Pendant que le peuple du Yemen subit la plus grande crise alimentaire mondiale, la France continue à vendre des armes aux belligérants

28 décembre 2021, par David Gauvin

Six années d’un conflit dévastateur ont plongé le Yémen dans l’une des plus graves crises humanitaires au monde. Près de quatre millions de personnes ont dû fuir les combats et quatre personnes sur cinq ont besoin d’assistance humanitaire.

La population yéménite est confrontée à l’une des pires crises humanitaires au monde. Le conflit qui oppose, depuis mars 2015, la coalition de pays du Golfe dirigée par l’Arabie saoudite et le gouvernement du Yémen au mouvement Ansar-Allah (les « Houthis »), a fait plus de 12 000 victimes civiles. Près de quatre millions de personnes ont dû fuir les combats et les bombardements. Plus de 24 millions de personnes, soit 80 % de la population du pays, ont besoin d’une aide d’urgence. C’est plus que dans aucun autre pays du monde. L’économie est anéantie. D’innombrables habitations, entrepôts, exploitations agricoles et d’autres infrastructures civiles essentielles ont été détruites. Les approvisionnements alimentaires, dont près de 90 % devaient être importés même avant le conflit, sont considérablement perturbés. Les prix continuent d’augmenter, alors que nombre des personnes les plus pauvres ont perdu toute source de revenu.

Malgré ces constats humanitaires dramatiques, un rapport du Programme pour le développement des Nations unies (PNUD) estime que la situation pourrait s’améliorer au Yémen. À condition que la guerre cesse rapidement. "Si la paix revenait au Yémen d’ici janvier 2022, associée à un processus de relèvement global du pays, les tendances profondes d’appauvrissement du pays pourraient être inversées", stipule ce document Le Yémen — toujours selon ce rapport — atteindrait alors "le statut de pays à revenu intermédiaire d’ici 2050". En outre l’agence analyse que "la malnutrition pourrait être réduite de moitié d’ici 2025 et le pays pourrait atteindre 450 milliards de dollars de croissance économique d’ici le milieu du siècle ». Depuis mars 2015, l’intervention militaire de la coalition saoudo-émiratie au Yémen a eu le même effet que l’intervention étrangère en Afghanistan. Dans les deux cas, les préoccupations géopolitiques et sécuritaires des puissances étrangères ont éclipsé les besoins et les priorités de la population locale. Cela a aggravé la situation sur le terrain et a nourri les luttes et les violences entre une multiplicité d’acteurs. Mais au Yémen, le peuple ne se laissera pas avaler par un groupe armé. Il se dresse contre l’idée que telle ou telle faction puisse s’imposer par la force et prendre le pouvoir par les armes. Les Yéménites s’opposent également aux projets de dépeçage de leur pays par des puissances étrangères. Et ils sont capables d’endurer beaucoup de souffrances s’il le faut pour tenir tête.

Il n’en reste pas moins que, en six ans et demi de guerre, les Saoudiens et les Émiratis ont fabriqué un environnement propice au développement de violences endémiques. Les deux ont encouragé, créé et équipé de nouveaux groupes armés. Les Émirats arabes unis ont nourri les rêves d’un rétablissement de l’ancienne république du Yémen du Sud [indépendant jusqu’à 1990]. Et cela quand bien même la majorité des habitants du Sud n’y adhère pas et n’y voit qu’un projet provincialiste de quelques esprits étriqués. Mais le mal est fait, et Aden, capitale du Sud, est la proie de bandes sécessionnistes qui y font régner le désordre. Si besoin était, cela montre que les conditions ne sont pas réunies pour faire fonctionner un État indépendant au Sud. Riyad et Abou Dhabi ont mis en selle d’autres acteurs. Sur la côte ouest [à Mocha, près de Taez, ville très disputée entre houthistes et diverses milices, dont des salafistes soutenus par les Émirats], une armée de quelques milliers d’hommes obéissent aux ordres de Tarek Saleh, qui n’est autre que le neveu de l’ancien dictateur Ali Abdallah Saleh [chassé du pouvoir par le “printemps arabe” en 2012]. Lui aussi a le soutien de l’alliance saoudo-émiratie. Et lui aussi caresse un projet politique, là encore néfaste. À savoir le rétablissement d’un régime dictatorial à l’image de celui de son défunt oncle. À défaut de pouvoir régner sur tout le Yémen, il pourrait se contenter d’un bout du territoire pour constituer une pierre d’achoppement pour les houthistes et leur projet politique confessionnel chiite.

L’Arabie saoudite a mis en place un blocus total sur le pays, que ce soit aérien ou maritime. Ce qui a causé plus de mort que le conflit lui même. Pendant ce temps, la France reste 3ème exportateur d’armes au monde. Le "pays des droits de l’Homme" est l’un des plus gros fournisseurs de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Sur la période 2015-2019, la France est fortement engagée auprès des principaux pays de la coalition militaire qui intervient au Yémen. Et cela, alors même que le 27 janvier 2020 le groupe d’expert des Nations unies sur le Yémen rapporte, une nouvelle fois, que : « Toutes les parties ont continué de commettre en toute impunité des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme au Yémen.Ainsi, la France est le troisième pays fournisseur d’armes de l’Arabie saoudite (4,3% des importations saoudiennes) sur la période 2015-2019 derrière les États-Unis (73%) et le Royaume-Uni. Elle est également le second fournisseur d’armes des Émirats arabes unis (11+% des importations émiratis), sur la même période, derrière les États-Unis (68%) et devant les Pays-Bas (3,4%). Parmi les principaux clients saoudiens de la France, la Garde nationale saoudienne. Or, le 9 mars 2020, le Conseil d’Etat belge a rendu une décision qui « souligne que la Garde nationale saoudienne n’est pas un destinataire fiable, reconnaissant que le risque que les armes soient utilisées à des fins non désirées dans le cadre de la guerre au Yémen reste important en raison de l’implication de la Garde nationale dans le conflit. »

"Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage." Jean JAURES

Nou artrouv’

David Gauvin

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