La condamnation de la banque UBS pose la question plus large de la réforme fiscale

15 décembre 2021, par David Gauvin

La banque UBS a été condamnée à régler la plus importante amende jamais prononcée en France dans une affaire de fraude fiscale. Soupçonnée d’avoir organisé un système d’aide à l’évasion fiscale, elle a été condamnée à un total d’1,8 milliard d’euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal en France.

Notre système fiscal est le pilier du financement du modèle redistributif français. En 2015, notre modèle redistributif permettait à 5 millions de Français et Françaises d’être au-dessus du seuil de pauvreté grâce à des politiques de solidarité et à nos services publics financées par l’impôt. Ce modèle est pourtant aujourd’hui sous pression, alors que la crise du Covid-19 a plus que jamais montré à quel point l’approche d’économie de bout de chandelle en matière de financement de la santé ou de l’éducation a fragilisé nos services publics. Depuis 20 ans, les réformes successives ont transféré le poids de la fiscalité des entreprises et des plus riches vers les classes moyennes et populaires. Entre 2000 et 2019, les recettes de la TVA et de la CSG, qui pèsent proportionnellement plus sur les plus précaires que sur les plus riches, ont ainsi augmenté respectivement de 25% et de 370%. Sur la même période, les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) ont baissé de 23%. La dernière réforme fiscale de 2017, avec la suppression de l’ISF et la mise en place de la flat tax, est venue encore davantage accentuer cette tendance dans des proportions inédites. Selon la dernière étude de l’Institut des politiques publiques, les 1% les plus riches ont été les grands gagnants des réformes du quinquennat d’Emmanuel Macron. Leur niveau de vie a augmenté en moyenne de 2,8% alors que les 5% des ménages les plus modestes ont perdu jusqu’à 0,5% de pouvoir d’achat.

La fraude fiscale désigne la violation par un individu ou une personne morale des lois fiscales de son pays afin d’échapper au moins partiellement à l’impôt. En France, Solidaires Finances Publiques chiffre la fraude entre 80 et 100 milliards d’euros chaque année. L’évasion fiscale renvoie quant à elle à l’évitement de l’impôt par l’utilisation des failles du système fiscal. Ces stratégies ont souvent une dimension plus internationale et restent une partie du temps inscrites dans un cadre légal. Pour reprendre une expression célèbre utilisée par Denis Healey, ministre des Finances britannique dans les années 70 : "la différence entre la fraude et l’évasion fiscale se réduit à l’épaisseur d’un mur de prison". « Sur l’ensemble de l’année 2020, les encaissements suite à contrôle fiscal atteignent 7,79 milliards d’euros, soit un niveau proche de ceux de l’année 2018 (7,73 milliards d’euros) », rapporte un communiqué de Bercy. Il précise que le taux brut de recouvrement des sommes dues après contrôle s’est amélioré, passant de 51 % à 59 %. Cela confirme que d’année en année, le gouvernement joue petits bras sur le sujet. Chaque année, on claironne les chiffres de l’argent récupéré. Mais par rapport au montant total de l’évasion fiscale, c’est très très loin du compte. Le gouvernement essaye de faire croire qu’il met tout en œuvre pour détecter l’argent dissimulé, mais n’est pas à la hauteur des enjeux. Prenez les révélations OpenLux du journal Le Monde : 55 000 sociétés offshore qui détiennent 6 500 milliards d’euros d’actifs. Il n’y a pas besoin de datamining, c’est dans la presse ! Il y a un écart saisissant entre ces petits chiffres du jour et les montants astronomiques publiés.

La banque suisse UBS envoyait des commerciaux pour convaincre les riches clients de sa filiale française d’ouvrir des comptes non déclarés en Suisse. Elle a été condamnée lundi à 1,8 milliards d’euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal en France. Une peine largement inférieure à celle prononcée en première instance. La sanction financière a été taillée à la hache. La cour d’appel de Paris a en effet considérablement réduit la sanction contre le géant mondial de la gestion de fortune, qui s’était vu infliger le 20 février 2019 une amende sans précédent de 3,7 milliards d’euros ainsi que 800 millions d’euros de dommages et intérêts à l’État, partie civile. Près de trois ans plus tard, la cour d’appel a prononcé une amende de 3,75 millions d’euros, une confiscation d’une somme d’1 milliard d’euros sur la caution d’1,1 milliard versée par le groupe, ainsi que les mêmes 800 millions d’euros de dommages et intérêts. La filiale française UBS France a été relaxée des poursuites pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale, mais condamnée pour complicité de démarchage bancaire illégal, à 1,175 million d’euros d’amende - contre 15 millions en première instance. Cette condamnation est juste le dernier épisode d’une lutte qui ne se fait pas à arme égale.

Les choix fiscaux du prochain gouvernement seront un marqueur des ambitions du quinquennat. Le gouvernement élu se retrouvera face à de multiples contraintes, entre une tentation de mettre en place une politique d’austérité pour payer au plus vite la facture du « quoi qu’il en coûte » et des besoins de financements importants pour protéger les plus précaires, renforcer les services publics et investir dans la transition bas carbone. La crise a exacerbé les inégalités : si le chômage partiel a limité l’explosion de la pauvreté, il a laissé de côté les besoins des plus pauvres dans notre société. Alors que les 20% des Français les plus précaires ont dû puiser dans leurs économies pour faire face à la crise, les 10% les plus riches ont vu leur épargne augmenter de plus de 25 milliards d’euros. Aux extrémités, le constat est encore plus frappant : les milliardaires ont vu leur fortune augmenter de 40% alors que 7 millions de personnes ont désormais besoin d’aide alimentaire. La crise a également montré le prix de l’inaction : les dépenses imprévues en achat de masques et le manque de lits d’hôpital ont marqué notre impréparation à faire face à une crise systémique. La justice fiscale ne peut plus attendre. Et n’oublions jamais que les 80 milliards de fraude représente plus que le budget de l’éducation nationale (53,6 Milliard). Cette masse permettrait enfin d’arrêter de pressurer ceux qui ne peuvent pas frauder…comme toujours les classes moyennes.

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » article 13 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Nou artrouv’

David Gauvin

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