Pauvres, sortez vos calculettes

3 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Ceux qui se seront donné la peine de décoller un peu de l’actualité faits-diversière et très « ladi-lafé » de ces dernières semaines auront remarqué les divers rapports, issus d’organisations internationales et d’observatoires, relatifs à l’état social et économique du monde. Dernier en date, le compte-rendu annuel du renommé Boston Consulting Group, a des allures de bonne nouvelle : il annonce que la richesse du monde s’est accrue de 8% (9.000 milliards de dollars en 2010).

Le nombre des millionnaires a, lui, augmenté de 12% et frise les 13 millions de foyers dans le monde. 5,5 millions d’entre eux se trouvent aux États-Unis d’Amérique.

Plus de richesses, mais pas pour tout le monde, précise un rapport au nom évocateur — « l’accroissement des inégalités au sein des pays de l’OCDE, ses moteurs et comment les politiques [publiques] peuvent l’enrayer ». L’Organisation de coopération et de développement économiques y constate un accroissement de 77% des inégalités chez ses membres, depuis le milieu de la décennie 1980. C’est particulièrement dans les pays développés les plus égalitaires que s’est creusé l’écart entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n’ont pas — ou ont de moins en moins.

Alors que les pays les plus inégalitaires, tels que le Mexique, la Turquie ou le Chili — qui partent de vrais gouffres sociaux à la fin des années 1970 — voient un certain comblement des écarts de revenus, l’Allemagne, le Danemark et la Suède sont, dit l’OCDE, « les pays où les inégalités ont cru le plus rapidement ces trois dernières années ». Pour les experts, l’intensification des inégalités ne concerne plus uniquement la distance entre riches et pauvres. Elle frappe les classes moyennes, de plus en plus éloignées des plus riches.

Autre expertise éclairante, le rapport produit par la société Deloitte… où l’on retrouve les millionnaires américains, dont elle confirme que leur nombre doublera à la fin de la décennie. Un processus qui marque un coup d’arrêt à la baisse de la richesse des plus riches, enregistrée au cours des dix années précédentes.

En clair : les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres, la classe moyenne en voie de disparition. Mais, dira le lecteur, ne m’a-t-on pas appris dès l’école, n’a-t-on pas inlassablement répété dans les médias, que la richesse de quelques-uns devait faire celle de tous, et que le monde tend vers la création d’une immense classe moyenne ? Savants, journalistes, hommes politiques ne congédient-ils pas d’un revers de main méprisant, comme « polémiques », les démonstrations prouvant qu’à l’évidence, la libéralisation à laquelle les riches ont réduit la mondialisation n’enrichit qu’eux-mêmes, aux dépens de tous les autres ?

Au final, l’argument de ces maîtres penseurs ne tient qu’à une opération, qui, si elle cessait d’être matraquée partout comme vérité indépassable, ne convaincrait plus même un enfant. Celle-ci consiste à prendre la richesse globale, et à la diviser par le nombre d’habitants… sans prendre en compte les mécanismes de redistribution sociale, dont le « rabotage », comme c’est le cas dans le Nord de l’Europe, accroît immanquablement les inégalités.

Pauvres, sortez vos calculettes et cessez de vous plaindre : telle est le conseil donné par les riches aux nécessiteux. Combien de fois, d’ailleurs, a-t-il été adressé aux 50% de pauvres de La Réunion, auxquels on affirme que leur île s’étant incroyablement développée en 50 ans, ils ne font pas des indigents crédibles…

G.G.-L.


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