Pandora Papers, la face sombre du capitalisme

5 octobre 2021, par David Gauvin

Après les Panama Papers, voici les Pandora Papers. Plusieurs dirigeants, dont le Premier ministre tchèque, le roi de Jordanie ou les présidents du Kenya et d’Equateur, ont dissimulé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment à des fins d’évasion fiscale, selon une enquête publiée dimanche par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Les Pandora Papers désignent la fuite de près de 11,9 millions de documents confidentiels faisant état d’évasion fiscale à large échelle de plusieurs milliers de personnalités politiques, publiques et de monarques. Parmi eux, trois cents responsables publics, trente-cinq chefs d’État et cent trente milliardaires sont directement mis en cause. L’ICIJ note que « ces documents révèlent que de nombreux acteurs puissants qui pourraient aider à mettre fin au système offshore en ont au contraire profité, en cachant des actifs dans des sociétés secrètes et des fiducies alors que leurs gouvernements ne font pas grand-chose pour ralentir un flux mondial d’argent illicite qui enrichit les criminels et appauvrit les nations ». Le nom « Pandora Papers » donné à cette enquête collaborative fait selon l’ICIJ référence à « l’héritage des Panama et des Paradise Papers, ainsi qu’au mythe de la boîte de Pandore qui évoque toujours une vague de problèmes et de malheurs ».

10 000 milliards d’euros d’actifs offshore

Acheter ou créer une société offshore n’est pas en soi illégal, mais rappelle l’ICIJ, « le secret qu’elle fournit peut couvrir des flux d’argent illicites, permettant la corruption, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme et la traite d’êtres humains et d’autres violations des droits de l’homme ». Alors que l’écart entre les plus riches et les plus pauvres continue à se creuser, cinq ans plus tôt éclatait le scandale des Panama Papers, la fuite de plus de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca détaillant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore. Parmi les actionnaires se trouvaient des hommes politiques, des milliardaires, des sportifs de haut niveau ou des célébrités. D’après un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2020, les autorités fiscales de près de 100 pays ont découvert, sur une année, 10 000 milliards d’euros d’actifs offshore répartis sur 84 millions de comptes bancaires. Un autre enjeu de l’enquête était de montrer comment l’opacité des systèmes offshore a aussi facilité « les manœuvres financières de personnes confrontées à des enquêtes criminelles ou à des poursuites civiles coûteuses », par exemple pour une entreprise chimique belge accusé de crime contre l’environnement ou pour un complice de la famille Colombo au sein de la mafia, ou la dissimulation de vol et contrebande d’œuvre d’art, reliques ou d’antiquités, parfois ensuite achetées par des musées de premier plan.

Milliers de sociétés-écrans

L’ICIJ a eu accès aux archives de quatorze cabinets spécialistes de la création de sociétés anonymes comme Trident Trust, DadLaw, SFM, Alcogal, Il Shin. Il s’agit du même rôle que le cabinet Mossack Fonseca dans les Panama Papers. Ces cabinets sont localisés dans des paradis fiscaux (Belize, îles Vierges britanniques (BVI), Chypre, Dubaï) et jouent un rôle central dans la création de milliers de sociétés-écrans. En montrant que plus des deux tiers des sociétés offshore exposées au grand jour par cette fuite ont été créées dans les îles Vierges britanniques, l’ICIJ confirme que ce territoire connu comme une juridiction particulièrement laxiste et avantageuse vis-à-vis de l’évasion fiscale joue un rôle majeur pour le maintien de la finance offshore secrète.
L’ICIJ a notamment montré que « cabinet d’avocats de l’élite latino-américaine », le cabinet d’avocats panaméen Alemán, Cordero, Galindo & Lee (en) (ou Alcogal) est, selon ces documents, celui qui a créé au moins 14 000 sociétés écrans et fiducies dans des paradis fiscaux. Alcogal est le fournisseur offshore le plus souvent mentionné dans les documents divulgués. Plus au nord, le plus grand cabinet d’avocats des États-Unis, Baker McKenzie, se révèle avoir aussi contribué à créer le système offshore contemporain. En France, on retrouve deux champions du libéralisme situés sur deux faces d’une même pièce, Dominique Strauss Kahn mais aussi Aymeric Chauprade, ex-conseiller de Marine Le Pen et élu Front national.

Les paradis fiscaux ne facilitent pas seulement les magouilles financières, ils sont au centre des stratégies des firmes et des flux bancaires internationaux. Evasion et fraude fiscales des riches et des entreprises, blanchiment d’argent mafieux, corruption, etc., pas une pratique financière internationale douteuse sans qu’un paradis fiscal - ces "bas-fonds de la finance internationale", comme l’écrivait déjà en 1968 l’éditorialiste du Figaro Alain Verney - ne soit impliqué. Et pourtant, les activités opaques des centres financiers off-shore , comme on dit diplomatiquement dans les instances internationales, sont par définition les moins connues. Les estimations du blanchiment d’argent ou de la fraude fiscale internationale sont soit fantaisistes, soit, lorsqu’elles prennent la peine d’expliquer en détail leur méthode, trahissent la multiplication des approximations auxquelles elles ont recours et la fragilité de leurs résultats. Or, le rôle des paradis fiscaux va bien au-delà des échos de magouilles financières qui nous en parviennent : ils représentent des piliers essentiels de la mondialisation économique.

« Le capitalisme est cette croyance stupéfiante que les pires des hommes feront les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde. « John Maynard Keynes

Nou artrouv’

David GAUVIN

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