Rapport de la DIREN sur l’impact environnemental de la lutte anti-vectorielle

C’est beaucoup moins évident

11 juillet 2006

La DIREN (Direction Régionale de l’Environnement) présentait récemment un rapport presque enjôleur sur l’impact de l’épandage intempestif de Fénitrothion, de Téméphos et de Deltaméthrine. Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens, et une contre-expertise serait souhaitable pour éclairer les points d’ombre. C’est l’avenir écologique de La Réunion qui est en jeu.

Apparue entre 1952 et 1953 en Tanzanie, l’arbovirose “chikungunya” a affecté irrégulièrement l’Afrique de l’Est, l’Asie du Sud-Est et le sous continent indien. Jamais apparue à La Réunion, cette maladie a surpris et pointé du doigt les nombreuses failles ; des dysfonctionnements dans notre dispositif de veille sanitaire qui coûteront des vies réunionnaises, paralyseront notre économie. Un tiers de la population est aujourd’hui touché par les affres du chikungunya, et la crise n’est pas finie, quoi que l’on dise. S’ensuivra un vaste programme d’épandage de pesticides "gratuits !" à base d’abord de Fénitrothion en tant qu’adulticide et le Téméphos pour les traitements anti-larvaires ; puis la Deltaméthrine, adulticide, sera utilisée à proportion 100 fois moindre que le Fénitrothion, jugé dangereux. Enfin, au vu de l’impact possible sur l’environnement et par la mobilisation solidaire des citoyens réunionnais, la Préfecture optera plus raisonnablement pour le Bti, un pesticide dit "biologique", cela pour diminuer l’impact environnemental. Pendant ce temps-là, "kabri manz salad". Le mal est fait.

"La Rénion té boukané"

"Aucune catastrophe écologique", selon le Préfet Laurent Cayrel, et le rapport de la DIREN va dans son sens. Pour un spécialiste réunionnais, T. Pascal, rien n’est moins sûr. Bon nombre d’éléments attestent de la dangerosité des produits utilisés, avant le sage usage du Bti, et par avance, il se positionne pour la commande d’une contre-expertise, pourquoi pas privée, bénéficiant de davantage de recul, sur un échantillonnage beaucoup plus scientifique. Il s’agit d’une situation de crise, de la vie de nombreux Réunionnais déjà fragiles, de la mise à mal de la réputation sanitaire de La Réunion. On ne peut se permettre de voiler aussi facilement la vérité. Quand on sait l’ampleur du dispositif mis en place (20.000 maisons traitées de mai 2005 à janvier 2006, 200 gîtes larvaires détruits en milieu urbain, forces armées engagées, avec l’appui d’employés communaux, d’“emplois verts”, plus les équipes de la DRASS, 2 frappes de zone par pulvérisation aérienne à 4 jours d’intervalle, complétées par une pulvérisation de proximité au porte à porte, passages de brigades pour un renforcement du dispositif adulticide), on peut le dire : "La Rénion té boukané". Et un rapport, pourtant, atteste et signe que l’impact est minime, voire absent.

Analyse scientifique ?

On se pose des questions. Dire que "les zones à traiter ne sont pas, par définition, situées en milieu naturel", c’est se moquer des Réunionnais. Le parc cannier occupe encore un bon nombre de nos terres, malgré les échéances à venir. Et plusieurs espèces endémiques, fussent-ils des insectes, cohabitent avec l’Homme. À la page 24 du rapport, on lit : "la présence importante d’abeilles dans les zones urbaines et périurbaines traitées dans le cadre de la lutte anti-vectorielle et l’imbrication des zones rurales et naturelles avec ces zones traitées amènent naturellement à se poser la question de l’impact sur le cheptel apicole". Ce rapport est-il seulement valable ? Est-ce un diagnostic équitable, impartial ? Pour les milieux marins et estuariens, le comité scientifique constitué par la DIREN signale que son échantillonnage d’eau de mer est porté sur 4 échantillons. "Statistiquement, le milieu scientifique, pour tous travaux de ce genre, requiert 7 échantillons, et ce n’est pas assez. L’eau relèverait-elle des données suspicieuses ?", note le scientifique. Le rapport le reconnaît à sa page 21 : "il convient de noter qu’il s’agit là d’un échantillonnage extrêmement léger, réalisé afin d’évaluer l’intérêt de la mise en œuvre d’une seconde campagne plus importante".

A-t-on seulement pensé à toute la faune réunionnaise ?

Bien évidemment, une seconde campagne "plus laborieuse" affinerait ce rapport. Encore faudrait-il déterminer si oui ou non les arthropodes ont été lourdement touchés par l’épandage. Parce que si le cheptel apicole a subi une dépopulation de 15 à 20% "avec des pointes sur le Sud et l’Ouest de l’île à 30%", indique le rapport, "quelques apiculteurs perdent plus de 50% de leur cheptel à l’Ouest", précise Benoît Giroday, Président du Syndicat des apiculteurs. S’il garde un œil confiant sur le premier résultat de l’étude d’impact, il n’en demeure pas moins vrai qu’il appréhende l’avenir de la filière. Et plus loin d’ajouter être "persuadé qu’en dehors des abeilles, il y a eu un impact sur les insectes. Tous les produits phytosanitaires sont dangereux". Pour les prochaines situations de crise, il préconise une plus grande concertation avec les expériences du terrain, chez les "apiculteurs et tous ceux qui ont une fibre environnementale".
La catastrophe écologique annoncée n’a pas eu lieu ? Dès l’utilisation du Fénitrothion et du Téméphos, des faits de mortalité anormale étaient relevés dans la faune. Landormi, salanganes, lézards ont été touchés, et la liste serait davantage longue si on s’y attardait. Si la probabilité de survie (12 heures après l’épandage) est de 10% pour la fourmi de feu (80% de mortalité), 80% pour la mouche des fruits, 100% pour la blatte, elle resterait fixer à 30% pour les moustiques. Un désaveu pour les derniers, qui n’ont ici plus droit de cité. À terme, il faudra exiger la poursuite des analyses - à moins que ce ne soit déjà fait - et pourquoi pas associer des experts privés "neutres" pour déterminer "scientifiquement" la portée, l’impact de l’épandage sur la faune réunionnaise. Pour l’heure, on ne peut que déplorer "une faible copie, en total décalage avec les enjeux pour l’environnement réunionnais".

Patrick Julie


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus