Grande-Synthe : le tribunal attend les mesures de l’État sur le climat
6 avril 2022, par
Saisi par Grande-Synthe, commune du littoral du Nord, le Conseil d’État avait donné en juillet neuf mois au gouvernement français pour « prendre toutes mesures utiles » afin de ramener les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, à un niveau compatible avec les objectifs de la France. Soit une baisse de 40% d’ici 2030 par rapport à 1990.
À quelques jours de l’échéance, le gouvernement n’avait pas transmis de dossier exposant les mesures prises pour respecter l’injonction de la justice. Toutefois le gouvernement peut légalement ne pas justifier de ses actions. S’ils ne demandent pas formellement au Conseil d’État l’apport de preuves par l’État lui-même, ce dernier n’est pas censé en apporter ». Le Conseil examine de son propre chef la situation. Le dossier judiciaire ne connaîtra donc pas a priori de rebondissement jeudi. Une fois les actions du gouvernement examinées, le Conseil d’État pourra rouvrir l’instruction du dossier et convoquer une nouvelle audience entre les parties. Le tout devrait durer plusieurs mois. De son côté, Corinne Lepage, avocate de la commune et elle-même ancienne ministre de l’Environnement, entend demander au Conseil de constater la carence de l’État et prononcer à son encontre une astreinte financière. « Je suis dubitative » sur la possibilité pour le gouvernement de répondre à l’injonction, dit-elle. D’autant qu’il avait par avance inclus dans son argumentation les effets attendus de la loi « Climat et résilience », adoptée en août. Loi qui porterait « dans le meilleur des cas » la réduction des émissions à 38%, souligne l’avocate. Et de résumer : « S’il n’y a rien de plus, ils sont complètement dans les choux ».
Dans cette affaire, la ville de Grande-Synthe (Nord) et son maire de l’époque, Damien Carême, ont attaqué le refus du Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les obligations climatiques de la France. Les requérants avaient été rejoints dans leur action par les villes de Paris et de Grenoble, ainsi que par les quatre associations écologistes (Notre Affaire à tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) à l’origine de l’Affaire du siècle, l’autre grand contentieux climatique en cours devant les juridictions françaises. Par une première décision en date du 19 novembre 2020, qualifiée de « tsunami juridique » par les professeurs de droit Béatrice Parance et Judith Rochfeld, le Conseil d’État a admis la recevabilité des requêtes des villes de Grande-Synthe mais aussi de celles de Paris et de Grenoble. Surtout, il a constaté le non-respect du budget carbone de la France pour la période 2016-2019 et donné un délai de trois mois au Gouvernement pour qu’il donne la preuve de sa capacité à atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Un objectif qui, entre-temps, a été rehaussé par l’Union européenne qui vise maintenant une réduction de 55 % pour cette même échéance.
Lors de l’audience qui s’est tenue ce vendredi 11 juin au Conseil d’État, le rapporteur public a conclu à l’annulation du refus implicite de l’État à agir. Mais, surtout, il demande à la Haute juridiction administrative de contraindre l’État à prendre sous neuf mois toute mesure permettant d’infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national pour la rendre compatible avec les objectifs de réduction fixés par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019. Le rapporteur public n’a, semble-t-il, pas été convaincu par la défense de l’État fondée principalement sur le projet de loi Climat et résilience encore en cours de discussion au Parlement. Il faut dire que pas moins de trois instances, le Haut Conseil pour le climat, le Conseil national de transition écologique et le Conseil économique, social et environnemental, ont jugé ce texte insuffisant. Par un mémoire réalisé avec l’aide du bureau d’études Carbone 4, les associations de l’Affaire du siècle ont également montré que les mesures actuelles adoptées par la France sont insuffisantes pour atteindre les objectifs climatiques qu’elle s’est fixée.
A l’échelle mondiale, 90 entreprises sont, à elles seules, à l’origine des deux tiers des émissions gaz à effet de serre Les changements climatiques entraînés par ces émissions affectent tragiquement certaines populations dans le monde. Il est donc indispensable que ces entreprises changent de modèle économique et soient traduites en justice, et que les États, seuls à même de prendre des mesures à la hauteur du défi climatique, soient contraints à agir en modifiant le cadre réglementaire pour les entreprises et en accompagnant les transformations industrielles et sociétales à engager. Le levier juridique est un instrument qui permet de soutenir ces objectifs. Les coupables du dérèglement climatique doivent être tenus responsables des phénomènes climatiques extrêmes qu’ils engendrent (comme les tempêtes, les inondations ou les sécheresses extrêmes, la montée des eaux…) et qui ont déjà fait de nombreuses victimes, généralement parmi les populations les plus pauvres du globe qui, de par leur mode de vie, sont aussi les moins responsables du dérèglement du climat. Les inégalités climatiques recoupent bien souvent les inégalités économiques, que ce soit à l’échelle mondiale ou à celle des pays. Face à ce scandale, le mouvement pour la justice climatique a pris de l’ampleur. Sa revendication consiste à demander des comptes aux industries et entreprises climaticides pour les dommages irréversibles qu’elles provoquent, c’est-à-dire à les tenir juridiquement responsables des dégâts humains et environnementaux dont elles sont la cause. En effet, les dégradations environnementales constituent des violations des droits fondamentaux, comme le droit de vivre dans un environnement sain ou encore le droit à la santé.
"Notre génération peut être la première à mettre fin à la pauvreté - et la dernière génération à lutter contre le changement climatique avant qu’il ne soit trop tard." Ban Ki-moon
Nou artrouv’
David Gauvin