Tribune libre

D’une injonction d’injections

11 août 2021, par Maurice Caro

« L’amour arrache les masques sans lesquels nous craignons de ne pouvoir vivre et derrière lesquels nous savons que nous sommes incapables de le faire. » James Baldwin, La prochaine fois, le feu.

Photo Phovoir

Aujourd’hui je ne n’ai pas le droit de sortir à visage découvert, de sortir à plus de 10 km de chez moi (en semaine), de sortir à plus de 5 km de chez moi (les samedi et dimanche), de sortir après 18h, de sortir avant 5h, d’aller au restaurant, d’aller dans un bar, d’aller au cinéma, d’aller au théâtre, d’aller dans une salle de concert, d’aller au musée, d’aller dans une boîte-de-nuit, d’aller dans un hôpital, d’aller à une veillée mortuaire, de participer à un séminaire, de participer à un pique-nique, de participer à un rassemblement, d’organiser une fête (ni pour un mariage, ni pour un baptême, ni pour un anniversaire, ni pour une quelque raison que ce soit), d’être avec plus de cinq personnes (ni dans la rue, ni dans un parc, ni en montagne, ni à la plage), d’être libre. Mais d’être ?

Parce que je ne peux pas prendre un proche dans les bras, embrasser un ami, respirer sans contrainte, aller où je souhaite, sortir quand je le souhaite, manger à la table d’un restaurant (ou en terrasse, ou boire un café ou un verre), voir un film, voir une pièce de théâtre, voir des œuvres dans un musée, danser dans une boîte-de-nuit, visiter un proche à l’hôpital, me recueillir lors d’un décès, penser en communauté, me rassembler dans la nature en famille (ou entre amis), recevoir des invités sans compter, discuter avec plus de cinq personnes réunies ensemble (dans la rue, dans un parc, en montagne ou à la plage), être libre. Mais être ?

En revanche, je peux toujours acheter (dans un centre commercial, dans une boutique, dans un magasin, dans une pharmacie, chez un concessionnaire, etc.), consulter un médecin, assister à une cérémonie, prier. Et puis je dois : voter. Et surtout : me faire vacciner (bien que ce ne soit pas une obligation). Parce que je suis responsable, oui, je suis responsable de tout : des restrictions, des contraintes, de la circulation, des encombrements, des morts. Oui, les morts, c’est moi. Non, ce n’est pas la gestion. Le Président me l’a dit et répété : tout ça, c’est de ma faute ! Parce que je suis un « hésitant », je suis responsable !

Mais je n’ai pas à me plaindre, puisque je suis toujours libre d’avoir tout ce que je veux, puisque je peux acheter où je le souhaite : tous les commerces sont ouverts ! Comme tous les lieux de culte (d’ailleurs, je n’ai pas à être vacciné pour m’y rendre ?). Liberté de consommer, liberté de prier, mais pas liberté de se cultiver ? Et les théâtres ? Et les musées ? Et les salles de concert ? Pourquoi m’en interdire l’accès ? Ainsi, en matière de liberté publique, il a semblé plus raisonnable de faire, pour paraphraser Louis Rolland et Pierre Lampué dans leur Précis de législation coloniale (1931), « un régime spécial au citoyen non vacciné ». N’est-ce pas l’application d’une distinction discriminante qui ne tient pas compte de ma liberté de refuser de me faire vacciner, puisque rien (aucun texte de loi) ne m’oblige à le faire ? La vaccination est-elle obligatoire ? Non. Ai-je donc le droit de la refuser ? Oui. Ce choix peut-il être réprimandé ? D’un point de vue juridique : non. D’un point de vue moral… C’est le nœud du problème : ne pouvant pas me contraindre légalement, vous vous efforcez de travailler l’opinion pour que ce soit elle – et non plus vous – qui me contraigne : les ouvreurs de théâtre, les cafetiers et les restaurateurs, les vigiles des établissements culturels ont aujourd’hui tous le droit de me refuser l’accès à leur temple si je ne présente pas patte blanche… Tous sont désormais habilités à me faire savoir que je suis le loup qui veut entrer dans la bergerie. Mes concitoyens peuvent ainsi, légalement, me stigmatiser. Ce qui consiste à nous séparer, à nous diviser, en nous forçant à nous distinguer : « je ne suis pas vacciné, tu l’es ? / je suis vacciné, tu ne l’es pas ! ». Comprenez que ce n’est pas tant le vaccin que je refuse, mais la méthode appliquée pour me contraindre à son injection.

Je ne sais pas si j’ai raison d’écrire cela, de le clamer. Mais entendez ce cri qui résonne comme une nécessité, celle de ne se laisser ni bâillonner, ni museler. Celle de pouvoir continuer à être, librement, et d’aimer, sans aucune sorte de distinction.

Maurice Caro

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