Domenico Lucano, un maire italien condamné pour délit d’humanité

19 novembre 2021, par David Gauvin

Le 30 septembre 2021, Domenico Lucano, ancien maire de la petite ville de Riace (Calabre), s’est vu infliger une peine de treize ans et deux mois de prison, assortie d’une amende de 750 000 euros.

Photo Carlo Troiano, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/license...> , via Wikimedia Commons

« Aujourd’hui, je suis mort à l’intérieur. Je n’ai pas les mots. Je ne m’attendais pas à cette condamnation. » Domenico Lucano se dit “détruit”. L’ancien maire de Riace, en Calabre (sud de l’Italie), va faire appel de sa condamnation, prononcée par le tribunal de Locri. Mais le coup est dur. Celui qui a longtemps été une figure emblématique de l’accueil des migrants en Italie a été condamné à treize ans de prison. Une peine bien supérieure aux huit années d’emprisonnement que demandait le procureur. Il devra également rembourser 500 000 euros qui avaient été versés par l’Union européenne et le gouvernement italien. Domenico Lucano était accusé d’avoir organisé des mariages de convenance pour aider des femmes déboutées du droit d’asile à rester en Italie. La justice reprochait également à l’ex-édile de ne pas avoir fait d’appel d’offres pour la gestion des ordures du village de Riace et de l’avoir attribuée à des coopératives liées aux migrants. « Association de malfaiteurs, abus de pouvoir, extorsion et détournement de fonds », la liste des chefs d’accusation était longue, mais “Mimmo”, comme il est surnommé en Italie, était persuadé qu’il allait être acquitté.

Qui est Domenico Lucano ? C’est un citoyen d’un bourg du sud de l’Italie qui, il y a vingt ans, était abandonné aux griffes de la ‘Ndrangheta (la mafia locale) et délaissé par ses habitants, contraints de partir vers le nord pour trouver du travail. Quelle est l’histoire de Domenico Lucano ? Le 1er juillet 1998 un bateau de migrants kurdes s’échoue sur la plage de Riace. Des habitants sans maison débarquent dans un village où les maisons n’ont plus d’habitants. Domenico Lucano réussit alors à contacter les propriétaires des maisons de Riace à qui il demande la permission d’ouvrir les portes de leurs demeures vides. Petit à petit, Riace devient la ville de l’accueil. Devenu maire de Riace, il a développé un modèle d’hospitalité et la petite ville calabraise a vécu une renaissance et a renoué avec des savoir-faire ancestraux comme le tissage à la main et le pressage de l’huile d’olive. Domenico Lucano a sauvé des vies, créé de l’espoir, refondé une ville perdue. La condamnation qui le frappe est lourde, exagérée et hors norme.

L’ancien maire de Riace avait été arrêté à l’automne 2018 et placé en résidence surveillée. A l’époque, le ministre de l’Intérieur était Matteo Salvini, le leader de la Ligue, un parti d’extrême droite. La gauche italienne avait alors dénoncé une « police politique ». Aujourd’hui, pour Enrico Letta, secrétaire du PD (Parti démocratique, centre gauche), « cette condamnation est terrible car elle va renforcer la défiance envers la justice de notre pays ». Sur son compte Twitter, Matteo Salvini estime au contraire que « la Calabre ne mérite pas d’avoir des escrocs, amis d’immigrés clandestins ». En 2010, Domenico Lucano avait pourtant été distingué comme l’un des « meilleurs maires du monde ». Il avait été cité en 2016 par le magazine Fortune comme l’une des personnalités les plus influentes. Il avait inspiré un docufiction à Wim Wenders et a été régulièrement invité dans des conférences internationales sur les migrations.

Pour reprendre les termes de la plaidoirie de son avocat, « Domenico Lucano est étranger aux accusations qui le concernent, car par nature il est incapable d’agir pour le gain, même politique ; comme le montre le fait qu’il a refusé d’être élu au Parlement européen, ce qui lui aurait permis de profiter de l’immunité liée au mandat de député européen. Domenico Lucano a agi comme représentant de l’Etat et interprète de la Constitution, confronté qu’il était à la démission des services publics qui s’avéraient incapables de donner assistance et protection aux migrants. Si, en tant que maire, il est allé au-delà de ce qu’il pouvait faire, ce n’est certainement pas pour le pouvoir, mais par conviction et pour poursuivre un idéal, pour répondre à ce que demande notre Constitution ». Que reproche-t-on au fait à Domenico Lucano, un délit d’humanité et d’avoir voulu faire d’un crime contre l’humanité un message d’espoir. Nous Réunionnais, peuple issus de multiples crimes contre l’humanité, ne pouvons qu’apporter notre soutien à ce grand Homme.

« Quest’è il fiore del partigiano,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Quest’è il fiore del partigiano,
Morto per la libertà. » Bella Ciao

Nou artrouv’

David Gauvin

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