Malcolm X, une figure centrale de l’émancipation des noirs américains

20 novembre 2021, par David Gauvin

Au terme d’une nouvelle enquête de vingt-deux mois, deux hommes condamnés pour le meurtre, en 1965, du leader noir américain ont été innocentés.

Ils ne sont plus les assassins de Malcolm X. Muhammad A. Aziz et Khalil Islam n’ont pas tiré les coups de feu qui furent fatals à Malcolm X, le 21 février 1965. Plus d’un demi-­siècle après les faits, une nouvelle enquête – menée conjointement par le bureau du procureur de New York et les avocats des deux hommes – a conclu à l’erreur judiciaire. La demande d’annulation des condamnations a atterri jeudi sur le bureau de la Cour suprême de l’État de New York, qui, selon toute vraisemblance, devrait y donner suite. « Tout cela n’aurait jamais dû arriver. Ces faits étaient et sont la conséquence d’un processus corrompu jusqu’à la moelle qui reste trop familier, même en 2021 », a réagi Muhammad Aziz, aujourd’hui âgé de 83 ans. Sorti de prison en 1985, après vingt ans de geôle et de mitard, il a toujours clamé son innocence. Son coaccusé, Khalil Islam, est décédé en 2009.

« Corrompu jusqu’à la moelle »… Sans reprendre la formule, l’enquête en étale à chaque page la véracité. Les procureurs, le FBI et la police de New York « ont dissimulé des preuves cruciales qui, si elles avaient été connues, auraient probablement conduit à l’acquittement des deux hommes », selon le New York Times, qui a eu accès au dossier. Le quotidien fait état fait d’ « un grand nombre de documents du FBI impliquant d’autres suspects » et de « notes des procureurs montrant qu’ils ont omis de divulguer la présence d’agents infiltrés dans la salle au moment de la fusillade ».

Né Malcolm Little en 1925 dans le Nebraska, il descend d’une famille d’esclaves : "Mon père a reçu son nom par son grand-père, qui l’avait reçu de son grand-père qui l’avait lui-même reçu de son maître quand il était esclave. Les vrais noms de notre peuple ont été détruit pendant l’esclavage." Malheureusement, il devient vite orphelin de père. Il n’a que six ans quand il décède, sous les roues d’un tramway. Si la police a conclu à un accident, Malcolm et sa famille affirmeront que son père a été assassiné par un groupe de suprémacistes blancs affilié au Ku Klux Klan dont il avait reçu de fréquentes menaces de mort. Il est donc frappé par le racisme dès son enfance. À 13 ans, un professeur lui assène qu’il ne sera jamais avocat car il est noir. Adolescent, il bascule dans la délinquance. À 21 ans, il est arrêté pour vol à New York et est condamné à dix ans de prison. Un système d’incarcération qu’il dénoncera en 1962 : "Les prisons ne sont pas faites pour réhabiliter les ‘Nègres’. Elles sont conçues pour perpétuer les tendances criminelles des ‘Nègres’. » Derrière les barreaux, il se passionne pour l’Histoire et se convertit à l’islam. Libéré sur parole six ans plus tard, il change de nom pour Malcolm X et se met au service de la Nation of Islam. Cette organisation religieuse prône un suprémacisme noir et la création d’un État noir indépendant dans le Sud des États-Unis. Pour lui, le nationalisme noir "signifie que les hommes noirs doivent contrôler la politique de leur communauté et les politiciens de cette communauté. »

Progressivement, cependant, Malcolm X est tenté de secouer l’indifférentisme politique recommandé par Elijah Muhammad, le gourou de la secte, et multiplie les initiatives qui inquiètent ce dernier et agacent d’autres dirigeants jaloux de son ascension fulgurante. Réduit au silence et marginalisé alors qu’on voyait en lui un successeur probable d’Elijah, impressionné par la vigueur du mouvement des droits civiques qu’il condamne pourtant pour ses illusions intégrationnistes, il prend le risque de la rupture en 1964 et s’attelle à la construction de deux nouvelles organisations : une mosquée – The Muslim Mosque Inc. –, chargée de répandre le message de l’islam sunnite auquel il s’est rallié, et un mouvement politique – l’Organisation pour l’unité afro-américaine – destiné à rassembler tous les Afro-Américains, par delà leur allégeance religieuse, autour d’un nouveau projet de libération qui cherche encore sa voie. C’est en faisant son pèlerinage à La Mecque et en rencontrant des militants et des dirigeants anticolonialistes dans différents pays africains – où il se lie à Che Guevara – que Malcolm espère trouver une réponse aux questions qui l’assaillent. À son retour, il annonce renoncer définitivement à l’idéologie racialiste et séparatiste pour proposer une nouvelle démarche politique, ancrée dans les luttes des peuples dominés par le colonialisme. Malcolm s’engage alors dans une violente campagne contre l’organisation à laquelle il a appartenu et multiplie les révélations compromettantes mettant directement en cause le chef de la NOI.

Lorsqu’il se présente à l’Audubon Ballroom, une salle de spectacle de Harlem, Malcolm X sait que sa vie est en danger. Il l’a dit et répété à des journalistes : « Je vis comme un homme qui est déjà mort. » Sa spectaculaire rupture avec Elijah Muhammad, fondateur de la Nation of Islam, le place dans le viseur de ce mouvement dont la dévotion dogmatique se dispute à l’organisation quasi militaire. Esprit brillant et libre, Malcolm X comprend, au fil de la première moitié des années 1960, la portée politique du mouvement des droits civiques. Son ancien mentor s’entête. Malcolm X prononce le divorce, se rapproche de Martin Luther King, se convertit à l’universalisme. Le pouvoir ne l’accuse plus de racisme mais de socialisme. Beaucoup plus dangereux. Il est en danger sur tous les fronts. Une semaine auparavant, sa maison a été incendiée alors qu’il y dormait, avec femmes et enfants. Le matin du 21 février 1965, un reporter du New York Daily News reçoit un appel anonyme annonçant le meurtre de Malcolm X. Pourquoi si peu d’actions de protection de la part des autorités ? Le FBI, sous la coupe du paranoïaque anticommuniste J. Edgar Hoover, a-t-il sciemment laissé faire, satisfait de se débarrasser d’un « ennemi » d’envergure ? A-t-il mis la main à la pâte ?

En février de cette année, les filles de Malcolm X ont reçu une lettre posthume d’un policier. Il y affirmait qu’il avait été « infiltré » par sa hiérarchie auprès du leader noir afin de piéger deux de ses gardes du corps, arrêtés quelques jours seulement avant le jour fatidique, afin d’affaiblir sa sécurité. L’enquête sur la mort de l’un des dirigeants noirs les plus influents et charismatiques du siècle n’est pas tout à fait achevée, même si elle a libéré deux innocents d’un fardeau indu. Il est courant d’entendre dire au lendemain de la mort d’un grand martyr que sa pensée va lui survivre. Cela n’est pas toujours vrai. Pour Malcolm X, cela est vrai et faux à la fois. Ses propositions stratégiques, dans leur incomplétude, et l’esprit de radicalisme qui l’imprégnait ont constitué une source essentielle d’inspiration des militants noirs au tournant des années 1970. Que l’on pense, par exemple, au mouvement Black Power ou aux Blacks Panthers. Mais, au-delà, c’est toute la culture militante et non militante des Afro-Américains qui en a été influencée, y compris dans ses formes artistiques et musicales. Dans le même temps, et alors que refluait la résistance noire directement politique, on a bien souvent voulu voir dans la figure iconisée de Malcolm l’incarnation d’un cheminement rédempteur qui, de la misère et de la délinquance, l’aurait conduit à retrouver fierté et estime de soi à travers l’expérience malheureuse d’un sectarisme racialiste avec lequel il aurait magnifiquement rompu pour redécouvrir les valeurs de fraternité universelle, de non violence et de liberté chères à Martin Luther King.

“Paix et liberté ne peuvent être séparées, car personne ne peut être en paix tant qu’il n’est pas libre.” Malcolm X

Nou artrouv’

David Gauvin

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  • Ce qui prouve une fois de plus l’efficacité factuelle de l’assassinat politique, et qui montre l’immaturité des sociétés humaines.


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