Point sur 1 an de recherche sur le chikungunya

De réponses en nouvelles questions : la recherche avance

21 mars 2007

Après un passage de 3 jours à Mayotte pour faire le bilan avec tous les acteurs de la lutte sur l’évolution de l’épidémie, les membres de la Cellule nationale de coordination des recherches sur le chikungunya et la dengue ont profité d’une rencontre avec leurs homologues de la Cellule régionale à La Réunion, et avant leur retour vers la Métropole, pour convier la presse à un point d’étape sur l’évolution des recherches. On sait désormais que les essais sur la chloroquinine ne sont pas concluants et que nos amis les animaux ont également été contaminés par le virus. La recherche avance, et l’installation prochaine de la Cellule de Veille et de Recherche Océan Indien (CVROI) ne pourra que conforter cette dynamique.

Prescrite par certains médecins sans assurance scientifique de son efficacité et sachant qu’il faut au moins 10 ans pour développer un médicament, les chercheurs se sont très vite concentrés sur la chloroquinine. Parallèlement, le criblage de 150 molécules mises sur le marché, et qui pourraient avoir une efficacité antivirale, est en cours.

Le chapitre chloroquinine est fermé provisoirement

Utilisée pour d’autres pathologies virales et déjà testée en laboratoire sur cellules, il fallait passer au stade des essais thérapeutiques pour évaluer l’éventuelle efficacité de la molécule chloroquinine dans le traitement du chikungunya. Montés rapidement à Marseille, ces essais thérapeutiques engagés fin août 2006 sur 75 patients n’ont pas donné les résultats espérés. « Pas d’efficacité redoutable, mais pas de risque », souligne le professeur Antoine Flahault, responsable de la Cellule nationale de coordination des recherches sur le chikungunya et la dengue. Les chercheurs auraient, eux aussi, voulu y croire. Sollicités par le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, ils ont alors proposé une autre frange de tests, mais cette fois sur le macaque de Maurice dont les réactions au virus sont très proches de celles de l’Homme. En préventif, comme en curatif, les tests engagés sur 12 macaques se sont encore révélés négatifs. Chloroquinine ou placebo, l’animal développe une réaction virale de même nature. 12 macaques ! Faisant fi de la question éthique, certains diront que c’est peu pour conclure que l’extrapolation à l’Homme est rapide, mais pour le professeur Flahault, « on ne peut pas investir beaucoup d’argent sur une hypothèse ténue ».
Hors salaire, le programme “Primate Chik” (il fallait bien lui donner un nom) a coûté 300.000 euros au Ministère de la Santé, pour une réponse limitée. Le chapitre chloroquinine est fermé provisoirement pour se tourner alors vers d’autres molécules, vers l’immunothérapie, la biothérapie (1). « Aujourd’hui, on a envie d’avancer », soutient le professeur Flahault. Et le Docteur Bernard-Alex Gauzère, chef du service de réanimation du CHD, de conclure : « On ne recommande pas l’usage de la chloroquinine dans le traitement du chikungunya, ni même de la dengue. Il faut rappeler que c’est un produit toxique qui fait l’objet de prescription précise. Après, si des médecins continuent à le délivrer à leurs patients... ».

Les animaux aussi contaminés

La littérature ayant déjà fait état d’une sérologie positive au chikungunya chez certains animaux sauvages en Afrique du Sud, l’INRA s’est quant à lui intéressé à chercher d’éventuels anticorps sur 19 espèces de La Réunion et de Mayotte. Veau, vache, cochon, chien, chat, caprin, ovin, équidé, rongeur, chauve-souris, serpent, lémurien brun, margouillat... 1.500 animaux au total ont été passés au crible entre mai et juillet 2006.
Sans rentrer dans le détail par espèce, Gilles Aumont, chercheur à l’INRA, a confirmé la contamination animale, précisant, à titre indicatif, que sur 50 lémuriens bruns étudiés à Mayotte, 25% avaient développé des anticorps. Mais ce n’est que la première étape de ce protocole de recherche animale qui en compte 3. « Nous recherchons des financements pour voir s’il y a réplication virale, si le virus se multiplie dans les cellules de l’animal », explique encore le professeur Aumont, qui parle d’une poursuite des investigations en 2007 sur la prévalence par espèce et la répartition de la contamination animale sur l’île, à savoir si elle est en concordance avec la contamination humaine.
La dernière étape du protocole concerne la mutation virale. D’ici là, le professeur Aumont ne cache pas son enthousiasme à poursuivre le travail « qui va être très intéressant » sur les chauves-souris, très permissives au virus. Pour les chercheurs, attester scientifiquement de la contamination animale ne signifie pas que les animaux sont des réservoirs hébergeant le moustique. Si cela devait se vérifier, il faudrait alors s’interroger sur l’éventualité d’une chronicisation du virus par la voie animale. Axe de recherche précoce.

« On en a rêvé, ils l’ont fait »

On n’a pas fait le tour de la recherche, ni sur le chikungunya, ni sur toutes les malades virales qui menacent de résurgence, à La Réunion comme dans le monde. L’épidémie de chikungunya a été une piqûre de rappel pour la France, confrontée alors à un déficit de recherche, de traitement face aux arboviroses, comme une absence de service de prophylaxie à La Réunion.
Nombre de chercheurs prédisaient le type d’explosion épidémique qu’a connu La Réunion, particulièrement sensationnelle, car dans un pays développé. Mais le chikungunya a ceci de positif que la région Océan Indien va se doter d’un outil unique qui couple la veille et la recherche : le CVROI. « On en a rêvé, ils l’ont fait », déclare avec beaucoup de sérieux le professeur Flahault. Son Directeur, ancien responsable de l’Institut Pasteur et immunologue de formation, Koussay Tellagi, arrivera à La Réunion d’ici 1 mois pour organiser, animer et développer la recherche et la veille sur les maladies infectieuses, émergentes, humaines et animales. L’occasion rare de fédérer un large panel de disciplines scientifiques et d’encrer la recherche de pointe à La Réunion. L’installation prochaine du CVROI ne signifie pas qu’il faut relâcher nos efforts. Ils doivent au contraire s’inscrire dans la durée, pour les citoyens, mais aussi l’Etat.

Stéphanie Longeras

(1) La fabrication d’un lot clinique d’immunoglobulines, à partir de plasma récolté à La Réunion par l’Etablissement Français du Sang sur des patients déjà contaminés, est en cours en Métropole (voir édition “Témoignages” du 29 janvier 2007), tout comme celle d’anticorps à partir de lymphocytes prélevés sur des donneurs et qui seront clonés pour parvenir à neutraliser le virus dans le sang. Là encore, les tests se feront en premier lieu sur des macaques.


Pourquoi cette absence de résurgence épidémique en 2007 ?

« Pas de réponse, mais 3 hypothèses »

« Beaucoup d’experts, dont je fais partie, avaient prédit l’émergence d’une nouvelle poussée épidémique pour décembre 2006, janvier et février 2007, mais elle ne s’est pas produite. Pourquoi ? », interroge le professeur Antoine Flahault, responsable de la Cellule nationale de coordination des recherches sur le chikungunya et la dengue.

A contre-courant des théories connues

Au sein de la population réunionnaise comme de la communauté scientifique, cette question interpelle. Cette absence de résurgence remet en cause les théories connues basées sur les pathologies du moustique, les modèles mathématiques jusque-là en place. Les territoires de La Réunion comme de Mayotte (où les chiffres sont encore à consolider) sont restés à 38% de séroprévalence, alors qu’à la Grande Comore, ou encore au Kenya, le taux de contamination a concerné entre 65 et 75% de la population. « On n’a pas de réponse, mais 3 hypothèses qui ne sont pas exclusives peuvent être additionnées », explique le professeur Flahault. Il est en premier lieu envisageable que l’épidémie n’ayant pas touché tout le territoire de façon homogène, dans certaines régions, le taux de séroprévalence puisse être de 70 à 80%. Ces régions, sans pour autant être totalement assainies, auraient alors constitué une barrière à la réémergence.
La deuxième hypothèse concerne la mobilisation sociale qui « peut avoir aidé à une rupture dans la chaîne de transmission ». L’évaluation de l’opération “Kass Moustik” (2 jours avant puis 2,15 et 30 jours après) engagée sur 7 sites pilotes a révélé « une efficacité très forte », selon le professeur Flahault. Une efficacité qui varie selon les endroits, mais surtout qui n’est pas prolongée. L’indice entomologique de risque remonte par la suite. D’où la nécessité absolue, rappelée encore hier par l’ensemble des membres de la Cellule, de maintenir la diffusion des messages de prévention et la prise en charges des malades. Enfin, la lutte anti-vectorielle engagée sur le terrain était aussi à souligner comme probablement à l’origine de la non réémergence épidémique.
Si La Réunion se présente comme un modèle original, cela ne signifie en rien que le chikungunya est de l’histoire ancienne ou que notre île est à l’abri d’autres épidémies. Loin s’en faut. Une nouvelle émergence épidémique peut intervenir dès l’année prochaine ou dans 5 ans, avec le chikungunya, la dengue ou d’autres arboviroses qui périclitent dans notre environnement immédiat.

SL


An plis ke sa

La transmission verticale existe bien
Le virus peut-il se retrouver dans les larves ? Peut-il y avoir transmission du virus de la femelle moustique à sa larve ? Telle fut l’une des questions qui a agité la recherche l’année dernière. De la probabilité en passant par l’affirmation puis le démenti, l’on sait aujourd’hui, grâce à l’Institut Pasteur de Paris, que la transmission verticale est possible. Le mécanisme existe, mais à un niveau extrêmement faible : 2 lots sur 500 infectés en laboratoire. Et le professeur Flahault de préciser qu’« il y a une différence entre l’expérimentation qui se passe dans les meilleures conditions et la vraie vie. Il semblerait que la transmission verticale n’ait pas d’incidence épidémique forte ».

Et toujours cette question : À quand un vaccin ?
« Nous sommes obligés de reconfigurer la voilure », constate le professeur Flahault, usant d’une expression dans le vent, presque “maudienne”. À défaut de nouvelle émergence épidémique, il n’est pas possible de faire d’essai vaccinal à La Réunion, d’autant que les études de requalification de la souche nord-américaine (injectée en 1980 à 200 G.I) sont encore en cours et s’avèrent plus longues que prévu. La batterie de tests engagés n’est pour l’heure pas satisfaisante. « Il faut un lot requalifié, qu’aucun indicateur ne vire au rouge, ni même à l’orange, pour être acceptable pour l’humain et bénéficier d’un enregistrement européen. Le contraire ne serait pas imaginable », témoigne le professeur Flahault. Cette souche, si elle permet à la recherche de gagner 5 ans, n’a jamais été étudiée dans le temps sur des patients administrés. Il faudra donc, en amont, mener des investigations de tolérance, d’efficacité sur le modèle animal (au mieux septembre 2007), avant de passer aux essais sur l’Homme (début 2008), à partir de volontaires sains pris en charge en milieu sécurisé à l’hôpital Coccin. Maintenant que les déclarations hâtives du Ministre de la Santé, annonçant un vaccin pour fin 2006, ont impatienté les esprits, les chercheurs ont bien du mal à défendre ce qui, pourtant, est une évidence : la recherche a besoin de temps (et d’argent aussi). À quand donc ce fameux vaccin ? Pressé d’apporter une réponse, le professeur Flahault concèdera, avec une hésitation légitime : « dans 4 ans. Je le souhaite ».

Fibroblaste : découverte de la cellule cible du virus
Philippe Gasque, chercheur au sein du Laboratoire de Biochimie et de Génétique moléculaire de l’Université, membre du CVROI, a fait état hier d’une avancée importante dans ses travaux. Travaillant sur la physio-pathologie du virus et l’apparition des cas de méningites, d’arthrites, d’attaque des tissus conjonctifs, d’implications cardiaques, il est parvenu à caractériser la cellule cible du virus : la fibroblaste, un peu le bois qui tient l’arbre, la cellule que l’on retrouve à tous les niveaux de notre corps. Si les formes graves trouvent en partie leur explication, reste encore à savoir si le virus a muté, s’il s’est répliqué et pourquoi on en retrouve autant dans le sang (100.000 par litre de sang contre 1.000 pour le SIDA). Des recherches passionnantes qui permettront de mesurer les conséquences de l’attaque de cette cellule, les limites de l’immunité chez certains cas, de mieux comprendre les cas cliniques et la recherche fondamentale.


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Messages

  • j’ai souffert du chik du 15 décembre 2005 (je répète 2005) à fin août voire mi-septembre 2006 ;
    sérologie positive chik, institut pasteur de lyon, février 2006 ;
     
    le 15 février 2007, nouvelle atteinte du chik, plus douloureuse et plus invalidante que la première ;
    sérologie positive chik, "infection aigüe ou récente", institut pasteur de lyon, 5 mars 2007 ;
     
    il y a des symptômes communs, d’autres absents ou différents d’une fois à l’autre ;
     
    je n’arrive pas à croire à "une rechûte" ;
     
    quelqu’un peut-il m’expliquer ? [email protected], avec 4 P !

  • Suite au message relatif à un an de recherche et à d’autres messages lus, je suis peiné que notre métropole française où j’habite en Bourgogne,prenne aussi à la légère les recherches pour le soulagement des douleurs et dangers du " chik" ;les gens de L’Ile de la Réunion sont des français à part entière de quelques dénominations que l’on les désigne et surtout des êtres humains qui ne doivent pas souffrir pour des questions de rentabilité des vaccins !
    D’ailleurs avec l’effet de serre qui réchauffe la France métropolitaine, le "chik " en question risque de se développer sur le territoire Français,je souhaite donc que tous nos chercheurs soulagent d’abord le peuple Réunionnais et on se souviendra alors du dicton qui fait aux Autres ce que tu voudrais que l’on te fit !
    Avec ma sympathie et mon Amitié positive pour les Réunionnais de toutes etnies, les chercheurs et les autres ! Merci !
    jacquot21


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