Réforme de l’assurance maladie

Chasse ouverte aux arrêts de travail dits abusifs

12 juillet 2004

Les députés ont adopté une série d’articles visant à faire la chasse aux arrêts de travail, dits “abusifs”, tout en mettant en place un dispositif destiné à sanctionner tant ceux qui en abuseraient que ceux - les médecins - qui les prescriraient... Le tout sur fond “d’économies” à faire...

Une fois n’est pas coutume : les députés ont travaillé tout le week-end sur le projet de réforme de l’assurance maladie. Après l’adoption des articles sur le principe du “médecin traitant”, celui sur l’euro non remboursable par acte médical, celui sur l’instauration du dossier médical partagé, voilà que les députés viennent d’adopter une série d’articles permettant la “chasse” aux arrêts maladie dits abusifs.
L’article 13 vise à "sanctionner plus efficacement" les auteurs de fraudes ou de manquements à la réglementation en matière de sécurité sociale, qu’il s’agisse des professionnels de santé, des assurés sociaux ou des établissements de santé.
L’article 14 propose des mesures destinées "à renforcer le contrôle des arrêts de travail prescrits en nombre élevé ou de façon abusive".
L’article 15 accroît "le contrôle des bénéficiaires d’indemnités journalières avec, notamment, un renforcement des sanctions encourues par les assurés lorsqu’elles ne sont pas justifiées".
Samedi soir, sur cet article - comme sur d’autres, l’assemblée nationale a été très divisée : d’un côté, l’UMP a voté sans réserve, de l’autre, la gauche a voté contre, et l’UDF s’est prudemment abstenue.

Haute surveillance

Le ministre de la Santé est toujours convaincu qu’il faut "responsabiliser" les patients, que cela permettra, par une modification de leur comportement - et celui des professionnels de santé -, de “boucher” le trou de la “Sécu”. Selon lui, parmi "les cibles de contrôle prioritaire des caisses" doivent figurer les assurés qui "bénéficient de façon répétée d’arrêts de travail de courte durée".
Quel sens de la “responsabilisation” que montrer du doigt certains patients... Tout juste si on ne les traite pas de “fainéants”, et autres gentillesses...
Mais c’est, comme la mise en place d’un dossier médical partagé, un bon moyen de faire pression sur les assurés. De les “pister”, de les catégoriser. En effet, si un assuré se voit prescrire une semaine d’arrêt de travail, c’est que pour une raison ou pour une autre, il en a besoin.
Un médecin réunionnais, qui préfère garder l’anonymat, expliquait qu’il voyait souvent arriver dans son cabinet des femmes, très fragilisées physiquement et psychologiquement. En tant que “médecin de famille”, il connaît quelque peu le parcours individuel de ses patientes. Il expliquait que ces femmes, assez jeunes, mères de famille, se sentaient "dépassées", ayant à faire face à une journée de travail (avec des pressions et parfois des débuts de harcèlement), une vie de mère de famille (avec tous les soucis que peuvent entraîner les enfants : scolarité à surveiller, "leçons à faire répéter" etc.). Sans oublier la cuisine, le ménage, la vaisselle, le repassage... Caricatural ? Non, cent fois non.

Question de travail

La deuxième catégorie de patients à qui il était enclin à prescrire un arrêt de travail, ce sont des personnes s’approchant de l’âge de la retraite (entre 55 et 60 ans). Travaillant essentiellement dans le secteur secondaire. Selon le médecin, ces patients (les hommes s’avérant être plus nombreux), n’arrivaient plus "à tenir le rythme" et se trouvaient eux aussi, désorientés.
Les raisons étaient multiples : arrivée de nouvelles méthodes de travail, avec l’utilisation de machines, d’ordinateur, ce qui bouleversait leur façon de faire, les mettant "en infériorité vis à vis des plus jeunes" qui venaient d’être embauchés.
D’où un sentiment de se "sentir poussés vers la sortie". Sans compter que, physiquement, - et cela est tout à fait explicable - "ils sont moins résistants". Souvent, parce que, dans leur jeunesse, ils n’ont pas été soignés correctement, essentiellement par difficultés financières.
Ce médecin expliquait que le changement de rythme et des conditions de travail étaient à l’origine de ces "déprimes", lesquelles étaient fréquemment "à l’origine de pathologies plus lourdes".
Il signalait enfin qu’il lui arrivait de signer des arrêts de travail de façon "plus rapprochée" à des patients qui "ne suivaient pas les prescriptions" : arrêt des antibiotiques de façon précoce "car les patients se sentaient mieux", et si l’état, en effet, s’était amélioré, il n’en restait pas moins que toute trace infectieuse - ou autre - avait disparu. Il suffisait alors de croiser le chemin d’un autre virus, ou d’un simple changement de température, pour qu’il y ait "rechute".

Récupérer les prestations

Était-ce ce raisonnement qui a prévalu lorsque l’assemblée a adopté un amendement du rapporteur de la commission spéciale, Jean-Michel Dubernard (UMP) ? Cet amendement stipule que lorsqu’il y a prolongation d’un arrêt de travail, "l’indemnisation n’est maintenue que si la prolongation de l’arrêt est prescrite par le médecin prescripteur de l’arrêt initial, sauf impossibilité dûment justifiée par l’assuré". M. Dubernard devait expliquer que cet amendement avait pour but de "lutter contre les comportements abusifs de certains assurés, visant ainsi le nomadisme médical".
Par ailleurs, l’assemblée nationale a également adopté l’article 16 du texte qui institue "une procédure de récupération des prestations de toutes natures indûment versées, sauf si l’assuré se trouve en situation de "précarité"".
La réaction des élus de gauche a été très vive sur cette mesure. La députée communiste Muguette Jacquaint déclarait que cette mesure "cumule injustice et inefficacité", un autre renchérissait qu’elle "pénalise durement les assurés sociaux et introduit des contentieux avec le corps médical".
L’examen de ce texte, commencé le 29 juin, s’est poursuivi tout le week-end et devrait continuer la semaine prochaine à l’exception de la pause du 14 juillet.
Car ce n’est qu’un peu plus de la moitié des 8.000 amendements déposés sur la quarantaine d’articles que compte le projet de loi - pour une grande majorité par l’opposition - qui ont été examinés.

D. B.


“Économies”

Avec ces articles sur les “arrêts de travail”, le gouvernement espère une “économie annuelle” de 800 millions d’euros. Selon son scénario, il faut d’abord accroître les contrôles des médecins lorsque les caisses d’assurance maladie constatent un nombre de prescriptions d’arrêt de travail "significativement supérieur" à la moyenne. Un système similaire est prévu pour les transports de patients (en ambulance) pris en charge par l’assurance maladie.
Les députés ont toutefois adopté, à l’unanimité, un amendement qui supprime la possibilité de suspendre le versement des indemnités journalières lorsqu’une irrégularité est le fait du médecin prescripteur.
Au chapitre des sanctions, adoptées tard dans la soirée, le texte oblige les caisses à informer les employeurs de la suspension du versement des indemnités journalières, permettant ainsi la suspension du versement du complément d’indemnisation aux salariés.
Défendant ce dispositif, le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, a souligné que "le taux de progression des indemnités journalières avait été de 10% en 2001 et 2002", et estimé qu’il était "possible de ralentir cette progression de 4 ou 5%".
"Lorsqu’on cible les contrôles, on a des taux d’indemnités journalières injustifiées de 13 à 15%"
, a-t-il affirmé. La gauche a évoqué des études de la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) qui estiment ce chiffre à 6%.


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