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COP 26 : la lutte des Etats insulaires pour avoir un avenir

vendredi 12 novembre 2021, par David Gauvin, Editorialistes


Ils ne sont que de petits cailloux perdus dans les mers, n’ont aucun poids démographique, géopolitique ou économique. Leur alliance, l’Aosis, est devenu un acteur incontournable des COP. Malgré cela, la situation des petits États insulaires face au réchauffement global reste critique. Lassés par le manque d’ambition des pays développés, certains veulent passer à l’action.


Cette famille des Tuvalu habite à seulement 10 mètres du rivage. (Photo ONU/Mark Garten)

Gladys Habu, 26 ans « comme le nombre de COP », est pharmacienne de profession et vit aux îles Salomon. Cet archipel indépendant de l’océan Pacifique, peuplé d’environ 700 000 personnes, s’étend sur l’équivalent de la superficie de la Suisse, à l’est de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Ses grands-parents vivaient sur l’un de ses îlots, nommé Kale. « On s’y rendait chaque année, quand j’étais petite. Un jour, j’ai réalisé que la taille de l’île avait drastiquement diminué », confie-t-elle après son discours au Forum des îles du Pacifique, dans le cadre de la COP26 à Glasgow. En 2009, elle prend une photo de ce petit paradis. Cinq ans plus tard, seul un vieux tronc émerge encore. En 2021, il ne reste plus rien. « J’ai compris que c’était quelque chose qui n’arrivait qu’à ma province, mais que cela touchait toutes les nations insulaires du Pacifique », reprend Gladys Habu, qui représente son pays comme Miss 2020. En effet, comme Kale, quatre autres îles de l’archipel ont été complètement avalées par les eaux : Rapita, Kakatina, Zollies et Rehana. Six autres ont perdu 20 % de leur surface entre 1947 et 2014. Des faits rigoureusement étudiés, notamment par des experts australiens.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) projette une augmentation du niveau des océans de 40 à 130 cm avant 2100. Plusieurs opérations de délocalisation de populations ont été menées ces dernières années, comme aux îles Kiribati.
La travailliste n’est pas la seule à porter la voix des pays du Sud, et notamment des États insulaires particulièrement sensibles au réchauffement climatique. Le ministre des Affaires étrangères de l’archipel des Tuvalu avait par exemple marqué les esprits en filmant son discours les pieds dans l’eau de l’océan Pacifique. Car les eaux, irrémédiablement, montent. « Si nous n’avions pas mis en place une protection côtière, toutes ces terres, jusqu’aux bâtiments derrière, seraient en train d’être reconquises », expliquait la ministre lors d’un discours donné pour la visite, début octobre, d’António Guterres. Le thème de la venue du secrétaire général des Nations unies : « De l’inégalité et de la vulnérabilité à la prospérité pour tous. » Outre l’érosion côtière, l’île est soumise à une série de catastrophes naturelles, qui augmentent avec la crise climatique. En juillet dernier, les puissantes rafales de l’ouragan Elsa ont provoqué coupures d’eau et d’électricité et endommagé des centaines de maisons. Quant à l’acidification des océans, elle met en péril les activités de pêche et donc l’économie de la nation.

Pourtant, les petits États insulaires en développement (PEID), soit une cinquantaine de nations hébergeant plus de 62 millions d’habitants, sont responsables de moins de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mia Mattley, Première ministre de la Barbade, a donc appelé les chefs d’État à se mettre enfin au travail et à honorer leurs engagements. « Les engagements de certains se fondent sur des technologies qui n’existent pas encore. C’est au mieux inconséquent de leur part, au pire dangereux », a-t-elle dénoncé. Selon elle, le calcul est clair : les dirigeants devront permettre que 500 milliards de dollars (430 milliards d’euros) soient investis dans la transition énergétique dans les vingt ans à venir. Pour ceux qui rechigneraient, Mia Mottley a rappelé que les banques centrales des pays riches avaient créé près de 25 000 milliards de dollars (21 500 milliards d’euros) au cours des treize dernières années, dont 9 000 milliards (7 700 milliards d’euros) au cours des dix-huit derniers mois pour la pandémie. Elle a d’ailleurs rappelé qu’en 2009, les pays riches avaient promis 100 milliards de dollars (86 milliards d’euros) pour aider les pays les plus pauvres à faire face au dérèglement climatique. Une promesse – reprise dans l’Accord de Paris – restée lettre morte. « L’incapacité à fournir ces financements cruciaux ainsi que ceux concernant les “pertes et préjudices” se mesure en vies perdues dans nos communautés. C’est immoral et injuste », a-t-elle tonné.

L’AOSIS rassemble 44 États insulaires du monde entier (Caraïbes, Pacifique, mers d’Afrique, d’Inde et de Chine du Sud). Elle chapeaute trois organisations géographiques indépendantes : celle des Caraïbes (Caricom) et celle du Pacifique (Psids) pour les deux plus importantes, ainsi que celle de l’océan Indien et d’Afrique (AIMS). L’AOSIS représente ainsi une population cumulée de 65 millions de personnes. Elle a été créée dès 1990 pour faire entendre les voix des îles en développement lors des premiers sommets climat. « C’est la première fois qu’apparaît un groupe de négociations inter-régional. À ce titre, cette Alliance est une prouesse », note Carola Kloecke, chercheuse au Ceri-Sciences Po, spécialiste de l’AOSIS et présente dans les négociations à Glasgow, fermées à la presse. Les Maldives ont été le moteur de cette initiative, signée en 1989 à Malé, capitale de l’archipel de l’océan Indien. « Le déclic, c’est la grosse inondation subie par les Maldives juste avant. Car à l’époque, nous n’avions pas les mêmes certitudes sur le réchauffement climatique qu’aujourd’hui. » Cette initiative s’inscrit toutefois dans un contexte de prise de conscience scientifique de plus en plus partagée d’un réchauffement climatique d’origine anthropique. Comme l’attestait par exemple la création du GIEC, l’année précédente. La place de la Réunion, n’est-elle pas auprès de cette alliance plutôt que représentée par l’ancienne puissance coloniale ? Les conséquences du réchauffement climatique seront aussi critiques pour nous. A quand, une voie Réunionnaise institutionnalisée qui nous permettra de discuter de nos problèmes d’égal à égal avec nos voisins. Jusqu’ici nous servons juste de variable d’ajustement pour l’ancienne puissance coloniale.

« Pour survivre, nous avons besoin de limiter le réchauffement à +1,5 °C. 2 °C serait une condamnation à mort pour les populations d’Antigua-et-Barbuda, des Maldives, des Fidji, du Kenya ou du Mozambique, des Samoa et de la Barbade. » Mia Mottley

Nou artrouv’

David Gauvin


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