Le chœur des ruminants

18 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

« Le meilleur d’entre nous ». C’est par cette formule que Jacques Chirac désignait Alain Juppé, alors son premier ministre, avant son éjection de Matignon par le mouvement social de 1995. La population avait alors rejeté en bloc le plan de réforme des retraites élaboré par le « meilleur », qui l’année précédente, avait déjà dû retirer le CIP, projet d’embauche à vil prix des jeunes travailleurs.

C’est à croire que les compliments en politique ne portent pas plus bonheur que les promesses n’engagent ceux qui les prononcent. On se souviendra des « amis de trente ans », titre décerné au couple de potes Chirac-Balladur, à l’heure où le second tentait de flinguer le premier et réciproquement. L’un des porte-flingues d’Edouard Balladur, un certain Nicolas Sarkozy, se signalait alors, dit-on, par son arrogance et sa certitude de l’emporter. Une fois Balladur et les balladuriens mis out, le « petit Nicolas » — c’était le sobriquet dont l’affublait alors le journal satirique du mercredi — se retrouva dans les choux, à encaisser les formules, cette fois peu amènes, du promoteur numéro un de l’humour corrézien. Dont la fameuse « Sarkozy, faut pas hésiter à marcher dedans. Du pied gauche, ça porte bonheur ».

Mais ces vexations n’étaient rien, sans doute, face au grand silence qui pesait d’un poids de tombeau sur le « meilleur d’entre nous ». Traversant le désert (c’est comme ça qu’on dit en politique lorsqu’on est sur la touche et que l’on n’intéresse plus grand monde), Alain Juppé se livrait, nous a-t-il dit depuis, à de longues et solitaires réflexions. Et découvrit, par exemple, l’impératif du développement durable. De cette illumination naquit un petit ouvrage décrivant le crime qu’il y avait à manger des cerises en hiver, et une ambition renouvelée à occuper les plus hautes fonctions. Tilamp tilamp, le « meilleur d’entre nous » a retrouvé le chemin des honneurs et des ministères.

Après un bref — et cuisant — passage au sein d’un « superministère » du développement durable, suivi de quelques remous, le sort des armes politiques a fini par porter le brillant mal-aimé à la place de Bernard Kouchner. Un autre amateur de petites phrases qui, bien avant le Laurent du même nom, « comptait les Blancs » dans l’équipe de foot nationale.
Depuis, le « meilleur » semble enfin avoir compris la règle interne du sarkozisme, qui consiste à s’écraser. Et s’est retrouvé à jouer les va-t-en-guerre en Libye, après avoir tenté quelques jours de jouer au gaulliste attentif à la paix et à l’équilibre du monde Arabe. Puisqu’il faut écraser, autant descendre le plus bas possible, semble-t-il se dire, rejoignant la morale d’un autre “bon” dans son genre, l’ex-socialiste Eric Besson placé par Nicolas Sarkozy à la gestion des camps de réfugiés et à la bonne gouvernance des charters. C’est en tout cas ce que laisse penser le discours proféré par le « meilleur d’entre nous » en Algérie, où il a donné à son tour dans la petite formule. Face aux représentants de ce pays qui fêtera dans quelques mois les 50 ans d’une indépendance acquise à travers tant de souffrances, le ministre des Affaires étrangères s’est plaint à plusieurs reprises du « ressassement » de l’histoire coloniale.

Ce qui revient à peu près à dire : on vous a massacrés, gazés, passés à la gégène, on a violé les femmes et tués les enfants, on a noyé des centaines d’Algériens en plein Paris le 17 octobre 1961, mais cessez donc de nous importuner avec ça. En résumé : « Faites pas c… », comme disait la veille aux journalistes le délicat Besson. Une bien vilaine étape dans le parcours du « meilleur d’entre nous » : pour se faire bien voir côté Marine, il a rejoint à son tour le chœur des ruminants, qui ânonnent le thème de la « repentance » à chaque fois qu’il est question de regarder en face une part d’un passé partagé… et créent ainsi les conditions pour que ce qui devrait être histoire et mémoire demeure, justement, au stade du « ressassement ».

 G.G.-L. 


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Messages

  • 50 ans d’indépendance !! 50 ans que le pays a pris son indépendance et c’est d’ailleurs un beau parallèle avec le printemps arabe de cette année où encore une fois une révolution a permis au peuple de prendre son indépendance. Comme si un signe interieur venait se greffer sur cette fête d’indépendance, un signe qui renvoie vers quelques mois de 2010/2011

     
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