Le suivi de l’épidémie de chikungunya

Analyse de la situation et propositions du PCR au Premier ministre

18 mai 2006

Le PCR (Parti communiste réunionnais) a fait parvenir au Premier ministre Dominique de Villepin une note concernant une analyse de la situation sur l’épidémie de chikungunya ainsi que les propositions suivantes :

2005
Le 15 novembre 2005, les autorités sanitaires (CIRE Réunion-Mayotte) écrivaient : « Après une croissance exponentielle pendant 7 semaines, l’épidémie a atteint son apogée la semaine du 9 au 15 mai 2005. L’incidence, qui s’était stabilisée depuis le mois de juillet entre 50 et 100 nouveaux cas par semaine, semble à nouveau augmenter [...] Cette augmentation, si elle se confirme, pourrait traduire soit une augmentation du niveau de l’endémie soit une reprise de la transmission du virus sur un mode épidémique.
En pratique, on peut considérer que la maladie a connu 3 phases de transmission :

- Entre le 22 février et le 27 mars 2005 (phase pré-épidémique), 14 cas ont été identifiés.

- Du 28 mars au 10 juillet 2005 (phase épidémique), 3.111 cas de chikungunya ont été recensés [ en 14 semaines].

- Enfin, depuis le 11 juillet 2005 (phase endémo-épidemique), ce sont 1.421 cas qui ont été signalés [en 17 semaines] »

2006
Le 11 mai 2006, la CIRE Réunion-Mayotte a publié les chiffres de la semaine du 1er au 7 mai 2006 faisant apparaître que le nombre de nouveaux cas enregistrés s’élevait encore à 1.500.

Ces données sont à la fois rassurantes et inquiétantes.
1 - rassurantes : elles nous indiquent qu’entre les pics hebdomadaires de janvier 2006 (30.000 cas/semaine) et février (47.000 cas/semaine) et le nombre hebdomadaire de nouveaux cas recensés au cours de la dernière semaine d’avril 2006 (3.000 cas/semaine) et de la première semaine de mai 2006 (1.500 cas semaine), la baisse de l’épidémie est conséquente. Toutefois les experts - Pr. Antoine Flahault, Pr. Paul Reiter - nous mettent en garde car, pour eux, le déroulement de cette épidémie ne correspond pas aux schémas classiques des épidémies : on part de zéro, on atteint un pic puis, ce pic une fois atteint, on redescend à zéro.
2 - inquiétantes : ces données nous indiquent également que, fin 2005, en dépit d’un très faible nombre de personnes en état de virémie : 1.421 cas en 17 semaines ( soit 83 cas/semaine en moyenne) sitôt les fortes chaleurs installées, on est passé à plus de 30.000 cas hebdomadaires. Cette progression foudroyante inquiète légitimement toute La Réunion. En effet, si l’épidémie devait se maintenir au taux actuel de 1.500 nouveaux cas par semaine, la moindre flambée épidémique pourrait alors se traduire en centaines de milliers de malades en quelques jours.

Cette hypothèse - du fait de son ampleur redoutée - ne doit pas être éludée car elle pose une série de problèmes auxquels il est urgent de se préparer.

Quelle politique de prévention ?

Quels moyens mettre en œuvre, au cours des 4 prochains mois, pour avoir la certitude de ramener la population de moustiques au taux le plus bas possible de façon à rendre très improbable la rencontre d’une femelle aedes albopictus avec l’un des 10 malades hebdomadaires* du chikungunya durant sa période de virémie ?
* prévision espérée pour 2007 par le préfet le 12 mai 2006.

Quel service de prophylaxie entend-on donc installer sans délai et doté de quels moyens humains et matériels pour satisfaire à l’objectif préfectoral et avoir ainsi la certitude d’empêcher la survenue d’une catastrophe sanitaire pire que celle subie en 2005-2006 ?

L’enjeu est important :
1 - préserver la santé - et même la vie - de plusieurs dizaines de milliers de personnes ;
2 - les services hospitaliers ne pourront pas faire face à une crise sanitaire équivalant au triple ou au quadruple de celle subie en 2005-2006 ;
3 - l’économie réunionnaise, déjà durement frappée par la crise actuelle, résisterait-elle à une seconde crise sanitaire d’une telle ampleur ?
4 - l’industrie touristique pourrait-elle se relever de la publicité dissuasive que constituerait le rappel quotidien par les médias métropolitains d’une crise sanitaire encore plus importante que celle qui a déjà éloigné de notre île un grand nombre de touristes potentiels ?

Quelques propositions :

Centre de recherche et de veille épidémiologique : La situation sanitaire prévalant à La Réunion et, plus largement dans la zone Sud-Ouest de l’océan Indien, et le réchauffement climatique aidant, la certitude existe désormais de la résurgence de maladies qu’on voulait croire éteintes et l’émergence de maladies inconnues. La mise en place le plus rapidement possible d’un Centre de recherche et de veille épidémiologique doit éviter un triple écueil :
1 - celui de l’habituelle concentration de tous les moyens dans le Nord de l’île. Il nous faut entendre nos scientifiques qui préconisent une répartition des moyens et des compétences entre le Nord et le Sud tout en ayant à l’esprit, dès le départ, la nécessité de créer les conditions d’une totale synergie entre ces différentes équipes et structures regroupées au sein de ce Centre ;
2 - celui du splendide isolement ; il est indispensable d’associer les chercheurs de La Réunion à leurs homologues des îles et pays voisins. Cette association doit permettre d’établir des protocoles de recherche in situ et donc dans les conditions réelles où se déroulent les crises sanitaires. Mais nous insistons sur un point essentiel : nous connaissons désormais l’ampleur du péril qui nous guette, il convient donc d’agir sans délai en se mettant à l’écoute attentive des propositions des praticiens et chercheurs de La Réunion.
3 - celui de l’implantation de personnes compétentes venues de métropole quand ces compétences existent à La Réunion et se trouvent souvent, malgré une parfaite connaissance du terrain, réduites au chômage.

• Prophylaxie : ne plus tergiverser. Toutes les économies envisagées en laissant aux seules collectivités de La Réunion la charge d’une prophylaxie dont elles n’ont pas les moyens se traduiront pas des dépenses au centuple pour faire face aux conséquences si l’épidémie devait atteindre le niveau que l’actuel nombre de malades fait redouter. A-t-on le droit de laisser La Réunion avec des défenses amoindries au moment où on nous presse de ne pas baisser la garde ?
Les personnes travaillant à la démoustication sur le terrain doivent être toujours mieux formées et ne plus se trouver dans la situation actuelle qui les voit exécuter quotidiennement, et avec quel dévouement !, un travail extrêmement pénible dans des conditions de précarité liées au type de contrat qui est le leur.

• Lutte communautaire : un véritable service de prophylaxie doté de réels moyens humains et matériels ne parviendra pas, à lui seul, à réduire de façon significative et durable les populations de moustiques. Si on croit à ce qu’on dit : « cette lutte doit désormais être permanente et jamais plus il ne faudra baisser la garde », alors il faut prendre les dispositions - au-delà de spots télévisés - pour faire de chaque Réunionnais et à tout instant, un acteur parfaitement renseigné d’une lutte efficace puisque permanente contre le moustique. Au-delà des moyens de lutte mécanique qui vont contribuer à cette vigilance permanente de chacun, il est indispensable de confier enfin la lutte contre les gîtes larvaires à chacun des habitants du quartier. De même que, pour lutter contre les rats, on distribue des appâts mortels, il est indispensable et sans aucun danger ni pour les humains, ni pour les animaux, ni pour les insectes, ni pour la flore, de doter chaque organisation de quartier de bidons de Bti de sorte que les habitants soient en mesure de maîtriser la moindre flaque, le moindre creux d’arbre ou autre, le moindre flash d’eau de pluie stagnant sur un toit en terrasse, etc...
Donner à chacun la responsabilité d’intervenir personnellement dans la lutte contre le moustique tout en ayant conscience de l’intérêt qu’il y a à préserver l’écosystème est la meilleure façon de préserver la santé publique tout en se souciant des conditions d’un développement durable. De plus, la culture du Bti s’avère possible à La Réunion. Les chercheurs et les agriculteurs compétents et motivés existent sur place et sont intéressés par la mise en place de cette nouvelle filière.
Cette mobilisation ne peut se faire en-dehors d’actions pédagogiques concertées dans les écoles, les collèges et les lycées, actions à définir avec le Rectorat de La Réunion et dont les médias du service public doivent se faire l’écho permanent. Dans l’esprit de cette mobilisation générale, il est indispensable d’associer à l’ensemble de ces actions, les associations qui travaillent à l’information, au soutien des malades et à la lutte contre le chikungunya. Leur action a montré tout le sérieux de leur engagement. L’expérience ainsi accumulée est précieuse et il convient de les aider à élargir sans cesse leur champ d’action.

• L’aide aux personnes : La Réunion va bientôt entrer dans une ère qu’elle n’a jamais connue : celle où la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans aura doublé passant de 10% en 1999 à 20% en 2030. (70.000 en 1999 et 230.000 en 2030). D’ores et déjà, les conséquences de la première phase de l’épidémie de chikungunya ont été catastrophiques, parfois meurtrières, pour ces personnes. Aujourd’hui, il n’existe aucune structure suffisante pour venir en aide à toutes les victimes du chikungunya qui subissent les effets invalidants de cette maladie. Cet état d’abandon est d’autant moins acceptable que de très nombreux jeunes de La Réunion ayant une formation dans les carrières sanitaires et sociales se trouvent sans emploi.

• La prise en charge des malades travaillant sous contrat de droit privé : il y a, à La Réunion, une profonde inégalité de traitement entre les malades selon qu’ils relèvent de contrats de droit public ou de droit privé. Et cette injustice est accentuée du fait qu’entre salariés sous contrat de droit privé, les garanties ne sont pas les mêmes selon qu’on travaille en Métropole ou à La Réunion. Il est donc urgent en la matière d’établir, par une législation appropriée, l’égalité entre les salariés de La Réunion sous contrat de droit privé avec leurs homologues travaillant en métropole sous contrat de droit privé. Il conviendrait :
A - d’ouvrir, en urgence, des discussions avec les institutions et organismes compétents pour que, d’une part, il y ait une prise en charge équilibrée et solidaire de toute dépense occasionnée par la maladie et que, d’autre part, et à l’instar de ce qui est prévu pour les entreprises, des moratoires sur les dettes fiscales et sociales ainsi que des différés de remboursement de prêts soient institués.
B - de prendre toutes les mesures nécessaires et relevant de sa compétence pour que la garantie des salaires soit assurée. Il s’agit là tant d’une exigence sociale que d’une nécessité économique. Cette garantie des salaires passe par l’application à La Réunion des dispositifs relatifs à l’allocation spécifique d’aide publique.
C - de faciliter l’extension des conventions collectives nationales, à la demande des partenaires sociaux, en abrogeant l’article 16 de la loi Perben.
D - d’inciter les partenaires sociaux à ouvrir des discussions et des négociations pour que les dispositifs existant en France hexagonale relatifs au chômage technique et aux garanties conventionnelles complémentaires de salaires en cas de maladie soient appliqués à La Réunion.

Chikungunya

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