L’analyse de l’épidémie de chikungunya par la Région Réunion - III / III -

Catherine Gaud pour des Réunionnais ’acteurs de la victoire contre le chikungunya’

25 février 2006

Nous publions aujourd’hui le troisième et dernier volet du discours prononcé par le docteur Catherine Gaud lors de la réunion de vendredi dernier au Conseil général sur le chikungunya. La vice-présidente du Conseil régional a notamment présenté au préfet, aux élus, aux représentants de la société civile et des services de l’État les quatre défis auxquels nous sommes confrontés dans la lutte contre cette épidémie : la lutte anti-vectorielle, la surveillance épidémiologique, la prise en charge médicale et psychosociale, enfin la sauvegarde de notre environnement (qui va conditionner notre avenir) et l’accompagnement économique et social de notre société. C’est ce dernier point qui est évoqué ci-après, avec des intertitres de “Témoignages”.

L’impact des traitements contre le moustique sur l’environnement est aussi une de nos préoccupations largement partagée par la population.
Comme en toute chose, il nous faut peser le rapport bénéfice / risques. Devant l’épidémie extrêmement grave de chikungunya, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et nous devons réfléchir aux conséquences de ce que nous faisons pour l’avenir. Donc trouver la meilleure réponse possible en limitant au maximum les effets secondaires.

Un joyau de la biodiversité mondiale

L’Ile de La Réunion est un joyau de la biodiversité mondiale et nous sommes tous attachés à la protection des espèces endémiques animales, végétales et marines. 80% de la biodiversité française se situe outre-mer ; de nombreuses espèces endémiques existent à La Réunion.
Il ne s’agit pas d’opposer la santé des humains à la préservation de l’environnement. Mais il ne faut pas ajouter à la catastrophe sanitaire une catastrophe écologique, voire une catastrophe sanitaire secondaire, dont nous ne nous rendrions compte que dans des années et dont nous n’avons pas encore pris la mesure.
Ce sujet sensible doit être abordé avec un esprit de responsabilité sans procès d’intention.

Des produits toxiques

Comme vous le savez, l’usage du Fénithrotion - qui est un produit toxique classé grade 2 sur une échelle de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), qui en compte 4 - lors des interventions des premières brigades a provoqué dans certains endroits de l’île des dommages sur les caméléons, les élevages d’abeille - je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un mousticide mais d’un insecticide - ou bien sur des volailles.... et parfois même indisposé des enfants ou des adultes.
Si l’on doit se féliciter de l’abandon définitif de ce produit, il me semble pour autant que l’usage de la Déltaméthrine présente des risques de toxicité tout aussi élevés ; c’est un produit de même toxicité que le Fénitrothion (grade 2 sur le gradient de l’OMS). Il conviendra donc, d’une part, de veiller à son utilisation dans des conditions conformes aux préconisations scientifiques, et d’autre part, de limiter son épandage au strict délai nécessaire à la diminution du vecteur.
Par ailleurs, il convient d’éviter d’utiliser ce produit dans les zones des espaces naturels répertoriées pour leurs espèces endémiques. Il faut que les formations des équipes qui pulvérisent l’insecticide soient complètes. La population doit être tenue régulièrement au courant du passage des véhicules de démoustication.

Prévoir l’avenir

Je souligne la nécessité de mettre en œuvre immédiatement les moyens d’évaluation entomologiques qui permettront de connaître l’impact des mesures phytosanitaires sur les populations d’aedes albopictus.
Je rappelle que l’efficacité du Fénihtrotion n’a jamais été vérifiée sur le moustique et qu’à l’heure actuelle, l’efficacité de la Deltamétrine n’a pas été vérifiée ; il faut une quinzaine de jours pour vérifier cette efficacité. Cela me paraît un point tout à fait essentiel pour être sûrs de ce que nous faisons.
Cela est aussi extrêmement important pour l’avenir : il y a très peu de produits qui permettent de tuer les moustiques adultes ; or les moustiques peuvent devenir résistants à ces produits. Si à cause de l’épidémie de chikungunya, nous rendons les moustiques résistants, lorsqu’une épidémie plus grave, comme une épidémie de West-Nile ou de dengue hémorragique, ou pourquoi pas une épidémie de fièvre jaune arrivent à La Réunion, que pourrons-nous faire ? C’est en cela que je parlais de prévoir l’avenir.

Pour que la population s’approprie la lutte

Nous voudrions des traitements plutôt larvicides et plutôt sur les patients. Je m’explique : en définitive, en ce qui concerne la lutte anti-vectorielle, nous devons donc donner la priorité à la destruction des larves, et aux moyens mécaniques.
La durée de vie d’un moustique étant d’environ 1 mois, nous pourrions freiner l’expansion de l’épidémie en concentrant nos efforts sur la destruction des larves.
La lutte mécanique est donc essentielle ; la population peut parfaitement comprendre cela. Cela correspond à 80% de la lutte contre l’épidémie. Il n’y a aucune raison que la population ne se mobilise pas et ne fasse pas le nécessaire, elle doit absolument s’approprier la lutte.

Le cas des nouveaux malades

Parallèlement, il nous faut mettre en place un dispositif particulier pour traiter le cas des nouvelles personnes atteintes. Si l’on se débrouille pour que les personnes contaminées soient traitées lorsqu’elles sont virémiques, il n’y aura plus de source pour que les moustiques se réapprovisionnent en vivres et cela contribuera considérablement à faire disparaître l’épidémie.
Donc en agissant prioritairement à ces 2 niveaux - destruction des larves et traitement des personnes nouvellement contaminées -, nous serons plus efficaces pour freiner la progression de l’épidémie.

Évaluer l’efficacité de la lutte

En tout état de cause, nous devons mettre en place les moyens d’évaluer l’efficacité de la lutte.
Je pense qu’une enquête de séroprévalence nous permettrait de connaître, à l’heure actuelle, quel est le pourcentage exact de la population atteinte, ce qui nous aiderait considérablement à adapter nos moyens de réponse.
Si nous avons 10% de la population atteinte, ce n’est pas la même réponse que si nous avons 40% de la population atteinte ou 80% de la population atteinte, notamment dans le choix de la façon de gérer la lutte vectorielle.

Que l’État nous donne les moyens d’aider la population

Je souhaite également évoquer brièvement l’impact social. Je voudrais joindre la voix de la Région à celle du Département, et dire qu’effectivement, vu la gravité de la situation, vu le traumatisme de la population, il faut absolument que l’État nous aide à avoir les moyens adéquats pour aider notre population.
La maladie est vraiment vécue comme un traumatisme et il nous appartient aussi qu’elle ne soit pas vécue comme une injustice. Certes, la santé est la même pour tous, mais est-ce que les moyens de protection sont les mêmes pour tous ? Il ne faudrait pas que la prévention, qui fait partie intégrante de la santé, soit à 2 vitesses différentes pour les pauvres et les riches.
Dans le cadre de la solidarité nationale, l’État ne pourrait-il pas organiser la distribution de répulsifs pour les personnes les plus démunies, afin de soutenir encore davantage le Conseil général ?

Un secteur sinistré

La situation économique connaît également une évolution extrêmement inquiétante. Je ne développerai pas ici ce sujet qui mobilise pleinement notre collectivité compte tenu des réunions programmées à la Région ; des premières mesures ont déjà été prises à l’initiative de la Région en partenariat avec l’État et les acteurs économiques, et un plan d’urgence est en cours d’élaboration.
Une réunion aura prochainement lieu au Conseil régional et le sujet sera également à l’ordre du jour de la visite la semaine prochaine du ministre du Tourisme. Il faut bien être conscient que sur le plan économique, le pire est devant nous et le secteur touristique est lui déjà sinistré.

Adapter la solidarité nationale à l’ampleur de la crise

Il est évident qu’en dépit des efforts déjà déployés, La Réunion ne surmontera cette épreuve que si un changement d’échelle et un changement qualitatif de la lutte est opéré au moyen d’une expression de la solidarité nationale prenant pleinement en compte l’ampleur de la crise.
Nous nous préparons à l’arrivée du H5N1 sur le territoire français ; mais ici, nous avons une épidémie en cours dont nous devons nous occuper.
En outre, cette crise que nous traversons est également un véritable test pour la cohésion de notre société. Il nous faut créer les conditions de la confiance.

Le respect des personnes et de l’environnement

Il nous appartient à tous - représentant de l’État, élus régionaux ou départementaux, maires, conseillers municipaux, citoyens engagés dans le monde associatif - de montrer l’exemple de la détermination et de la solidarité ; d’être à l’écoute des Réunionnaises et Réunionnais, dans le respect des personnes et de l’environnement, afin de favoriser la nécessaire appropriation de la lutte par l’ensemble de la population, appropriation sans laquelle rien ne pourra se faire, car c’est une lutte qui appartient à chaque individu.
Encore une fois, il ne s’agit pas de culpabiliser les Réunionnais, en leur disant qu’ils ne font pas ce qu’il faut, il faut leur montrer à quel point ils peuvent être les acteurs de la victoire contre le chikungunya.

Chikungunya

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