Quand on leur parle de mémoire, ils sortent leurs bulldozers

24 août 2010, par Geoffroy Géraud-Legros

Il y a trois ans de cela, Yves Barau, gros propriétaire et ancien maire de Sainte-Marie rasait d’un coup de bulldozer la chapelle Dambierre, sans doute le plus ancien édifice consacré à la religion tamoule dans notre île. Deux ans auparavant, le même Barau et son épouse s’étaient tristement illustrés au cours de l’émission Thalassa, déclarant en substance regretter le temps des colonies et de ses nénènes, où la distance entre servants et esclaves n’était pas clairement définie et où, surtout, on ne se mélangeait pas.
Des provocations qui, passée la première émotion, ne provoquèrent finalement que des réactions assez limitées au sein de la société réunionnaise. Méfaits et sorties des époux d’âge canonique, s’accordait-on à penser, n’étaient finalement que les vestiges d’une ère révolue, où régnaient en maîtres les gros propriétaires terriens blancs et leur idéologie raciste.

À la fin de l’année 2009, les propos d’un Gérard de Palmas expliquant que l’esclavage n’avait pratiquement pas existé dans notre pays, montraient que la vieille pensée gros-blanc n’était pourtant pas l’apanage des séniles, et pouvait apparaître sous les traits "cool" de la quarantaine pop-rock.
Les déclarations du chanteur déclenchèrent pourtant un émoi à peine plus durable que celles du couple Barau. Au fond, expliquait-on, De Palmas, n’était pas méchant, et surtout, n’avait pas grand-chose dans la tête. En plein exercice d’auto-promotion, il avait raconté n’importe quoi en cherchant à se faire mousser sur le plateau de Ruquier.
Pas de quoi fouetter un chat : l’affaire fut assez vite classée, et fort peu d’observateurs y virent la manifestation d’un phénomène plus profond.
Pourtant, d’autres signes témoignaient de la résurgence et de la modernisation du racisme dans notre île.

Ainsi, quelques mois avant les déclarations du chanteur, l’inauguration d’une stèle dédiée aux ancêtres esclaves des Réunionnais avait été accueillie par un torrent de propos haineux, d’ailleurs relayés fort complaisamment par une partie de nos médias. En parallèle, campagne des régionales aidant, la phobie envers toute la part d’ombre de notre histoire – celle des esclaves, des engagés, des petits blancs - prenait particulièrement la forme d’un rejet hystérique envers le projet de Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR), porté par la majorité régionale.
Un refus du passé amené au rang de programme par l’UMP de Didier Robert, pour qui les fonds consacrés à la culture devaient servir à la restauration des maisons de maître et non à collecter la mémoire des dominés.

Voilà au moins un domaine où l’UMP a tenu ses promesses : à peine parvenu au pouvoir, Didier Robert s’est empressé de supprimer la MCUR, d’annuler son travail scientifique et de disperser ses collections. Aujourd’hui, c’est Olivier Rivière, "jeune" maire UMP de Saint-Philippe, "jeune" conseiller régional UMP au sein de la majorité dirigée par le "jeune" Didier Robert, qui retrouve les gestes du "vieux" Barau, et fait sans état d’âme passer un bulldozer sur un ancien cimetière archirépertorié… montrant qu’une certaine vision du monde a su traverser le temps et reprendre le pouvoir.

G.G.-L.

Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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