Pendant que certains tentent de ressusciter la tentation hégémonique à gauche, on oublie la mère des batailles l’hégémonie culturelle

19 avril 2022, par David Gauvin

Le score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle pèse dans les négociations d’union à gauche, en vue des législatives. L’ombre de « l’insoumis », mais également celle de François Hollande plane sur cette possible reconstruction, qui donnerait à la gauche d’intéressantes opportunités électorales.

« Je crois que cette fois, le game, il est plié. » Raquel Garrido sait manier l’éloquence de l’avocate et le parler cash des plateaux d’Hanouna. Au soir du premier tour, « l’insoumise », soutien de Jean-Luc Mélenchon, cache à peine ses impressions. « La force de gauche, aujourd’hui, c’est nous. » Avec 7,7 millions de voix au premier tour, difficile de la contredire. En parlant de l’Union populaire comme d’une « force centripète », les lieutenants du troisième homme de la présidentielle veulent rendre naturel un mouvement, qui ne l’est pas forcément. « Il ne faut que LFI installe une espèce de rouleau compresseur », prévient le député PCF, André Chassaigne. Dans la foulée, LFI a proposé aux autres forces de gauche un rassemblement autour de leur programme et une répartition des places aux législatives, en fonction des résultats du premier tour de la présidentielle, réactivant les accusations « d’hégémonie ». Dès dimanche soir, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard tentait de couper court à ses attaques. « On a écrit aux autres forces de gauche, avant le premier tour, mais ils n’ont pas répondu », soulignait-il. Dans un second courrier, envoyé à tous les partis, sauf au PS, les « insoumis » ont fait monter les enchères et leur demandent même « de cesser les attaques » contre eux. « Il faut qu’on sorte du bac à sable », prévient Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe chez EELV.

La tentative de LFI est encore plus inacceptable que dans l’histoire personne n’est allé si loin. Déjà en 2019, la tête de liste d’EELV réélue au Parlement européen s’était réjouie de cette « vague verte » européenne et de son score (13,4 %) qui place les écologistes en troisième force du scrutin. Pour lui, une responsabilité incombe désormais à ses troupes : mettre en œuvre « la construction d’une alternative, d’un projet puissant », compatible avec les enjeux climatiques et sociaux et faisant barrage aux velléités des extrêmes droites européennes. Le chef de file prend un « engagement », celui de « mettre sur pied un comité citoyen d’initiative et de surveillance sur l’Europe qui réunira les acteurs de la société civile, les syndicats, les scientifiques, les entreprises et les citoyens » afin d’évaluer le travail des parlementaires et « d’en rendre compte chaque mois ». Et nous avons vu les résultats, malgré des conquêtes dans la foulée aux municipales, dès les élections régionales le souffle était retombé. Rappelons nous qu’en 2017, malgré le score de Melechon, les insoumis ne se sont retrouvé qu’à 17 à l’Assemblée nationale justement à cause de leur tentative hégémonique. D’ailleurs en 5 ans , ils n’ont pas été capable au fil des élections, européennes, municipales, cantonales, régionales à constituer un pole de 500 élus. Comme dit le dicton , les mêmes causes produisent toujours les mêmes conséquences.

Au lieu de tenter de dominer le paysage politique, tous devraient penser à regagner la bataille de l’hégémonie culturelle. Ce concept, forgé par l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci, rappelait que la conquête du pouvoir passait par les idées. Ironie du sort, cette théorie est aujourd’hui invoquée par la droite pour gagner la bataille de l’opinion. C’est le combat stratégique du moment. Le point névralgique des nouveaux affrontements idéologiques. La mère de toutes les batailles politiques entre les progressistes et les populistes, entre les mondialistes et les nationalistes. Qu’il s’agisse de la question du climat ou de l’immigration, un candidat, un parti ou un mouvement doit, pour remporter les élections, commencer par gagner la bataille de l’opinion : il doit s’imposer dans la guerre intellectuelle, conquérir « l’hégémonie culturelle ». Longtemps articulé par la gauche, ce concept forgé par l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937) est, depuis une dizaine d’années, capté par la droite.

Si la gauche a perdu les classes populaires, c’est qu’elle s’est trop focalisée sur l’antiracisme et la défense des minorités, ne se souciant plus d’articuler un « nous », un récit collectif. Il est en effet pertinent de s’inspirer du concept d’hégémonie forgé par Gramsci pour analyser comment la droite a gagné la bataille des idées. Certains intellectuels de droite ou d’extrême droite se réfèrent d’ailleurs explicitement à sa stratégie. On peut y voir une coquetterie intellectuelle : emprunter à l’adversaire son lexique. Cela montre surtout que la bataille idéologique est essentielle. Chez Gramsci, elle s’articulait à l’ambition de construire de nouvelles alliances pour renverser l’hégémonie de ses adversaires. C’est d’une grande actualité… Idéologie dominante, vedette médiatique et provocateur scientifique, le néolibéralisme réussit une prouesse de plus en plus répandue, celle d’exister en fuyant les définitions. Pour autant, il est incontestable qu’il domine aujourd’hui l’espace politique et économique. Le triomphe des idées s’explique également par la disparition des contestations. Pour comprendre la position de celui qui règne, on peut regarder du côté de ceux qui l’ont combattu comme la gauche, plongée en pleine crise des idées . Théorie économique présentée comme un nouvel horizon indépassable, le libéralisme économique prévaut dans une étendue d’idées mortes. Michelet savait que les sorcières apparaissaient dans les déserts de sens, la gauche a découvert que ses bourreaux naissaient dans ses gouffres idées. A La Réunion, au contraire le PCR a réussi à gagner la bataille de l’hégémonie culturelle, malgré les trahisons successives qui ont affaibli l’organisation. La pertinence de son analyse de la situation et ses solutions pour un futur heureux sont plébiscités par la population. Il nous reste à mener une nouvelle génération à la responsabilité pour sauver notre peuple et notre Péi.

« Il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne veut pas naître. » Antonio Gramsci

David Gauvin

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