Poisons mondialisés

31 mai 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Vous rappelez-vous de la « mondialisation heureuse » ? C’est par cette formule, forgée par le toujours souriant Alain Minc que l’on vous présentait – ou, le terme serait plus ajusté, que l’on vous « vendait » - la libre-circulation des échanges, des marchandises, des capitaux, de l’information. Pas, d’ailleurs, et vous l’aurez sans doute remarqué, celle des travailleurs : sans que l’on comprenne bien pourquoi, il est, nous dit-on, aussi indispensable de construire des murs devant les migrants, qu’il est nécessaire de les abattre pour laisser passer l’argent, les produits manufacturés, les matières premières et les produits agricoles. Les risques économiques, environnementaux, sanitaires ? N’ayez crainte, vous a-t-on répété à l’envi. Les institutions internationales en général et les autorités européennes en particulier, s’assurent de la bonne gestion et de la surveillance (on s’est d’ailleurs mis à vous dire : « gouvernance ») de tout ce qui est amené à circuler dans les banques, sur les marchés, dans les usines et dans vos assiettes. Outre ces contrôles et cette traçabilité, la fameuse « main invisible », dieu caché des échanges que seuls voient les brillants économistes apôtres du marché, devait ordonner la libéralisation des flux de biens, de capitaux, de services.
Laissez donc faire la bourse, aidez les riches à s’enrichir, achetez tout et n’importe quoi, venu d’on ne sait où, disait-on en substance, et tout ira pour le mieux, en direction du meilleur des mondes possibles. Assez vite, comme de juste, la réalité est venue démentir cette croyance superstitieuse dans les vertus du profit et de l’avidité. Il y eut la terrible crise dite de la vache folle : en quelques mois, la consommation de viande bovine s’effondra en Europe, suite à la découverte du virus de l’ESB. À l’origine de cette dégénérescence nerveuse, transmissible à l’homme, l’alimentation à prix cassé du cheptel britannique à base de farines animales. C’est-à-dire, de carcasses d’animaux morts, données à des herbivores pour abaisser les coûts de production. Déclarée en 1986, l’épidémie n’a été connue que dix ans plus tard. Et que d’efforts a-t-il fallu pour prendre la simple mesure de bon sens qui s’imposait et suspendre la sacro-sainte liberté de circulation en frappant d’embargo la viande originaire du Royaume-Uni ! Encore cette restriction a-t-elle maintes fois été tournée, et la viande contaminée a pu être vendue en Europe et, dans des quantités indéterminées, aux populations du Sud.
Le système financier a eu lui aussi son encéphalite spongiforme. Propriétaires de 300 milliards de « fonds pourris », c’est-à-dire de crédits à la consommation dans les ménages américains saturés par l’endettement, les banques européennes furent immédiatement contaminées par la crise américaine des « subprimes ». Cette fois-ci, il ne fallut que quelques heures à la Banque centrale européenne (BCE) pour enfreindre la règle d’or du « laissez-faire » : immédiatement, plus de 155 milliards d’euros furent injectés dans les grandes banques-assurances françaises et allemandes, pour leur éviter de boire le bouillon. Les États, que l’on disait ringards et ravalés au rang d’ornement inutile d’une élite mondialisée dont les représentants, à l’instar de Jean-Marie Messier, se targuent de n’avoir pas de patrie, durent assurer le complément. « Les États », bien entendu, cela veut dire les citoyens. En clair : vous. Après la contagion de la crise, ceux-ci durent subir l’épidémie d’austérité lancée par leurs gouvernements, les institutions européennes et les bailleurs de fonds internationaux. On vous avait promis la cure de jouvence de vos services publics, de vos services de santé, de votre patrimoine ? Vous aurez de moins en moins d’écoles, de soins, d’accompagnement. Vous aviez voulu croire à une baisse de vos contributions ? Vous paierez plus d’impôts. Vous espériez plus de sûreté dans votre alimentation, grâce aux normes européennes ? Vous boufferez le poison mondialisé dans votre viande, dans votre poulet, votre mouton, et désormais, dans les concombres, porteurs en Europe d’une bactérie qui aurait déjà infecté plus d’un millier de consommateurs.
Face à cette succession de crises, le Réunionnais aurait bien tort de se croire à l’abri sur son île éloignée. Si l’ouverture des barrières douanières et le dégommage du service public se sont faits en chantant du côté européen, chez nous c’est plutôt « dormez, braves gens ». Et l’on ne nous dit rien des accords de partenariat économique, déclinaison sous nos cieux de la mondialisation sans régulation ni principes qui depuis près de quatre décennies, empoisonne les économies et les sociétés aux quatre coins du globe.

G.G.-L.


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