L’analyse de l’épidémie de chikungunya par la Région Réunion - I / III -

Catherine Gaud : ’Nous sommes très loin d’être sortis de la situation’

23 février 2006

Lors de la réunion de vendredi dernier au Conseil général sur le chikungunya, le docteur Catherine Gaud, vice-présidente du Conseil régional, a présenté au préfet, à la présidente du Conseil général, aux parlementaires et aux autres élus réunionnais ainsi qu’aux représentants de la société civile et des services de l’État l’analyse de l’épidémie par la Région. Elle s’exprimait au nom du président Paul Vergès qui participait la semaine dernière à une session du Parlement européen. On lira ci-après la première partie du texte de l’intervention de Catherine Gaud, avec des intertitres de “Témoignages”. Un document de référence pour tous les Réunionnais engagés dans cette bataille contre le chikungunya.

La santé, c’est la première préoccupation des Français. Lorsque l’on fait des sondages et qu’on leur demande ce qui est le plus important pour eux, ils répondent que c’est leur santé. Quand on se souhaite une “bonne année”, on se souhaite toujours en même temps “une bonne santé”.
L’état de la santé de la population réunionnaise était précédemment relativement bon. Le système de santé était d’un bon niveau ; nous avions ce que l’on appelle la sécurité sanitaire.
Cela donnait confiance à notre population et permettait également l’arrivée de nombreux touristes. Je pense notamment aux personnes du 3ème voire également du 4ème âge, aux familles avec de jeunes enfants. Cela nous assurait au niveau économique, avec l’arrivée d’un certain nombre de personnes.

Une perte de mémoire

Le problème, c’est que nous avons perdu notre mémoire. Nous avons oublié notre passé et les grandes pandémies qui existaient aux époques précédentes.
Je ne parlerai pas de la grippe espagnole, je parlerai du paludisme et l’on sait tous les efforts qu’il a fallu faire pour lutter contre le paludisme qui est à peu près éradiqué à La Réunion.
Vous savez qu’il existe à La Réunion, de temps en temps, des cas très rares de paludisme autochtone. Qu’est ce que cela veut dire ?
Cela veut dire que nous avons, avec un certain sentiment d’invulnérabilité, oublié notre situation géographique, la latitude sous laquelle nous vivons, notre climat, notre saison des pluies, notre degré d’hydrométrie et notre environnement. Nous sommes environnés d’îles dans cette zone de l’océan Indien ; des îles qui ont, malheureusement, un système sanitaire moins performant que le nôtre, et qui sont loin d’être exemptes de problèmes de santé et notamment de problèmes de santé liés aux moustiques.

Nous en souvenir pour préparer notre avenir

Cette perte de mémoire a entraîné non pas la mort complète mais la grande diminution du système de prophylaxie et du système de lutte vectorielle. Nous avons oublié que nous vivions au milieu de petits insectes, de moustiques qui pouvaient nous transmettre d’autres micro-organismes beaucoup plus redoutables que sont les virus.
On sait que, à l’heure actuelle, beaucoup de dangers viennent des virus. On vous a parlé du H5N1 (virus de la grippe aviaire - NDLR), mais il y en a également beaucoup d’autres, comme le VIH (virus du SIDA), et d’autres virus, transmis par les moustiques, comme la dengue, le West-Nile, l’Onyongnyong, qui sont, même si le chikungunya est redoutable, encore bien plus redoutables. Il ne faut pas nous leurrer : cela nous menace totalement.
Et c’est ainsi, avec cette perte de la mémoire, que nous n’avons pas su préparer notre présent. Il nous faudra bien nous en souvenir pour préparer notre avenir car nous sommes très loin d’être sortis de la situation.

Ne pas négliger les conséquences psychologiques

Cette catastrophe du chikungunya est sanitaire, économique, mais elle est aussi une catastrophe individuelle et familiale.
Aux sentiments d’invulnérabilité dont je vous parlais tout à l’heure s’est substitué un sentiment d’impuissance, qui s’ajoute au sentiment de peur, le sentiment d’un peuple qui est démuni, accablé, meurtri. Il ne faudra pas en négliger les conséquences psychologiques, dès à présent mais aussi sur le long terme.
Lorsqu’on se sent totalement démuni, lorsqu’on a peur en permanence pour sa propre santé ou pour celle des gramounes, pour celle des jeunes enfants, on ne s’en sort pas indemne et je crois que nous devons envisager cela dès à présent.

Très grande vigilance

La Région aborde cette rencontre en ayant conscience de la gravité de la situation dans laquelle se trouve notre île. On annonce 100.000 personnes atteintes, c’est peut-être plus. (Ce même vendredi 17 février, la DRASS annonçait le chiffre officiel de 110.000 malades - NDLR). Et si le recueil des données au niveau épidémiologique est tout à fait satisfaisant actuellement, cela n’a pas toujours été le cas.
Selon les chiffres communiqués, 52 décès sont plus ou moins reliés au chikungunya. (Ce chiffre a été porté avant-hier à 70, avec le décès de Tricia - NDLR)
Plus ou moins reliés, car il est certain qu’ils ne sont pas tous attribuables au chikungunya et l’on ne sait toujours pas s’il s’agit ou non d’une maladie mortelle ou s’il s’agit d’une maladie qui entraîne la mort chez des personnes déjà très vulnérables. Cependant, des cas de décès brutaux chez des personnes jeunes doivent vraiment nous mener à une très grande vigilance.

La solidarité de tous les Réunionnais

C’est pourquoi l’état d’esprit qui nous anime est d’apporter notre contribution à la lutte engagée. La solidarité de tous les Réunionnais - et bien évidemment en premier lieu des responsables - est une nécessité pour gagner la bataille.
Le moment aujourd’hui n’est pas celui des procès en responsabilités ; comme le disait Paul Vergès, suffisamment de temps a déjà été perdu, avec les conséquences dramatiques que nous connaissons, pour ne pas gaspiller de l’énergie en de vaines polémiques ; le bilan viendra plus tard, lorsque l’épreuve aura été surmontée.

Information, écoute, cohésion

Mais nous avons le devoir de nous interroger constamment sur la pertinence et l’efficacité des moyens engagés car c’est nous-mêmes, notre population, qui subira les conséquences des insuffisances ou des erreurs que nous pourrions commettre.
C’est dans cet état d’esprit que nous devons informer toujours mieux la population. Objectivement mais en toute transparence, dans une très grande clarté, sans dramatisation.
Nous devons également être à l’écoute des remarques et des suggestions de toutes celles et de tous ceux qui veulent apporter leurs contributions, tout en ayant en même temps le souci de la cohésion des différents acteurs engagés dans cette lutte. Cette cohésion est très importante, et il nous faut écouter chacun d’entre nous.

(à suivre)


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