Chronique d’une catastrophe annoncée

7 juin 2006

Le 22 février 2005, sans crier gare, le chikungunya s’est invité à La Réunion. Tous, nous connaissons la suite avec son cortège de souffrances, d’invalidités passagères ou permanentes et de décès. Tous, nous savons que le premier réflexe des autorités aura été de nier la parole des Réunionnais. Les souffrances qu’ils enduraient "ne correspondaient pas aux descriptions de la littérature médicale". Les Réunionnais étaient donc conviés à se conformer à ladite littérature !
Face à l’ampleur prise par l’épidémie, la ligne de défense adoptée par les responsables du désastre a témoigné d’une grande puérilité. "Dès le mois de mars 2005, la DRASS a réagi en renforçant son dispositif de veille et d’action" et, nous a-t-on dit, l’épidémie devait cesser devant les rigueurs (!) de l’hiver austral 2005, oubliant qu’au Canada les œufs d’aèdes albopictus survivent à l’hiver canadien (-20 à - 40°).
Et il serait interminable de recenser ici toutes les sornettes énoncées le plus sentencieusement du monde à l’opinion réunionnaise. Tout et son contraire ont été affirmés. Par exemple : "aèdes albopictus n’entre pas dans les maisons", nous a-t-on affirmé et, dans la même phrase, il serait bon de munir portes et fenêtres de tamis et d’abriter les lits d’une moustiquaire. Pourquoi, puisque ledit moustique n’entre pas dans les maisons ?
"Aèdes albopictus est un moustique urbain, il ne gîte pas dans les ravines", a-t-on déclaré aux agriculteurs qui sont, depuis l’enfance, les meilleurs connaisseurs de l’environnement de La Réunion. Aujourd’hui, on déclare que l’armée sera désormais affectée à la démoustication des ravines.
Lors du débat public tenu au Conseil général, le 17 février, un expert a tancé les Réunionnais qui lui faisaient remarquer que l’emploi abondant d’un pesticide, le Fénitrothion, était insensé. Ce pesticide est si dangereux qu’il est interdit dans les zones habitées ainsi qu’à leur périphérie. Il n’est pas agréé par le ministère de l’Agriculture. Il sera définitivement interdit par l’Union européenne au 1er septembre 2006. Réponse de l’expert : "J’ai traité au Fénitrothion à l’intérieur de maisons et je n’ai jamais entendu parler de papillon mort après mon passage".
Puis on a aspergé La Réunion de puissants insecticides entre 2 et 5 heures du matin. "C’est sans danger", a-t-on affirmé, "mais rentrez chez vous, calfeutrez-vous, mettez vos provisions à l’abri ainsi que vos animaux et, 15 jours durant, évitez de mangez les fruits et légumes de votre jardin". Sans danger en effet ! Et totalement inutile puisqu’un rapport de l’OMS a démontré la vanité de ces aspersions massives et systématiques : elles doivent, pour être efficaces, avoir lieu lorsque le moustique ciblé, aèdes albopictus, est en train de chasser. Or la femelle aèdes albopictus part en quête d’un repas de sang, au lever du soleil et à la tombée du jour. Le reste du temps, elle se cache. Malgré cette affirmation scientifique, on a continué à asperger La Réunion d’insecticides entre 2 et 5 heures du matin en sachant pertinemment que cela tuerait abeilles, guêpes, insectes pollinisateurs, lézards, endormis et même certains oiseaux, mais pas un seul moustique.
Après maintes campagnes de presse (“Jir”, “Témoignages”, K.O.I., Radio Réunion, Antenne Réunion et Télé Réunion), le Fénitrothion a enfin été abandonné et remplacé, comme cela était demandé, y compris par des maires, par un bio-insecticide : le Bti (Bacillus thuringiensis israelensis).
Tirant les conséquences des multiples déclarations des autorités : "Nous devons mener une guerre totale contre le moustique", nombre de responsables souhaitent que tous les habitants de La Réunion soient impliqués dans cette lutte. Ils demandent donc que des sachets de Bti soient mis à la disposition des habitants de façon à ce que ceux-ci exercent leur vigilance et puissent démoustiquer le moindre réservoir d’eau pouvant constituer un gîte rêvée pour la ponte des œufs de moustique.
La santé des Réunionnais, la protection des plus fragiles, la relance de leur économie touristique, seront-t-elles mises en balance avec le coût du Bti dont il a par ailleurs été démontré qu’il pouvait être cultivé sur place et créer de nouveaux emplois ?
Des vies contre l’économie de quelques euros ?

Jean Saint-Marc


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