Cochons de payeurs

26 mai 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

« Monopole », « oligopole », « cartel » : ces termes définissent à merveille les intérêts étroitement imbriqués des pétroliers qui opèrent à La Réunion. Trois compagnies, qui exploitent les deux mêmes navires aux noms bucoliques, — le pétrolier “Tamarin” et le butanier “Maïdo”, achètent du pétrole pas cher du tout — c’est eux même qui le disent —, et se répartissent le commerce sous trois enseignes, dont l’une (Total) possède l’autre (Shell).

Un commerce qui rapporte gros : les pétroliers réalisent à La Réunion des marges considérablement plus élevées que sur les marchés européens. Car sous nos cieux, le modèle hérité de l’exclusive coloniale se perpétue ; l’État, auquel les textes assignent la tâche de fixer un prix juste, cautionne en réalité la mise en coupe réglée des consommateurs. Cette réalité est d’ailleurs constatée en haut lieu. Trois rapports officiels l’ont constatée ; lors du Conseil interministériel de l’Outremer (CIOM) tenu le 6 novembre 2009, Nicolas Sarkozy s’est répandu en une série de promesses, dont ressortait clairement l’engagement de dégager les outremers de l’emprise des monopoles — hydrocarbures compris. On a bien vu ce que valaient les promesses présidentielles : rien du tout, pas un kopeck, zéro kalbas la fimé granboi.

Rapport parlementaire, enquêtes, avis, exhortations, manifestations sont passés sur le monopole comme l’eau sur la feuille songe, et les rois du pétrole semblaient pouvoir se rendormir sur les deux oreilles, au creux du matelas de pognon piqué dans la poche des consommateurs. Ce bienheureux sommeil pourrait bientôt être troublé : depuis quelques jours, les transporteurs annoncent leur volonté d’importer eux-mêmes les précieux carburants, et de les distribuer entre les membres d’une coopérative qui serait créée pour l’occasion. Bien sûr, cette brèche dans le monopole serait profitable aux seuls transporteurs, et non aux usagers lambda… mais l’ initiative, même circonscrite au cadre d’une corporation, n’en donne pas moins l’exemple de l’auto-organisation. En passant, on pourrait se demander où se situe précisément la frontière qui divise la route entre ses professionnels et ses simples « usagers ». Car enfin, nous tous qui payons de l’essence toute la semaine, plusieurs fois par jour, pour nous rendre sur notre lieu de travail, faisons, quoiqu’on en dise, un usage professionnel de nos véhicules. Et serons, rappelons-nous en, contraints de le faire encore un bon moment, puisque la Région nous a privés, l’an dernier, de l’alternative ferroviaire.

Pour l’heure, les professionnels de la route, ce n’est visiblement pas nous. Mais à en croire les déclarations de Philippe Bodilis, patron des pétroliers, le manque à gagner provoqué par le succès éventuel d’une coopérative serait immédiatement compensé par une hausse des prix à la pompe. En clair : c’est bien nous, les cochons de payeurs, qui devrons encore une fois passer à la caisse pour maintenir les profits des compagnies. M. Bodilis a la langue bien pendue, et a le mérite de ne pas dissimuler ses intentions. Mais il ferait bien de prendre garde, lorsqu’il énonce crûment et sans complexes la voracité et le cynisme qui animent les intérêts qu’il défend : il n’est pas dit que les consommateurs réunionnais se laisseront tondre impunément. Et il pourrait bien leur prendre, cette fois, d’aller demander directement des comptes aux pétroliers... voire de les forcer, une fois n’est pas coutume, à mettre la main à leur propre poche.

G.G.-L.


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Messages

  • Si le litre de gasoil à 1 euro se concrétise, ça serait enfin la 1ère brèche dans le monopole des hydrocarbures.

    Il faudra dire un grand bravo à la confrérie des transporteurs réunionnais qui par coopération serait parvenue, grâce à leur volonté, à quitter le joug des prix en esclavage, déjà sur un seul produit.

    Ce 1er exemple pourrait se poursuivre dans bien d’autres domaines, ce qui re-donnerait au "réunionnais" cette possible volonté de se grouper, de se réunir sur des projets gagnants.

    • à part causer et insulter on n’a pas vu les pieds nickelés faire grand chose à ce jour.
      on jugera sur pièce si ce sont des héros ou .... des zéros !
      Je consulte ma boule de cristal et je vois .....
      un container arriver ...
      une banderole "gasoil 1 euro"
      des caléras, des journalistes
      puis
      puis
      ouis .....................
      plus rien
      je vois mongin dire qu’un l’a empêché
      que des méchants aux doigts crochus l’ont empêché, lui, superman, de faire le bien des réunionnais
      c’est pas lui
      lui il a raison
      mais il ne peut rien faire tou seul contre le lobby des autres
      wait and see.
      Au fait pourquoi Mongin ne fait pas la même chose aux antilles ???

  • A propos du tram-train, M. Géraud, je vous signale un article dithyrambique dans la Voix du Nord du 24 mai : mode de transport révolutionnaire, l’avenir des régions, etc. Faut-il l’envoyer à Didier Robert, l’homme des bus fantômes ?

  • le gasoil à un euros du ccirpp c’est peut être possible
    mais sans marge c’est certain.
    le gasoil qui représente les trois quart de la consommation des ménages et 100 % de celle des professionnels de la route est 10 centimes moins cher ici qu’en métropole ou les prix sont pourtant tirés par le grande distribution avec marge quasi nulle (produit d’appel)

    • Comparons ce qui est comparable. En France les prix hors taxes sont plus faibles qu’à La Réunion. C’est ce que dit un rapport de l’autorité de la concurrence qui insiste sur la "modération fiscale" des collectivités pour maintenir un prix voisin de celui de la France.

      Si hors taxe c’est plus cher, c’est plus pour la compagnie pétrolière, donc plus de marge qu’en France. Pourquoi les Réunionnais doivent-ils être les cochons de payeur des entreprises les plus riches du monde ?

    • le rapport il dit aussi que la réunion c’est un très petit marché et que c’est normal que ce soit plus cher ici
      il faut tout lire ..... et tout dire monsieur je sais tout
      sinon c’est pas honnête
      c’est vu ?

    • Le Luxembourg est un plus petit marché que la France, pourtant nombreux sont les habitants de la zone frontalière à venir acheter leur essence au Luxembourg...

      donc l’histoire de la taille du marché, c’est du pipeau, sauf à démontrer que le Luxembourg, pays deux fois moins peuplé que La Réunion, est un plus grand marché que la France.


Témoignages - 80e année


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