Débat public au Département

Chikungunya : ’On ne peut pas rester les bras croisés’

18 février 2006

Si l’État voulait éviter le débat, il ne s’en serait pas pris autrement. L’initiative du Conseil général était bonne : organiser une réunion d’information retransmise en direct sur Télé Réunion, pour que les Réunionnais puissent soulager leurs inquiétudes relatives entre autres à la prise en charge de l’épidémie, à la toxicité des insecticides. Mais en multipliant ses interventions, l’État a court-circuité le débat, généré le décrochage de l’assistance et certainement des téléspectateurs.

Cette première tentative de débat est déjà une amorce dans la prise en compte des attentes de la population qui demande une information claire et transparente. Largement entamé dans la presse, hier dans l’hémicycle du Conseil général, il a tardivement démarré après deux heures de bilan d’actions de l’État, forcément positif. L’on retiendra l’intervention de Thérése Baillif, présidente de l’AMAFARE, qui a ouvert enfin les échanges avec la salle, en déplorant ce long "monologue." "Je ne me suis pas sentie respectée en tant que citoyenne de base. J’ai décroché, je n’ai pas les moyens intellectuels des experts."

"Brouhaha médiatique"

Si les questions relatives à la stratégie de lutte, à l’évaluation de son efficacité, de ses méthodes n’ont pas trouvé de réponses en revanche, plus personne n’ose contester les dégâts engendrés sur l’environnement. Il y a ceux qui s’en accommodent, et ceux qui pensent que l’on peut faire autrement. Pour le préfet qui fait partie de la première catégorie, la stratégie de lutte proposée par l’État est "une réponse équilibrée, pas une réponse d’apprenti sorcier. Si l’épidémie continue sa progression, il faudra renforcer l’action avec une surveillance du milieu et de la santé des gens." Laurent Cayrel nous apprend que les experts ont été mandaté dans de délais brefs, que c’est lui qui, grâce à ses visites de terrain, a alerté l’État et permis la mise en place d’un plan d’urgence, qu’il a "immédiatement constaté les dégâts économiques importants" et engagé "une action d’ampleur", enfin que s’il y a eu un déficit d’information, ce n’est pas par volonté d’opacité du gouvernement, mais bien que le "brouhaha médiatique a empêché de faire passer le message." Un bilan largement éloigné de la réalité et qui n’aura trompé personne.

" Limiter les dommages "

Didier Kerjouan, responsable de la DIREN chargé du volet environnement au sein de la cellule de crise préfectorale, fait aussi partie de la première catégorie, de ceux qui s’accommodent des dégâts que les insecticides engendrent sur l’environnement. Il souligne que face à l’ampleur de l’épidémie, la lutte contre les moustiques adultes est inévitable même si "les insecticides ont nécessairement un impact sur les animaux", ils ne doivent pas être utilisés dans la nature mais dans les zones urbaines et péri urbaines. Oui, "la deltaméthrine a un impact assez fort sur les reptiles, les oiseaux et sur la faune aquatique", mais selon lui "les décès constatés sont très probablement dûs au fénitrothion utilisé jusqu’à lundi." Il ne faut donc pas succomber à "la tentation de généraliser." Rappelons néanmoins que la deltaméthrine est classée sur la même échelle de toxicité que le fénitrothion par l’OMS. Des précautions vont être prises pour protéger les abeilles, les cours d’eau, "pour limiter les dommages." Des protocoles d’études d’impact et d’expertise sur l’environnement sont en cours. Il faudra attendre juillet pour bénéficier des premiers résultats, pour compter les dommages irréversibles portés à notre biodiversité.

Les Réunionnais peuvent agir

Enfin et c’est heureux, il y a ceux, comme Gélita Hoarau, Catherine Gaud et d’autres membres de la société civile, du monde agricole, de l’écologie, des Réunionnais lambda qui pensent que l’on peut faire autrement que de passer par des pulvérisations massives d’adulticides dont l’efficience n’a jusqu’alors pas été scientifiquement prouvée. "On ne peut pas rester les bras croisés", soulignera la vice-présidente de la Région Réunion, Catherine Gaud qui rappelle que La Réunion est "un joyau de la biodiversité mondiale", que "80% de la biodiversité française se trouvent dans les DOM-TOM." Il s’agit de protéger la population sans porter atteinte à l’environnement pour qu’un catastrophe écologique ne vienne pas s’ajouter à une catastrophe sanitaire. Il est impératif selon elle de vérifier rapidement l’efficacité des adulticides. "Le sort de La Réunion, des Réunionnais est laissé dans les mains d’un seul expert, alors qu’il faut un collège d’experts." Cela ne peut se faire localement et l’IRD qui a proposé son soutien dans ce sens n’a pas reçu de réponse. Si les insectes résistent aux produits que fera-t-on en cas d’apparition d’une épidémie véhiculée par le moustique beaucoup plus grave ? Selon le docteur Gaud, il est urgent de cesser leur utilisation, de permettre à la population de s’approprier la lutte mécanique, elle peut en comprendre tout l’enjeu.

Estéfani


Hier au Conseil général

Un débat très désordonné

Le point hebdomadaire du préfet a cédé la place, hier, à un débat télévisé qui devait durer deux heures. Mais la désorganisation, le non-respect des temps de parole ont conduit RFO à rester deux heures et demie de plus. Le résultat a-t-il apporté les réponses attendues ?

"J’attendais un débat et j’ai eu deux heures de monologue", a commencé Thérèse Baillif, la première personne à prendre la parole après une intervention du préfet terminée sur un martial “Demain ne sera pas comme aujourd’hui !”
Il ne reste plus qu’à souhaiter que le débat de demain - dans trois mois ? a proposé la présidente du Conseil général - ne soit pas non plus comme celui d’hier...
La présidente du Comité du Tourisme a confirmé la probabilité d’un "trou d’air" sensible d’ici quelques semaines. "Le secteur économique, notamment touristique, ne baisse pas les bras", a-t-elle dit en évoquant la préparation d’une “charte de sécurité”, établie par les professionnels de l’hôtellerie pour combattre la psychose.
Pour l’ORIAPA, association dont la mission est de répondre aux besoins des personnes âgées, Laurent Hoarau a demandé au préfet d’obtenir que l’État mette des moyens correspondant à l’ampleur de l’épidémie.
Un autre intervenant a noté que les procédures en cours, pour la démoustication, "excluent de fait la population réunionnaise"... en favorisant des pratiques élitistes. "Il y a aussi des experts locaux - a dit Jean-Michel Probst - des gens qui sont là depuis longtemps et qui savent que les réservoirs à moustiques ne sont pas dans les zones où se font les démoustications, mais dans des endroits autrement inaccessibles", a-t-il dit en substance. "Il faudra des dizaines d’années pour faire baisser le nombre des moustiques", a-t-il dit, en notant que les modes opératoires retenus "tuent aussi les prédateurs des moustiques" et en proposant d’user plus des “bonnes vieilles méthodes” mécaniques : ventilation et moustiquaires.
La députée Huguette Bello est intervenue pour déplorer les "semi-vérités" auxquelles sont encore confinés les Réunionnais, par des pouvoirs publics (voir encadré).
Face aux questions d’agriculteurs du CDJA, dont le président Alaguirissamy s’indignait du retard mis à en venir à la lutte biologique, réclamant des épandage de produits biologiques, le spécialiste martiniquais, M. Yebakima, a répondu par la nécessité de "trouver des compromis". "Le problème est-il “d’éradiquer” les moustiques dans les fonds de ravine ou de les contrôler dans les zones urbaines ou péri-urbaines ?"
Par la suite, plusieurs intervenants ont interpellé le président de l’ARH, Antoine Perrin, sur les capacités hospitalières ou, comme l’a fait Jean-Michel SaingaÏny, pour souligner l’engagement des professionnels de santé et soulever un problème de déséquilibre entre emploi local et renforts métropolitains.
C’est à ce moment que la sénatrice Gélita Hoarau, arrivée le matin même de Paris pour participer "à un débat" - disait-on - a laissé éclater sa colère en constatant que, comme beaucoup d’autres, elle n’avait pas eu la parole pendant les deux heures de retransmission prévues. "C’est inacceptable... inadmissible", a-t-elle déploré en quittant la salle et en adressant ses "bravos aux personnels de santé". Ce qu’elle ne savait pas, c’est que RFO devant les entorses aux règles établies, a décidé de poursuivre intégralement la retransmission.
La présidente du Conseil général, qui présidait aussi les débats, a alors reconnu que "les temps de parole n’ont pas été respectés". Les instants qui ont suivi les mea culpa de la présidente - "Je ne suis pas parfaite, ni exempte de critiques mais j’ai essayé de donner la parole à la société civile plutôt qu’aux élus" - ont été très cacophoniques. En aparté, à la fin du débat, Nassimah Dindar devait même ajouter que la décision prise était de ne donner la parole qu’à un(e) parlementaire.

Frustration

"On récolte ce qu’on a semé", a tonitrué soudain Adrien Bédier, président d’Écologie Réunion, par-dessus la cacophonie générale. Il parlait des dépôts sauvages et de ce qu’il en serait du respect du Code de l’Environnement dans “l’après chik”. Il a demandé aussi si les protocoles pratiques des épandages faisaient l’objet de contrôles. Dans le registre écologique, un autre intervenant s’est inquiété de la protection du lézard de Manapany et des papillons.
Plus tard, après l’intervention d’Ivan Hoareau en défense des salariés (voir encadré), Véronique Denez, des Verts, s’est insurgée devant les approches qui opposent "problèmes sanitaires et problèmes d’environnement". "La vie est une et indivisible", a-t-elle dit en donnant en exemples les "30% de maladies professionnelles [causées par] la chimie toxique". "Nous allons vers une catastrophe écologique, pas seulement pour les agriculteurs bio. Les apiculteurs sont devant un gros problème de pollinisation... Les abeilles sont les sentinelles de l’environnement. Arrêtons de dissocier les deux problèmes (santé et environnement -Ndlr) a-t-elle dit, en concluant sur ce mot d’ordre “Lutte larvicide, oui ! Lutte adulticide, non !”"
Il n’y a pas eu que les élus réunionnais qui se sont sentis frustrés d’un débat avec la population. Deux sourds-muets présents dans la salle depuis le début ont demandé à intervenir, avec la traduction de Brigitte Hoarau, pour regretter l’absence d’information aux handicapés. Apprenant sur place l’existence d’amendes dans les cas de refus opposé aux équipes de démoustication, l’un d’eux a demandé "au chef des gendarmes" de s’expliquer sur les informations concernant leurs passages.
Le préfet, Laurent Cayrel, a répondu que les plannings de démoustication étaient envoyés aux municipalités "douze jours avant", qu’il revenait aux communes de prévenir les citoyens "48 heures" à l’avance et que seuls les refus étaient verbalisés.

Souffrances de la population

Trois élus sont intervenus avant la fin de la rencontre - Denise Delorme, conseillère régionale, Alain Zaneguy, conseiller général (Saint-Denis) et Stéphane Fouassin, au nom du président de l’association des maires.
"La crise sanitaire a révélé de nombreux points faibles, notamment l’absence de prohylaxie et la grande faiblesse du bassin sanitaire de la micro région Est", a souligné la conseillère régionale, en invitant à penser, pour l’avenir, aux campagnes de lutte contre le diabète, l’obésité et toutes les causes de maladies cardio-vasculaires. Le conseiller général de Saint-Denis s’est interrogé sur les chiffres, pour le moins contradictoires, donnés ici et là sur le nombre des malades : 75.000 ? 110.000 ? 200.000 ? "Je ne trouve pas vraiment mon compte en matière de transparence", a-t-il constaté en signalant surtout les souffrances de la population, souffrances qui se manifestent selon lui par des cas de dépression, voire des divagations, quand certains n’arrivent vraiment plus à faire face. Quant au maire de Salazie, il a regretté le départ de la sénatrice communiste. "Elle pouvait rester, comme nous", a-t-il dit.
Vers la fin du débat, le commandant Besson, des FAZSOI (forces armées) a indiqué que 27.000 maisons ont été traitées, sur un objectif de 200.000 et qu’ils rencontraient "très peu de refus". Il a surtout appelé à renforcer la cohésion des acteurs. "Continuons à informer, avec ou sans polémique, avec des messages simples qui donnent envie de gagner", a-t-il dit.
Le débat s’est encore quelque peu prolongé sur des questions d’experts, auxquelles le préfet a mis un point d’orgue en annonçant que la “mission recherche” diligentée par le ministère de la santé, serait reçue la semaine prochaine pour exposer son rapport au ministre. On en saura alors sans doute plus sur les arboviroses et les éventualités de mutation du virus - une hypothèse vers laquelle il ne faut pas aller trop vite, a estimé le docteur Quenel, de la CIRE (DRASS). "L’émergence de formes cliniques nouvelles n’est pas nécessairement la signature d’une mutation", a-t-il dit en invitant à attendre les conclusions des travaux menés au Centre national sur les arboviroses.
 P. David 


Indignation de Gélita Hoarau : "C’est La Réunion toute entière qui va payer"

Elle pensait dialogue, échanges, vraies questions, on lui a servi une "grande messe". D’un tempérament habituellement calme, Gélita Hoarau n’en pouvait plus. Lorsque la parole lui fut enfin donnée, elle a bondi d’indignation et quitté l’hémicycle, contestant fermement cette monopolisation de la parole par l’État au détriment de la voix des Réunionnais. Son ressenti a fait l’unanimité.
Que les experts s’expriment c’est une chose, mais que cela se fasse au détriment de l’assistance, voire des élus qui ont été invités à céder leur temps de parole, en est une autre. La sénatrice qui revenait tout juste d’un entretien avec la ministre de l’Écologie, voulait pouvoir s’exprimer sur "la troisième catastrophe du chikungunya", la catastrophe écologique. "C’est La Réunion tout entière qui va payer" les lourdes conséquences de la lutte anti-vectorielle sur notre environnement, précise la sénatrice, se faisant le relais des inquiétudes de la population. La ministre de l’Écologie est d’accord avec l’idée de privilégier la lutte biologique, la lutte de la raison. Mais depuis le temps que Gélita Hoarau et les élus PCR interpellent les autorités sur le Bti, ce n’est que 10 mois après le début de l’épidémie que cette solution est appliquée, alors qu’en dépits des pulvérisations massives d’insecticides, les moustiques vecteurs sont toujours là. Les dégâts actuels dont on ne connaît pas encore toute l’ampleur auraient pu être évités.


Huguette Bello pressée de s’exprimer

Il y a lieu de regretter que l’information sur l’épidémie nous vienne avec retard. La députée Huguette Bello, pressée de s’exprimer rapidement, avant même d’avoir commencé, a regretté que les chiffres et statistiques nous viennent de Paris, alors que ce sont les Réunionnais qui sont les premiers concernés par l’épidémie. Ils sont alors plus considérés comme "des objets que des destinataires."
Aujourd’hui, l’on parle transparence, franchise, alors que l’information nationale nous précède. Il y a trois semaines le corps médical parlait déjà de 100.000 cas. Les chiffres qui arrivent au compte-gouttes sont, selon la députée, "largement minorée." Il lui semble que La Réunion vit la canicule de 2003 et "regrette le même degré d’incurie de la part des pouvoirs publics."


Nassimah Dindar appelle à la clarification

Si les Réunionnais doivent assumer leur part de responsabilité, l’État également. S’il a pêché avec une "communication insuffisante, voire brouillonne", la présidente du Département appelle désormais le préfet à formuler des "messages plus simples", à faire usage de "clarté", de "sincérité" et de "transparence." Elle s’y emploie.
Le chikungunya met en exergue le relâchement local de vigilance face aux menaces vectorielles, aux arboviroses qui ont pourtant notre environnement insulaire ouvert comme champ d’action. Rappelant ce constat, la présidente du Département a soulevé à nouveau la question du transfert du service de prophalaxie de l’État au Département. La mise en place d’un service à la hauteur des risques doit faire l’objet pour Nassimah Dindar d’une "discussion claire avec l’État sur le transfert des moyens attendus", d’une clarification juridique des modalités du transfert. La présidente a souligné au passage que sa collectivité n’a jamais retiré ses équipes de lutte venus s’associer à celles de la DRASS, et que les préoccupations exprimées publiquement par Cyril Melchior, vice président du Département, concernaient les propres agents de la collectivité sur ses propres sites. Le recrutement de 1.000 contrats d’avenir, plus 45 agents supplémentaires, est toujours valide.
Nassimah Dindar estime que les mesures pour protéger les personnes âgées et les femmes enceintes sont "très insuffisantes." La Réunion mérite donc le même plan d’envergure mobilisé pour la canicule meurtrière de 2003, "un dispositif social plus ambitieux pour les allocataires du minimum vieillesse." La présidente a rappelé que sa collectivité comme les communes ne bénéficiaient pas de budgets extensibles. L’État dit qu’il n’y a aucun frein financier pour lutter contre le chikungunya, mais dans quelle mesure va-t-il pouvoir continuer à investir ? Qu’elle sera sa part de prise en charge et jusqu’à quand ?

Chikungunya

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus