COVID-19 : faisons le choix de l’humanité et non des big Pharma, il faut lever les brevets sur les vaccins

13 janvier 2022, par David Gauvin

La crise liée à la Covid-19 n’est pas encore derrière nous. Dans ce contexte, pour les autorités, la vaccination de masse s’impose de plus en plus comme la stratégie la plus efficiente pour restreindre la circulation virale et réduire la fréquence des formes graves de la maladie. Malheureusement, certains pays n’ont pas accès aux vaccins et des voix s’élèvent en faveur de la levée des brevets sur ces produits afin de remédier en partie à cette situation.

Face à la pandémie de Covid-19 qui s’est répandue à l’échelle planétaire et à la course aux traitements qui s’en est suivie, de nombreuses voix ont réclamé que les vaccins mis au point soient accessibles à tous et considérés comme un bien commun mondial. La mise au point et la commercialisation de vaccins efficaces contre les formes graves de Covid-19 ont exacerbé les tensions entre les pays riches pouvant précommander des milliers de doses de vaccins et les autres, pour lesquels l’accès aux vaccins est beaucoup plus difficile. Cette inégalité est encore aggravée par le fait que la production de vaccins est insuffisante pour faire face à la demande mondiale.
Afin de pallier cette pénurie de traitements, des appels à renoncer aux brevets ont été lancés et ont fait l’objet d’une demande officielle de « levée » de la part de l’Inde et de l’Afrique du Sud à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), rapidement rejointes par d’autres pays en développement. La pression mise sur les laboratoires pharmaceutiques produisant les vaccins et sur les pays riches sur le territoire desquels ces laboratoires sont implantés a connu une nouvelle poussée début mai 2021, à l’approche de la réunion du conseil général de l’OMC. Les demandes de « levée » des brevets ont été largement relayées par les médias et ont obtenu le soutien de personnalités, parmi lesquelles le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, dans un article intitulé « Waive Covid vaccine patents to put world on war footing »

Le brevet est un titre délivré par un organisme public (l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France, ou United States Patent and Trademark Office (USPTO) aux États-Unis, etc.) ou une autorité reconnue par l’État (l’office européen des brevets par exemple), et qui octroie à son titulaire un droit exclusif d’exploitation de l’invention limité dans le temps (généralement 20 ans à compter du dépôt de la demande) et l’espace. À l’expiration du monopole d’exploitation, l’invention tombe dans le domaine public et peut être librement exploitée par tous. En France, les médicaments furent longtemps exclus de la brevetabilité, jusqu’à l’ordonnance n° 59-250 du 4 février 1959 créant le brevet spécial de médicament. La loi n° 78-742 du 13 juillet 1978 a aligné le droit français sur la convention sur le brevet européen de 1973 (CBE ou convention de Munich), intégrant le médicament dans le droit commun des brevets. La brevetabilité du médicament est désormais reconnue dans la plupart des États, en application de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, ou TRIPS en anglais), qui constitue l’annexe Propriété intellectuelle du traité de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce. Tous les pays membres de l’OMC sont en effet tenus de délivrer un brevet pour toute invention de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, dès lors que les conditions de brevetabilité sont réunies. Une justification traditionnelle du brevet est le « contrat social » conclu entre l’inventeur et la société : l’inventeur obtient un monopole attaché au brevet en échange de la divulgation de l’invention au public, et de l’enrichissement de la société par ces nouvelles connaissances techniques.

Les défenseurs de la levée avancent d’abord un argument pratique. La production actuelle de vaccins semble ne pas suffire au regard de l’enjeu mondial que représente la maîtrise de l’épidémie. « Il est indispensable que toute l’industrie pharmaceutique (…) se mobilise en urgence en obtenant des compagnies qui les ont produits les licences nécessaires », estimaient, en février, dans une pétition, Richard Benarous, ex-directeur du département des maladies infectieuses de l’Institut Cochin, et Alfred Spira, membre de l’Académie de médecine. « Se priver des compétences de milliers de scientifiques et de chaînes de production vaccinales partout sur le globe serait absurde », abondait Lucas Chancel, codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’Ecole d’économie de Paris (PSE), dans une tribune au Monde. Ce camp rappelle volontiers que les laboratoires ont eu besoin de l’argent public pour développer les vaccins aussi vite. Sous l’autorité de Donald Trump, les Etats-Unis ont consacré 14 milliards de dollars (12 milliards d’euros) à l’opération « Warp Speed », un partenariat public-privé qui a permis le développement de ces produits. Interrogé en février par le Huffington Post, le secrétaire général du Parti communiste français, Fabien Roussel, considérait que cet effort du contribuable donnait le « droit de demander à cette industrie de libérer les brevets ».

C’est l’enjeu de fond derrière les aspects juridiques et techniques du partage des brevets. Aujourd’hui, les entreprises pharmaceutiques sont organisées à l’échelle mondiale et peuvent se permettre de mettre en concurrence des états divisés. Or ici, il s’agirait pratiquement de changer le paradigme de fonctionnement du marché mondial des médicaments. Cela ne pourrait se faire que si les Etats agissent de manière solidaire et concertée. Dans le rapport « Big Pharma takes it all », Public Eye analyse les stratégies des géants de la pharma pour maximiser leurs bénéfices et la manière dont ils tirent profit de la crise, alors même que leurs produits ont été massivement financés par des fonds publics. Les pays riches, comme la Suisse, protègent les intérêts de leur industrie pharmaceutique, en entravant les efforts déployés à l’international en faveur d’un accès équitable aux vaccins, tests et traitements contre le Covid-19. Or la santé est un droit humain que les États ont le devoir de protéger. S’il n’est pas garanti, ils doivent intervenir. Tant que l’accès aux vaccins n’est pas favorisé partout, les variants continueront d’émerger. Dans ce sens, la cinquième vague et omicron ne sont pas une surprise : c’est le résultat de choix politiques. Le fait de ne pas avoir permis une large vaccination à travers le monde, et d’avoir empêché les pays du Sud de vacciner, a largement favorisé la circulation du virus et l’apparition de variants. Moins de 5 % des populations des pays à bas revenus et moins de 50 % de la population mondiale ont reçu une première dose de vaccin. La Suède a reçu neuf fois plus de doses de la part du laboratoire Pfizer que l’ensemble des pays à bas revenus réunis. Tant que ces inégalités vaccinales perdureront, on ne sortira pas de la crise sanitaire. Pour en finir avec la pandémie, il faut lever les brevets, pour que les pays pauvres puissent produire leurs vaccins. Heureusement, l’arrivée massive des traitements antiviraux, tels que le Paxlovid, prévue en 2022, pourrait permettre d’éviter ce scénario du pire. Pris quelques jours après l’apparition de symptômes, ils permettent de limiter la survenue de formes graves, donc la saturation des hôpitaux. Quant à la fin de la pandémie, bien malin qui pourra la prédire. Ce qui est certain, c’est que l’évolution de l’immunité et la nature des prochains variants seront la clés.

« Tout homme doit s’intéresser au bien de l’humanité. » Voltaire

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David Gauvin

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