Ordonnance du 15 octobre 1960 : quand la lutte contre le terrorisme était utilisée contre la liberté d’opinion

16 octobre 2017, par J.B.

Lors du 50ème anniversaire de la promulgation de l’Ordonnance Debré, Roland Robert, victime de cette mesure scélérate, devant la reproduction de la photo prise à Gillot au moment du départ des exilés réunionnais.
(photo Toniox)

C’était hier une date importante de l’histoire de La Réunion. En effet, le 15 octobre fait référence au 15 octobre 1960, date de publication d’une ordonnance signée par Michel Debré, alors Premier ministre. Ce texte instaurait des mesures d’exception à l’encontre des fonctionnaires en poste en Guadeloupe, Guyane, Martinique et à La Réunion. Dans un article publié le 15 octobre 1977, « Témoignages » revenait sur cette date :

« En 1960, le Parlement à très grande majorité réactionnaire (UNR) accorda au gouvernement les pleins pouvoirs pour légiférer par ordonnances dans le cadre de la lutte contre l’OAS, groupement fasciste dont les activités mettaient en péril l’Etat.

Par un véritable détournement de pouvoir, Michel Debré, alors Premier ministre, étendit le champ d’application de ces pleins pouvoirs contre l’opposition démocratique des « départements d’outre-mer ».

L’ordonnance-Debré était en effet promulguée le 15 octobre de la même année.

Aux termes de cette ordonnance, qui faisait de l’arbitraire un principe, sur « simple proposition du préfet », un fonctionnaire dont « le comportement » était jugé par ce représentant du pouvoir, « de nature à troubler l’ordre public », pouvait « être rappelé d’office en métropole » afin d’y recevoir de son ministère une autre affectation.

Et en août 1961, moins d’un an après sa promulgation, des quatre vieilles colonies françaises, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion, des dizaines de fonctionnaires furent mutés d’office et prirent pour la plupart le chemin de l’exil. »

Les victimes de cette ordonnance ont alors constamment lutté pour rentrer. Elles bénéficiaient de la solidarité des communistes en France, et dans leurs pays. Malgré les décisions judiciaires contre le pouvoir, il a fallu que les exilés mènent une grève de la faim en 1972, puis que le Parlement abroge en octobre 1972 à la quasi-unanimité « l’ordonnance Debré » pour que les fonctionnaires ne puissent plus être expulsés de La Réunion en raison de leurs opinions. Ce n’est qu’à partir de 1975 que furent réintégrés dans la fonction publique les communistes qui avaient démissionné de leur poste pour ne pas être expulsés.

Cet épisode dramatique de l’histoire de La Réunion compte encore bien des témoins parmi les victimes. Mais il n’est malheureusement pas à l’ordre du jour dans les programmes scolaires, et n’est pas non plus l’objet d’émissions de télévision. Il est pourtant révélateur de jusqu’où un pouvoir peut aller pour faire taire ses opposants, quitte à détourner l’application d’une mesure d’exception prise au nom de la lutte contre le terrorisme.

L’ordonnance du 15 octobre 1960 ramène également aux origines de la crise qui frappe La Réunion : combattre par tous les moyens les organisations qui s’opposent à la domination du système néo-colonial.

J.B.

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Messages

  • Bonjour,

    Un article de la Nouvelle République d’Indre-et-Loire du samedi 14 avril sur "L’enfance volée des Réunionnais de la Creuse", en quelque sorte un genre de déportation de jeunes Réunionnais sur la métropole décidée par Michel Debré pour repeupler le département de la Creuse, a ravivé mes souvenirs envers un ami et collègue réunionnais super-sympathique que j’avais connu à mon arrivée, en tant qu’agent de recouvrement, à la Trésorerie Générale à Tours en février 1970. Il était contrôleur du Trésor Public et cela faisait déjà 10 ans qu’il lui était interdit de retourner sur son île natale, étant frappé par l’ordonnance du 15 octobre 1960 à l’initiative de M.Debré.
    Il s’appelait Joseph Quasimodo. En 1971, nous l’avons tous soutenu dans sa lutte et sa grève de la faim à la bourse du travail de Tours. Avec d’autres Réunionnais frappés de la même disgrâce, sa lutte pour rentrer chez lui a été heureusement payante.
    Alors, quand j’ai appris sa mort en 2005, récemment par internet, j’ai été très triste de ne pas l’avoir revu, lui qui était si sympa et pourtant catalogué comme une personne dangereuse et subversive par "Mr le Maire d’Amboise et Député de la Réunion" !

    Bien cordialement.

    A.Lelu.


Témoignages - 80e année


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