Clara Zetkin : initiatrice de la Journée internationale des droits des femmes

8 janvier 2022, par David Gauvin

Non, ce ne sont pas les suffragettes et autres féministes britanniques ou américaines qui sont à l’origine de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. C’est l’Allemande Clara Zetkin qui, en 1910, proposa de consacrer une date unique dans le monde à la cause des femmes. Qui était cette infatigable penseuse et militante socialiste et féministe ?

Révolutionnaire, pacifiste, antifasciste, féministe : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier Clara Zetkin (1857-1933). Mais le surnom que lui attribua l’empereur Guillaume II est peut-être, bien malgré lui, celui qui attise le plus la curiosité : la « sorcière la plus dangereuse du Reich allemand ». Clara Eißner est née le 5 juillet 1857 en Allemagne, à Wiederau, en Saxe. Elle, qui venait d’une famille cultivée, vivait dans un village tourné vers l’industrie textile, où travaillaient beaucoup d’ouvrières. En côtoyant la misère, elle nourrit une révolte contre l’injustice. Sa mère, elle, s’inscrivait dans un mouvement féministe bourgeois qui a aussi influencé Clara dans son enfance. Soutenue par son père, Clara étudie à l’école d’institutrices, seule formation professionnelle alors ouverte aux filles de la bourgeoisie. L’établissement est dirigé par la militante des droits des femmes Auguste Schmidt, qui devient sa mentore. A Leipzig, la jeune femme accède aux cercles d’ouvriers, découvre le socialiste et féministe August Bebel… Et rencontre son premier amour, Ossip Zetkin, un révolutionnaire d’origine ukrainienne. Lorsqu’il est expulsé d’Allemagne, elle le rejoint à Paris. Clara Zetkin n’était-elle pas un peu française par l’un de ses grands-pères qui faisait partie de l’armée napoléonienne ? En partant, elle rompt avec sa famille et prend le nom de son compagnon, même s’ils ne se marieront jamais.

Clara Zetkin fut l’une des figures les plus importantes du féminisme, mais aussi du socialisme. En 1915, elle est emprisonnée en raison de ses convictions pacifistes. En 1916, elle joue un rôle essentiel dans la création du parti communiste allemand avec Rosa Luxemburg qui, « lorsqu’elle évoquait avec son amie l’épitaphe qu’il conviendrait d’aposer sur leurs sépultures, suggérait : ’Ici gisent les derniers hommes de la social-démocratie », rappelle Florence Hervé. En 1920, élue au Reichstag, Clara Zetkin assiste à la montée du nazisme en Allemagne, tandis que l’arrivée au pouvoir de Staline la met à l’écart de l’Internationale communiste. La journaliste et socialiste allemande Maria Reese disait de Clara Zetkin qu’elle était alors « le seul homme à Moscou qui osât résister à Staline ». Une petite phrase qui en dit long sur son caractère entier : « Elle reste intègre, droite, fidèle à ses convictions. Il y a une harmonie entre ses paroles et ses actes. Elle se montre moins intellectuelle qu’excellente organisatrice, activiste et analyste. Elle ne prèche pas, elle agit », confirme Florence Hervé. La perception de Clara Zetkin est complexe. Le chancelier Helmut Kohl l’a tenue pour co-responsable de la destruction de la République de Weimar, tandis que le gouvernement Mitterrand a instauré la journée internationale des droits des femmes le 8 mars, en son honneur. Aux côtés de Rosa Luxembourg et Alexandra Kollontaï, elle a mis en place les piliers du féminisme socialiste. Suivie, menacée et surveillée par le gouvernement, elle a consacré sa vie à la révolution communiste ainsi qu’à l’unification des femmes prolétaires contre le fascisme.

Bien avant Umberto Eco, Clara Zetkin analyse l’émergence du fascisme en Europe et surtout du nazisme en Allemagne. Citoyenne de son pays, ses écrits évoluent sur la question, passant de la prévention au boycott pour aboutir à la déception épuisée. Alors âgée de 75 ans, presque aveugle, elle prononce son dernier discours en tant que doyenne du Reichstag en 1932. Face à une tribune constituée de sections d’assaut en uniforme vert-de-gris, elle appelle les travailleurs.ses à constituer un front uni contre les dangers du fascisme. Elle mourra un an plus tard. Dans un rapport daté de 1923, elle écrit : « L’une des racines du fascisme est bien la décomposition de l’économie capitaliste et l’Etat bourgeois. (…) Il ne se manifeste pas seulement par une extrême paupérisation du prolétariat, mais aussi par la prolétarisation de très larges couches de la petite et moyenne bourgeoisie, par la situation désespérée de la petite paysannerie et la misère noire des intellectuels. » Elle démantèle donc le fonctionnement d’un système de pensée opportuniste qui, par le biais d’une crise économique sans précédent, a pris les rênes du pouvoir. Se faisant passer pour la nouvelle façon de faire de la politique, le fascisme a étendu ses tentacules dans toute l’Europe en proposant un programme vague basé sur des promesses populistes et un libéralisme économique carnassier. Clara Zetkin n’a pas dérogé un seul instant à ses principes. Fervente défenseuse de la IIIe Internationale, elle n’a eu de cesse de pointer du doigt les sociaux-démocrates, les réformistes et les dissidents du parti. Au milieu de la rage et de l’énergie qu’elle a mise en marche au profit de la révolution prolétarienne, ses écrits dépeignent parfois un manque de recul à l’égard des agissements communistes.

L’Union soviétique sera le premier pays, en 1921, à fixer au 8 mars la Journée Internationale des femmes. Difficile de ne pas voir dans ce choix le fruit de la rencontre entre Lénine et Clara Zetkin… « Elle se sentait proche de la Russie. Son premier compagnon était russe. Au moment de la révolution russe, elle traversait un moment de sa vie où elle avait besoin d’un espoir. Elle l’a trouvé aux débuts de l’URSS, qui fut le premier pays à légaliser l’avortement, entre autres droits accordés aux femmes. » Aujourd’hui encore, elle est une icône, érigée en héroïne en Russie : Clara Zetkin est enterrée sur la place Rouge, près du mausolée de Lénine, le long des murs du Kremlin. En France aussi, il fut un temps où Clara Zetkin fut une personnalité : « Dans les années 1920, elle était même la personnalité allemande la plus connue. Elle était présente au congrès de Tours et à la fondation du Parti communiste français ; Louis Aragon l’évoque dans les derniers chapitres de son roman Les Cloches de Bâle… » précise Florence Hervé. En Europe occidentale, le vent a tourné après la Seconde Guerre mondiale : Clara Zetkin et ses travaux furent, à l’ouest, victimes de la guerre froide. L’Allemagne de l’Ouest voulut l’occulter, elle et ce pour quoi elle se battait, à commencer par ses principes féministes. Il fallait alors laisser la priorité aux trois K – Kinder, Küche, Kirche (les enfants, la cuisine, l’église) – piliers de la reconstruction et à la repopulation de la RFA dans les années 1960. Clara Zetkin s’était battue pour une école allant de la maternelle à l’université – aujourd’hui, l’Allemagne n’en est toujours pas là.

« L’émancipation de la femme, comme celle de tout le genre humain, ne deviendra réalité que le jour où le travail s’émancipera du capital. » Clara Zetkin – Extrait de Batailles pour les femmes.

Nou artrouv’

David Gauvin

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