Éviter d’amplifier une catastrophe de grande ampleur

Chikungunya : respecter les Réunionnais

8 février 2006

Hier, la Mairie du Port faisait le point sur l’extension de l’épidémie de chikungunya dans la cité maritime, le bilan de l’expérimentation de la déchetterie mobile, la coordination nécessaire entre les équipes de la commune et les brigades envoyées par la DRASS. Cela passe en particulier par l’utilisation de produits adaptés pour ne pas que la catastrophe économique et sanitaire que nous vivons soit en plus une catastrophe écologique.

Précurseur et impliquée depuis plusieurs mois dans la lutte contre le chikungunya, la Mairie du Port tenait à faire part hier à la presse d’un certain nombre de nouveaux éléments collectés sur la maladie. "Depuis le début de la semaine dernière, nous enregistrons entre 150 et 200 nouveaux cas par jour dans la ville du Port", annonce le maire Jean-Yves Langenier.
Cette croissance peut s’expliquer par de meilleures conditions de propagation du chikungunya, avec des précipitations récentes. Cela montre que l’épidémie est toujours présente, et qu’elle s’étend.

Une personne sur huit

Pour lutter contre l’extension de la maladie, la commune a lancé dès le 26 janvier dernier un nouveau dispositif : celui des déchetteries mobiles. En 10 jours, 130 personnes (employés communaux, médiateurs de l’environnement, associations) ont collecté 104 tonnes de déchets.
Cette opération a permis également d’établir un premier recensement du nombre d’habitants contaminés : 1.343 déclarés sur un quart des foyers visités, 5.000 estimés dans la commune, soit un Portois sur huit.
Une telle proportion appliquée à l’île entière aboutit à un nombre de près de 100.000 Réunionnais atteints. C’est dire l’ampleur de l’épidémie. Tout en sachant que la population portoise est une des moins touchées de l’île.
Sur le terrain, Jean-Yves Langenier salue l’effort important des associations, des industriels et des employés communaux. "Beaucoup plus de personnes sont sensibilisées", ajoute le maire du Port, "nous faisons le maximum de ce que nous pouvons faire avec les moyens dont nous disposons".

Prudence et discernement

L’autre point à l’ordre du jour de la rencontre avec la presse est la nécessaire coordination entre les différents acteurs de la lutte. Cette dernière doit privilégier la lutte biologique à la lutte chimique. Jean-Yves Langenier rappelle le précédent du ver blanc. Ce parasite a mis en danger l’existence de la canne à sucre à La Réunion. Il a été quasiment mis hors d’état de nuire grâce à l’utilisation d’un insecticide, le “suxon”, relayé par un champignon (le beauvéria).
Pour Jean-Yves Langenier, la lutte chimique doit être utilisée avec beaucoup de prudence et de discernement, d’autant plus que le chikungunya et les méthodes pour le combattre n’ont jamais fait l’objet d’études poussées. "L’utilisation massive de produits inadaptés nuit à notre écosystème", précise le maire du Port, "car la lutte chimique peut éliminer toute la faune".
Cela ne signifie pas un refus total de l’option chimique, mais la prise en compte de la fragilité de l’environnement réunionnais, du fait notamment de son insularité. Par exemple, Le Port puise la plus grande partie de son eau potable dans une nappe phréatique. Toute pollution chimique de cette nappe serait irréversible.
Partant de ce constat, la municipalité prône la coordination entre la commune et les brigades de l’armée. Ce mardi matin, une réunion en préfecture a abouti sur deux avancées qui vont dans le sens du respect de la souffrance et de la lutte que les Réunionnais connaissent depuis déjà plusieurs mois, en particulier ceux du Port.

Deux avancées pour les Réunionnais

Tout d’abord, les produits utilisés par les brigades de désinsectisation de l’armée et de la DRASS seront ceux préconisés par la commune sur son territoire, et non pas celui utilisé jusqu’à présent qui est adapté à un épandage en milieu rural. Le premier insecticide est une substance de synthèse qui cible les insectes nuisibles et qui s’élimine rapidement : le K-Othrine. Le second est un biopesticide issu de la lutte biologique qui s’attaque spécialement aux larves.
Par ailleurs, ces brigades s’intégreront à la stratégie de lutte mise en place par la commune : elles passeront après la déchetterie mobile, donc elles épandront dans des cours dégagées des encombrants. Leur passage sera accompagné par un médiateur qui aura la responsabilité de “préparer le terrain”, afin notamment d’impliquer le mieux possible les habitants dans la lutte.
Il s’agit en particulier de prévenir les personnes sensibles aux émanations de produits chimiques, de tenir les animaux à l’écart, de détecter les nouveaux cas de chikungunya pour reprogrammer un nouveau passage. Tout ceci sera coordonné par une base opérationnelle au service Environnement de la Ville.
Pour conclure, Jean-Yves Langenier insiste sur l’importance de la communication : "informer la population, c’est aller vers une meilleure efficacité". Le chikungunya atteint une ampleur que plus personne ne conteste. C’est désormais une catastrophe, aussi bien sanitaire que pour l’économie réunionnaise. Un des enjeux de la bataille est d’éviter une catastrophe écologique, qui pourrait compromettre durablement le droit des Réunionnais au développement durable de leur île.

Manuel Marchal


100.000 Réunionnais atteints ?

En 10 jours, 3.000 foyers portois ont été visités, 828 sont touchés par la maladie, avec 1.343 cas de chikungunya.
À partir de ces premières données, Jean-Yves Langenier avance une première estimation. Sachant que la commune abrite 12.000 foyers, ce serait donc environ 5.000 personnes qui seraient atteintes par le chikungunya, sur un total de 40.000 habitants, soit un Portois sur huit.
D’après cette estimation, il est possible d’extrapoler un nombre de malades pour notre île. Selon l’INSEE, 780.000 Réunionnais peuplent notre île. Un rapide calcul aboutit à près de 100.000 “chikungunyés”, si l’on se limite à la proportion déduite des premiers recensements du Port, tout en sachant que la cité maritime est la commune la moins étendue de La Réunion, qu’elle est surtout urbaine et qu’elle constitue donc l’habitat le moins favorable à la prolifération de moustiques vecteurs. C’est dire l’ampleur atteinte par l’épidémie.


Les enfants relais

La rentrée scolaire est l’occasion d’explorer une nouvelle stratégie de lutte contre la maladie. Il s’agit de "faire en sorte que les enfants, avec les enseignants, soient des relais actifs", explique Jean-Yves Langenier qui rappelle que les enfants "sont le bon relais de l’information" auprès de leur famille.


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