Une planète de rechange

20 avril 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Les habitants de la Louisiane et bon nombre de riverains du golfe du Mexique célèbrent aujourd’hui un bien triste anniversaire : celui de la marée noire qui, le 20 avril de l’année dernière, a détruit l’environnement marin et les rivages dans un périmètre de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Déclenchée par l’explosion de la plate-forme d’exploitation pétrolière “Deepwater Horizon”, cette catastrophe est pour l’heure la plus grave marée noire de l’histoire. Ses conséquences présentes et futures seront, de l’avis unanime des spécialistes, bien pires que celles du naufrage de l’“Erika” en décembre 1999. Ce drame qui a frappé de plein fouet un état pauvre des États-Unis, s’ajoute au traumatisme toujours présent provoqué par le cyclone “Katrina” en 2005. Une tempête d’eau et de vent à laquelle, nous apprend la journaliste Naomi Klein, s’est ajouté le typhon de l’ultra-libéralisme. En prologue à son ouvrage “La stratégie du choc”, celle-ci explique par le détail comment le déluge fut exploité par une droite viscéralement phobique envers l’intervention publique et la solidarité, dans le but d’imposer un système de privatisation des services publics à une population pauvre en état de choc, sauvée des eaux sous la menace des armes et contraintes de vivre dans des mobil-homes.

Ainsi, les phénomènes climatiques extrêmes et les accidents écologiques les plus graves n’amènent pas de réflexion sur le mode de production qui les déclenche directement ou indirectement. Pire : ils peuvent même servir à renforcer la brutalité d’une économie orientée vers le seul profit. Tout laisse craindre, malheureusement, que les populations qui subissent cette course folle vont continuer d’être prises dans l’engrenage fatal de la destruction et du profit. On apprend ainsi que la firme BP, propriétaire de “Deep Water Horizon” a obtenu au début du mois dernier l’autorisation de reprendre les forages, promettant de se conformer à des « normes de sécurité plus drastiques encore » qu’auparavant… alors que la fuite d’où s’est écoulé le pétrole n’est qu’à peine colmatée. Dans le même temps, le pétrolier britannique se félicite publiquement de la virtuosité de ses avocats, qui annoncent qu’ils pourront, grâce à des tripotages juridiques, réduire à 6 milliards de dollars, les sommes destinées à indemnisations envers les victimes, contre les 20 milliards exigés par la Maison-Blanche.

Quelles que soient leurs complexités, ces questions relatives à l’indemnisation ne doivent pas faire écran aux dégâts, irrémédiables et insusceptibles de réparations infligées aux grands équilibres écologiques. Selon les experts, plusieurs décennies seront nécessaires, ne serait-ce que pour connaître exactement l’ampleur de l’atteinte à l’environnement causée par la nappe de pétrole qui a recouvert le Golfe du Mexique. Durée qui se calcule en milliers d’années au Japon, où la crise nucléaire aiguë liée à la centrale de Fukushima montre, 15 ans après Tchernobyl, que la perte de contrôle sur l’atome civil condamne des espaces peuplés par les hommes à n’être plus que des sanctuaires sans vie.

Un verdict historique qui, obsession du profit oblige, n’a pas infléchi d’un iota les ambitions affichées dans ce domaine par les grandes puissances, dont les dirigeants sont montés au créneau pour affirmer et confirmer leur choix du nucléaire. C’est à se demander si, au-delà de la rationalité économique, une pulsion d’autodestruction ne s’est pas emparée des grands de ce monde. Car jusqu’à preuve du contraire, les riches et les puissants ne disposent pas d’une planète de rechange où ils pourraient passer le reste de leurs jours lorsque la Terre qu’ils partagent avec les pauvres sera gazée, atomisée et recouverte d’hydrocarbures divers.

GGL


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus