La mission prend conscience de l’impact sanitaire du chikungunya

30.000 cas, mais certainement plus

27 janvier 2006

L’immunité est-elle durable ? Quels facteurs environnementaux ont engendré la flambée de l’épidémie de chikungunya et pas celle de dengue ? Quels risques pour les femmes enceintes ? Quels outils méthodologiques utiliser pour avoir une meilleure visibilité de l’évolution de la maladie ? Quelles seront les conséquences de l’utilisation de produits chimiques sur l’environnement ?... La mission sanitaire mandatée par les ministres de la santé et de l’Outre-mer n’a pas toutes les réponses. Elle s’interroge sur cette maladie jusque-là peu connue, elle constate que l’épidémie est incontrôlable, que les chiffres officiels sont irréalistes, que les humains ont encore à apprendre sur les maladies vectorielles.

Le professeur Gilles Brücker, directeur général de l’Institut de Veille Sanitaire, le professeur Didier Houssin, directeur général de la Santé, et le préfet Richard Samuel, directeur général des affaires politiques, administratives et financières de l’Outre-mer ont été mandatés par les ministres de la Santé et de l’Outre-mer pour rendre compte au gouvernement de l’évolution de l’épidémie de chikungunya à La Réunion. Ayant pris la mesure de son impact sanitaire, la mission va, dès son retour, plaider pour un renforcement des moyens de surveillance et de financement.

Impossible de maîtriser les chiffres

Les membres de la mission sanitaire constatent que le plan de surveillance épidémiologique, la lutte anti-vectorielle, la prévention et la prise en charge des malades doivent effectivement être renforcés. Personne ne cherche plus désormais à minimiser l’ampleur de l’épidémie ni la souffrance avérée des personnes atteintes. Le professeur Gilles Brücker affirme que le virus a été "suivi avec la plus extrême attention depuis son début", depuis les premiers cas apparus aux Comores.
Seulement face à la flambée de l’épidémie, les méthodes de comptage ne sont plus efficaces, décalées par rapport à la réalité. Aujourd’hui "l’on devrait atteindre ou dépasser les 30.000 cas. On ne peut pas être beaucoup plus précis", face à une situation épidémique très évolutive.
"La transparence est totale depuis le début, mais les choses ont beaucoup changé. C’est le propre des épidémies : certaines tournent court, d’autres flambent", explique le professeur Brücker qui souligne qu’une série de facteurs environnementaux sont alors en cause. "L’heure n’est donc pas à la polémique mais à la prise de conscience, à la fois de l’ampleur de l’épidémie mais aussi de sa forme sanitaire réelle."

"Dans la médecine aussi l’incertitude existe"

Dès lors que le virus touche massivement la population, la réalité de l’impact sanitaire n’est plus constestable et la mission à travers ses différentes visites de terrain et réunion de travail a pu prendre conscience de l’ampleur de cet impact. Les nombreuses formes très douloureuses et invalidantes exigent d’améliorer la prise en charge médicale, en utilisant tous les recours thérapeutiques susceptibles de répondre aux souffrances des malades. Selon le professeur Brücker, le défaut d’antiviraux appropriés ne signifie que l’on ne puisse traiter la maladie. "Elle ne se soigne pas facilement, mais elle se soigne."
De même, la mission sanitaire reconnaît que la maladie est "potentiellement grave" chez les personnes très vulnérables, âgées, souffrant de maladies chroniques. Le risque de complications graves pouvant entraîner la mort est étant avéré, les certificats de décès vont être surveillés afin d’estimer la part de responsabilité de la maladie. Le cas des femmes enceintes demeure particulièrement préoccupant d’autant que la littérature médicale ne mentionnait jusque-là aucun cas de transmission materno-foetale. La mission en appelle donc à la vigilance. "Dans le cas d’une épidémie, quand le médecin s’interroge, c’est compliqué... Dans la médecine aussi l’incertitude existe", commente le professeur Brücker estimant qu’il faut délivrer des informations très claires.

Renforcer la surveillance

Sur la base de ses constats, la mission sanitaire soutient donc le renforcement de la surveillance épidémiologique, exercice qu’elle reconnaît difficile, mais nécessaire pour apprécier la persistance, le déploiement géographique, l’émergence de nouveaux cas.
Maintenir et développer un réseau de surveillance basé sur le réseau Sentinelles (30 médecins volontaires qui s’engagent à déclarer les cas) permettrait d’avoir une analyse de la dynamique de l’épidémie. Les moyens de la DRASS ont, sur ce point, déjà été renforcés, ceux de la CIRE sont en cours de remodélisation et la mission va plaider pour un renforcement supplémentaire de ces moyens.
Identifier les cas graves avec le concours des médecins hospitaliers permettrait une meilleure lisibilité des effets et séquelles de la maladie et donc une meilleure connaissance de ses formes.
Prendre en compte toutes les participations et contributions visant à offrir un meilleur éclairage de la situation sanitaire est aussi important car comme le rappelle le professeur Brücker, "la question est à la solidarité et à la cohésion de toutes les forces susceptibles de maîtriser ce problème." Si la prise en charge est essentielle, les membres de la mission sanitaire soulignent le rôle majeur de la prévention. "C’est ce que prévoit le programme du préfet à nous de voir s’il doit être encore renforcé."

Estéfani


Préconisations de la mission technique venue à la mi-décembre

"L’heure est au serrage de coude et au retroussemanchisme"

A la mi-décembre une première mission, cette fois d’expertise technique, composée de l’Institut de veille sanitaire, de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail et de l’Institut de recherche pour le développement et l’inspection générale des affaires sociales, avait fait le déplacement dans notre île afin de fournir aux autorités le cadre d’un nouveau plan de lutte. Le professeur Didier Houssin, nous en a retransmis hier les grandes préconisations qui seront prochainement rendues publiques.
En décembre, la mission fait état de la nécessité d’une évolution du dispositif de surveillance en adéquation avec l’évolution de l’épidémie. Elle parle également d’un renforcement de la lutte anti-vectorielle avec la mise en place de "commandos", des équipes encadrées par des personnes formées et qui ont un plan d’actions définit (communication, démoustication, dépistage de nouvelles zones) à déployer selon des zones ciblées. Pour assurer la pleine efficacité de la lutte contre le vecteur, la mission technique insiste alors sur la nécessité d’une lutte communautaire. Le professeur Houssin se dit quant à lui frappé par l’émergence d’un sentiment de solidarité d’abord entre les malades, mais aussi les élus, les communes, les professionnels de santé. Il conclut ce bref exposé par un appel à l’action solidaire : "L’heure est au serrage de coude et au retroussemanchisme. La tonalité des médias va y contribuer pour générer un esprit de lutte unitaire."


Le chikungunya appelle à une politique de gestion des déchets

Le dossier des incinérateurs ré-ouvert

Alors que la nécessité d’un renforcement de la lutte contre le chikungunya se révèle comme une prise de conscience, une évidence, que la réalité d’une épidémie endémique s’impose à peine aux autorités, le problème récurent des déchets, d’insalubrité à La Réunion, se dessine comme un facteur aggravant ayant favorisé le développement de l’épidémie.

L’hygiène et les déchets en cause

Le professeur Houssin estime déjà qu’"après avoir marqué les corps et les esprits, cette épidémie doit permettre de tirer des leçons : il faut tout faire pour, dans quelques années, ne pas se retrouver face à une épidémie véhiculée par d’autres moustiques." Pour cela, il estime qu’un "travail de fond sur la salubrité et les déchets" doit être engagé, qu’un programme sur leur gestion s’impose comme un enjeu environnemental mais aussi sanitaire à La Réunion. "Mieux vaut un bon incinérateur moderne que des dépôts. Il n’y a pas photo, c’est mieux pour la santé que des dépotoirs et des décharges sauvages." Dans son intervention, le professeur Brücker souligne pour sa part qu’il convient de s’interroger sur les causes qui ont provoqué le développement de la maladie à La Réunion, ses incidences aggravantes, alors qu’elle était jusque-là considérée par la littérature "comme une maladie relativement bénigne." Au-delà de l’absence d’immunité de la population, de la pullulation des vecteurs, il estime que la question de l’hygiène et des déchets doit être considérée.

"Poser le problème sereinement"

Sur ce point, le préfet Laurent Cayrel rappelle que ses services ont déjà identifié des sites et dépôts de décharges sauvages, qu’en octobre, l’armée a retiré des carcasses de voitures des ravines. Il réunira l’ensemble des maires pour traiter de ce sujet, prenant en compte les mesures et capacités de chaque commune. Il souligne ne pas vouloir donner l’impression de stigmatiser leur action, mais souhaite plutôt "poser le problème sereinement." Les dépôts sauvages sont de la responsabilité de ceux qui en ont la charge comme de chaque individu qui doit être sensibilisé à une gestion plus citoyenne des déchets. Selon le préfet, cette attitude réunionnaise à l’égard des déchets est "historique", "La Réunion a banalisé la question des déchets, elle vit avec. Il n’y a pas de conscience de la nécessité d’une politique de gestion des déchets." Le préfet s’est saisi du projet envisageant l’installation de deux incinérateurs, actuellement en procédure d’arrêt, afin de déterminer deux nouveaux sites.

"Opération grand nettoyage"

De plus il n’exclut pas "une action coup de poing", une "opération grand nettoyage de toute l’île", avec le concours de la Diren et bien sûr, de la population. L’idée lui aurait été soufflée par le député maire de Saint-Denis, celui là même qui ne prévoit rien pour les encombrants de sa commune qui gisent à chaque coin de rue dans les quartiers Chaudon, Moufia, etc. Aucun ramassage supplémentaire depuis l’épidémie, aucune initiative aux abords des structures sportives, alors que les enfants sont en vacances. Mobiliser la population est d’un grand intérêt, mais que les élus montrent l’exemple n’est pas dénué de sens, non plus.

Estéfani

Chikungunya

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