Ça ne sent plus la vanille…

15 avril 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

La vie d’Edmond Albius concentre les contradictions de la société esclavagiste, dont La Réunion contemporaine est héritière. Âgé de 12 ans seulement, ce dernier se montra capable, par la seule observation, de comprendre le rôle joué par les insectes pollinisateurs dans la fécondation de la vanille. Une trouvaille qui permit l’exploitation d’une plante de valeur, soumise jusque-là à des aléas qui échappaient à l’homme. Albius était esclave, et en tant qu’esclave, sa découverte envoyait à la face d’une culture européenne qui avait découvert l’esprit scientifique mais continuait de vivre de la rente esclavagiste, que l’intelligence et la raison n’étaient pas l’apanage de la bonne société blanche. La fin d’Albius met elle aussi en lumière l’implacable logique sociale qui régnait alors sur une terre façonnée par l’esclavagisme : découvreur d’un procédé qui allait enrichir des exploitants et commerçants de vanille dans le monde entier, Albius mourut à 51 ans à l’hospice au terme d’une existence de misère et d’errance.

Aujourd’hui, la vanille occupe une place considérable dans notre culture. Non seulement par son rôle dans notre histoire agricole, mais aussi par sa présence dans notre vie quotidienne : dans son sucrier, le Créole glisse un ou plusieurs « bâtons » de la précieuse gousse ; il fait couler et boit son café vanille. La mémoire d’Albius, le père de la vanille a été ravivée, non seulement sur la terre de Sainte-Suzanne où il vécut, mais dans l’ensemble de notre île. La vanille c’était aussi, depuis 1968, la solidarité des planteurs regroupés dans la fameuse coopérative de Bras-Panon, productrice d’environ 15 tonnes par an.

Une structure aujourd’hui bien mal en point : depuis le mois d’avril dernier, son propriétaire a déposé le bilan et subit une liquidation judiciaire. Aux origines de cette faillite, la concurrence de la vanille de Madagascar, mais aussi, déplorent les professionnels, un écoulement insuffisant auprès des touristes. Ce dernier déficit pourrait-il être compensé par une politique volontariste ? Il est permis de le penser, et comme on dit « pa kapab lé mor san éséyé ». Ce n’est pas l’orientation prise par la Région Réunion : uniquement préoccupée de com’, de folklore et de symboles sans actes, celle-ci a lancé le concept des « îles vanille »… sans songer à soutenir la vraie vanille et les vrais travailleurs qui en vivent. Et dire que l’inspiratrice de la politique touristique de la pyramide inversée s’était fait connaître en chantant « ça sent la vanille »

G.G.-L.

Didier RobertJacqueline Farreyrol

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