Avec le changement climatique, la menace de nouveaux conflits : l’exemple de l’Afghanistan

28 août 2021, par David Gauvin

Les effets du changement climatique sur le paysage physique mondial modifient la donne géopolitique et déstabilisent des régions vulnérables comme la Corne de l’Afrique. Il peut entamer la capacité des pays à se gouverner eux-mêmes et générer des conflits insoupçonnés. Contrairement à d’autres facteurs de risques sécuritaires internationaux, le changement climatique peut être modélisé avec un degré de certitude relativement élevé. Mais entre prédire et se préparer, il reste un grand pas à franchir.

Le changement climatique exacerbe l’insécurité en Afghanistan. Alors que le pays est passé sous le contrôle des talibans avec la prise de Kaboul le 15 août dernier, des chercheurs se demandent si l’on peut faire un lien entre les effets du changement climatique dans cette région du globe et les événements politiques qui l’agitent. Un article de CBS News, paru le 20 août, établit ainsi une relation directe entre la vulnérabilité accrue de la population afghane à cause du réchauffement global et la montée des fondamentalistes religieux. Les conséquences des sécheresses et des inondations sur une population paysanne pauvre contribueraient ainsi à inciter les paysans à suivre les talibans, selon la chaîne d’information américaine. « Le groupe a les moyens de payer les combattants entre 5 et 10 dollars par jour [environ 4,2 et 8,5 euros], soit plus que ce qu’ils peuvent gagner dans l’agriculture », assure à CBS Kamal Alam, expert pour la région au sein du groupe de réflexion américain Atlantic Council.

Exemple frappant du rapport, la destruction des infrastructures essentielles en matière d’eau laisse le pays avec la plus faible capacité de stockage d’eau par habitant dans la région (140 litres par personne). Un funeste héritage qui rend la population d’autant plus vulnérable aux sécheresses. Or, la région est particulièrement exposée aux conséquences du changement climatique. L’Afghanistan est classé sixième parmi les pays les plus touchés selon l’Indice mondial des risques climatiques (IRC) de 2019. Depuis 1950, la température moyenne annuelle dans ce pays a augmenté de près de 2 °C. Dans cette région montagneuse aride, la population est particulièrement exposée aux dangers des inondations et des sécheresses, dont la fréquence s’accélère. Cette vulnérabilité est également liée à la grande dépendance à l’agriculture pluviale et au pastoralisme, dont dépendent 80 % de la population. Ces constats sont partagés par un rapport des Nations unies publié en 2017.

Avec le temps, l’impact du changement climatique sur les ressources naturelles – qui s’ajoute aux pressions démographiques, économiques et politiques existantes – peut entamer la capacité d’un pays à se gouverner lui-même. Laquelle comprend la capacité à répondre aux besoins de ses citoyens en ressources de base – telles que les denrées alimentaires, l’eau, l’énergie ou l’emploi –, ce que l’on appelle sa « légitimité produite ». Or cette menace sur la légitimité produite d’un État peut le fragiliser, susciter des conflits internes, voire aboutir à son effondrement. Ainsi considéré, le changement climatique peut constituer un grave défi pour la stabilité et la légitimité des États de la Corne de l’Afrique, région déjà en butte à d’innombrables difficultés avant que ne surviennent celles posées par le changement climatique. Ces défis ont été récemment confirmés par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans une Déclaration de son Président en janvier 2018 : « Le Conseil de sécurité a conscience des effets néfastes des changements climatiques et écologiques, entre autres facteurs, sur la stabilité de l’Afrique de l’Ouest et de la région [du Sahel], et notamment de la sécheresse, la désertification, la dégradation des sols et l’insécurité alimentaire, et souligne que face à ces facteurs, il importe que les gouvernements et les organismes des Nations Unies adoptent des stratégies appropriées d’évaluation et de gestion des risques. »

Des travaux ont pointé ces dernières années les liens entre montée de l’insécurité et des conflits armés et changement climatique. Notamment ceux d’Adelphi ou de l’Institut français de relations internationales et stratégiques (Iris). « Le changement climatique n’est jamais le seul facteur conduisant à une escalade de la violence, dit la chercheuse Alice Baillat de l’Iris. Il agit toujours en interaction avec des facteurs politiques, économiques et sociaux, qu’il vient exacerber. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui important de parler du changement climatique comme d’un multiplicateur de menaces, afin d’éviter la dépolitisation des crises. ». Malgré le caractère très incertain des prévisions à l’échelon local, les projections des modèles climatiques donnent une idée précise de ce que l’avenir nous réserve, permettant aux gouvernements et aux sociétés d’élaborer des plans. Toutefois, l’amélioration de notre capacité prédictive n’équivaut pas à une préparation. La combinaison de « risques sans précédent » et d’une « prévisibilité sans précédent » nous pousse vers une « Obligation d’adaptation » (rapport présenté au Conseil de sécurité des Nations Unies, décembre 2017). La responsabilité incombe aux institutions sous-nationales, nationales et intergouvernementales de renforcer la résilience climatique au niveau régional de la Corne de l’Afrique en particulier. Dans le cas contraire, la stabilité de cette région, et du reste du monde, se verrait grandement compromise.

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » [Albert Einstein]

Nou artrouv’

David Gauvin

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