Au Sénat : réunion d’information sur le chikungunya

Comment surmonter ’la plus grave crise des 60 dernières années’ ?

2 mars 2006

Une réunion d’information sur le chikungunya s’est tenue hier au Sénat à l’initiative du président de la commission des affaires sociales, le sénateur UMP Nicolas About, pour répondre aux interpellations des deux sénatrices de La Réunion, Anne-Marie Payet (UC-UDF) et Gélita Hoarau (Communistes républicains et citoyens), respectivement secrétaire et membre de la commission du Sénat pour les Affaires sociales. Quatre chercheurs de divers horizons scientifiques ont répondu aux questions posées par les sénateurs.

Suite aux nombreuses interventions de Gélita Hoarau en séances publiques, notamment depuis octobre 2005 et à ses questions au gouvernement les 20 janvier et 16 février derniers, la Commission des affaires sociales du Sénat a été saisie de l’importance de cette grave question de santé publique, qui affecte La Réunion depuis un an.
Le président de la commission, Nicolas About, a d’ailleurs clôturé la réunion d’information en laissant planer une forte probabilité quant à la venue dans l’île d’une mission de contrôle de sa commission, chargée d’évaluer la politique impulsée par le gouvernement.
Quatre scientifiques avaient été invités à répondre aux questions soulevées dans le débat : le professeur François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière ; Paul Reiter, entomologiste à l’Institut Pasteur de Paris ; Michel Van der Rest, directeur de département scientifique au CNRS et Hervé Zeller, du Centre national de références des arboviroses à l’Institut Pasteur de Lyon.
Le président de la commission a laissé le soin aux sénatrices de La Réunion d’ouvrir les débats par un exposé chacune.
Anne-Marie Payet a fait un tableau de l’épidémie à ce jour, alors qu’une 78ème victime recensée venait de décéder, une femme de 40 ans enceinte de 5 mois. Elle a donné toutes les informations et les chiffres connus, rappelé les étapes de la progression d’une épidémie dont le taux d’attaque, estimé à 9‰ entre mars 2005 et janvier 2006, ferait à ce jour près de 200.000 victimes selon la Confédération des médecins français, avec une recrudescence de la maladie à partir d’octobre et son explosion en janvier 2006, date à laquelle les autorités ont commencé à analyser les actes de décès dressés par les médecins.
Les premiers cas de méningo-encéphalites (26 septembre 2005), aujourd’hui au nombre de 12, ainsi que 34 cas recensés de transmission materno-fœtale depuis septembre et surtout le premier décès d’un enfant, en février, bientôt suivi de deux autres, ont fait monter l’angoisse dans la population. Elle commençait à aborder les conséquences de l’épidémie sur l’économie - largement évoquées ces derniers jours, pendant les visites ministérielles - lorsque le président de la commission a passé la parole à Gélita Hoarau. Celle-ci a centré son intervention sur la dimension de "catastrophe sanitaire", une catastrophe qui aurait pu être atténuée "si l’on avait pris les mesures qu’il fallait au moment opportun", a-t-elle estimé, en pointant le fait que ni la DRASS ni les représentants de l’État n’ont pris à temps "la mesure de la gravité de la situation". Leur “pari” sur une extinction de la maladie pendant l’hiver austral s’est avéré être le plus sûr allié de sa propagation.

"Une nouvelle étape"

"Est-ce l’état des connaissances, ou une erreur manifeste d’appréciation qui est à l’origine de la sous-estimation par la DRASS ?", a demandé Gélita Hoarau, en rappelant quelques-uns des éléments, pointés par sa collègue juste avant, qui font de cette épidémie "la plus grave crise que La Réunion ait connue depuis plus de 60 ans", a-t-elle dit : crise économique, sociale, écologique... "Crise de confiance", a-t-elle ajouté, en soulignant l’importance de témoigner de façon urgente à la population réunionnaise "la solidarité de la Nation". Elle a estimé à cette égard "très significative..." la série de mesures prises. Signalant qu’elles inauguraient "une nouvelle étape ouverte dans la lutte contre l’épidémie", elle a indiqué que la confiance ne pourrait être rétablie que si "la vérité et la transparence" d’une part, "la solidarité de la Nation" d’autre part, venaient réconforter "une population gagnée par le désespoir".
Pour ne pas manquer le rendez-vous du 19 mars - 60ème anniversaire de la loi de 1946 - il paraît essentiel de tirer toutes les leçons de la crise : sur la faiblesse, voire l’inexistence de notre veille sanitaire et sur l’urgente nécessité de créer un centre régional de recherche sur les arboviroses qui, a-t-elle dit en évoquant Madagascar, "serait utile aussi pour nos voisins". Pour l’avenir, l’éventualité de cultiver à La Réunion le Bti (Bacillus thuringiensis israelensis), un larvicide d’origine microbienne, est une piste sérieuse pour un développement durable ; de même que la culture du Neem, sorte de lilas aux qualités répulsives naturelles, bien connu en Inde et en Afrique. La sénatrice communiste a conclu son intervention sur cette perspective de développement durable et écologique, comme moyen de rendre les Réunionnais acteurs de leur prévention sanitaire et d’un contrôle à long terme.
Le débat s’est poursuivi avec des questions de sénateurs et les réponses des scientifiques invités (voir encadré), avant de céder la place à l’ordre du jour prioritaire et le projet de loi pour l’égalité des chances.

P. David


Du côté des chercheurs

"La recherche sur les arboviroses est sous-estimée"

De l’intervention des scientifiques invités par la commission du Sénat, il est ressorti quelques idées fortes qui permettront peut-être de réparer les erreurs d’appréciation faites sur cette épidémie.
Le professeur François Bricaire, le premier, a exprimé que "cette épidémie est l’expression d’un phénomène général auquel il faudra s’habituer : la présence d’éléments infectieux susceptibles de causer des épidémies. Le tournant a été pris avec le SRAS", a-t-il dit, pour “dater” la prise de conscience d’un nouveau danger. Son collègue du CNRS, Michel Van der Rest, devait intervenir un peu plus tard dans le débat pour remplacer l’invitation à “s’habituer” par la nécessité "d’apprendre à anticiper".
"Il faut dire la vérité sans créer la panique", a aussi dit le professeur Bricaire. Bel idéal, sans doute. Mais dans la pratique, l’attitude des responsables de la DRASS-Réunion montre qu’ils ont surtout pensé à ne pas “créer la panique”... La vérité dût-elle en souffrir.
Hervé Zeller, du Centre national de référence des arboviroses à l’Institut Pasteur de Lyon a mis l’accent sur la faiblesse des moyens dont dispose la recherche sur les arboviroses en général. "En France, ces moyens sont sous-estimés par rapport aux risques généraux", a-t-il dit en faisant référence aux conditions nouvelles créées par la mondialisation des échanges et le réchauffement climatique. Sur une cinquantaine d’arboviroses connues - dengues en tête -, la recherche de vaccins contre la dengue marque le pas, a-t-il observé en signalant des recherches faites en Australie pendant quatre ou cinq ans sur un virus cousin, le Ross River Virus (RRV), interrompues depuis. Le tableau général est celui d’une très grosse lacune dans la recherche sur les arboviroses et d’une discipline scientifique sinistrée, l’entomologie (étude des insectes).
L’entomogoliste anglais du Pan American Health Organization, Paul Reiter, en poste à l’Institut Pasteur à Paris, ironisa quant à lui sur des entomologistes vus comme une "espèce de chercheurs en voie de disparition". Après avoir étudié de nombreux cas d’épidémie de dengues en Amérique Latine, ce chercheur a confié que l’épidémie de La Réunion ne l’avait pas spécialement "surpris" par son développement. Il a utilisé l’image de l’iceberg pour faire comprendre que "plus l’épidémie est grande, plus le spectre des manifestations sérieuses est étendue". La surprise, selon lui, est venue de la “performance” de l’Aedes albopictus de La Réunion : ce moustique, réputé plus “rural” que l’Aedes aegypti, s’est montré ici redoutablement efficace dans la transmission de la maladie aux hommes, dont il est supposé être plus éloigné que son comparse.

P. D.


Suite aux démarches d’Huguette Bello

Création d’une mission d’information parlementaire sur le chikungunya à l’Assemblée nationale

Le secrétariat parlementaire de la députée de la seconde circonscription a publié hier le communiqué suivant :
"Suite aux multiples démarches d’Huguette Bello, particulièrement auprès du président de l’Assemblée nationale, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a créé ce mercredi une mission d’information parlementaire sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion et à Mayotte. Ses membres ont également été désignés.
De façon exceptionnelle, cette mission comprendra douze membres. Selon les règles en usage, une mission d’information parlementaire comprend en effet 11 membres au maximum, ainsi répartis sous l’actuelle Législature : 6 UMP, 3 PS, 1 UDF et 1 PCF.
Mais la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé, à l’unanimité, d’ajouter un siège supplémentaire pour Huguette Bello, députée non inscrite, reconnaissant ainsi le rôle joué par la députée de La Réunion pour la prise de conscience de cette épidémie.

Du fait de la composition de cette Mission, la présidence sera automatiquement confiée à un élu de l’UMP.
La constitution de cette Mission d’information parlementaire est une première étape vers la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire dont la création a été demandée par Huguette Bello dès le début du mois de janvier, démarche soutenue par Christophe Payet - député-maire (PS) de la Petite-Île et René-Paul Victoria - député-maire (UMP) de Saint-Denis.
Il s’agit en fait de suivre, pour l’épidémie de chikungunya qui sévit actuellement à La Réunion, une démarche identique à celle qui a été adoptée par la représentation nationale, il y a deux ans, pour comprendre la catastrophe sanitaire due à la canicule de 2003. La création d’une mission d’information avait alors été suivie, quelques mois plus tard, de la mise en place d’une Commission d’enquête ; une telle commission dispose en effet de moyens et de pouvoirs d’investigation plus étendus".


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