pérennisation en adéquation avec l’évolution de la production. Aujourd’hui les segments de la petite pêche et de la pêche palangrière jouent la complémentarité. Il faut préserver cet équilibre sur un marché local étroit, fragile et comme je l’indiquais tout à l’heure, fortement concurrencé par les pays tiers.


La pêche artisanale, principal foyer d’emplois

Des arriérés de cotisations sont demandés aux pêcheurs depuis 1998. Et la petite pêche doit encore se moderniser, rappelait J.-François Grondin devant le ministre. Quels moyens aura la filière ?

Monsieur le Ministre,
La pêche artisanale à La Réunion représente 87% de la flottille de pêche et près de 50% des marins professionnels, ce qui est en fait le principal foyer en terme d’emplois. Un navire de petite pêche crée un emploi direct pour moins de 5 tonnes de captures par an.

La production de la filière artisanale a atteint 970 tonnes en 2002, soit 20% de la production réunionnaise pour une valeur de 4 millions d’euros. À cela doit être rajoutée la production, évaluée à plus de 1.000 tonnes, issue de l’activité de pêche informelle. Cette dernière, qui cible les mêmes espèces que la pêche professionnelle et concurrence sévèrement leur activité, constitue potentiellement un vivier important durable.

Facteur de cohésion sociale et tremplin professionnel pour les pêcheries industrielles, la pêche artisanale est donc encore un secteur porteur d’activités, dynamisé par une demande en produits frais croissante sur le marché local.

Réduction des aides

Néanmoins, son développement est mis en danger par :

- L’arrêt programmé des aides au renouvellement et à la modernisation des navires fin 2006, et la réduction générale des taux des autres aides accordées notamment pour le stockage, la transformation et commercialisation.

- Le poids important des charges sociales. Des arriérés de cotisations (allocations familiales, CSG-CRDS) sont demandés aux pêcheurs depuis 1998. Malgré les allègements de ces charges, obtenus en 2000 avec la LOOM, le dossier reste en suspens et les ministères n’ont pas trouvé un traitement ad hoc, en dépit des engagements politiques forts.

Mes question sont les suivantes :

1- Comment pourrons-nous, avec la diminution des taux d’aide, même avec un bonus de 10% consenti aux RUP, offrir de bonnes conditions de structuration à notre profession, notamment en terme d’équipements de stockage et de commercialisation ?

2- Ou en est le traitement du dossier CAF-CSG-CRDS ?

J.-François Grondin, CRPMEM Réunion.


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