Pour notre bien à tous

Si fumer engendre des maladies pulmonaires, aucune étude ne démontre que les volutes détériorent le sens des valeurs, du respect. Un fumeur est aussi un citoyen civilisé qui en outre, à chaque paquet de cigarettes, contribue au financement de la Sécurité sociale en palliant les exonérations de charges patronales. Voilà un argument beaucoup plus persuasif pour arrêter de fumer qu’une loi répressive qui, en plus de porter atteinte à la liberté individuelle sous couvert de préserver l’intérêt général, d’occulter le facteur dépendance à la cigarette, prétend, avec ce paternalisme typiquement français, légiférer pour le bien de l’Homme, pour la santé publique. Là encore, un secteur ou il reste tant à faire en terme de prévention.
Un autre argument, totalement démagogique cette fois, cette loi devrait favoriser le sevrage des fumeurs. Et si l’interdiction ne suffit pas, le passage à la caisse aidera certainement les esprits revêches à se mettre du plomb dans la tête et au passage, quelques billets dans la bourse d’Etat. Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé a été claire : la verbalisation se fera « avec rigueur » mais « dans un esprit de dialogue et de concertation. » (?) « Voilà votre contravention, vous avez quelque chose à dire pour votre défense ? »... Typiquement Sarkozien : on tranche et on discute après !

Le fumeur transmet le cancer, pas la cigarette

Et puis, on l’a bien vu, les successives augmentations du prix de paquet de cigarettes ne sont pas parvenues, ou dans une infime mesure, à déposséder les accrocs du tabac. L’addiction est une maladie. Le manque est physiologique en plus d’être psychologique. Loin de chercher à faire l’apologie du tabac, il est un palliatif au stress pour certains, un moment de détente pour les fumeurs résonnés et tous ne souhaitent pas arrêter de fumer. Il est aussi, on ne peut l’occulter, une source de gêne pour les non-fumeurs. Mais sommes-nous devenus à ce point individualistes, repliés sur nous-mêmes, que nous serions devenus incapables d’engager le dialogue entre nous ? N’aurait-on jamais rencontré un fumeur qui demande à son voisin si la fumée l’importune avant d’allumer sa cigarette ? Ce dernier refuserait-il de l’éteindre si un autre le lui demande, si tant est qu’il ose ?
On diabolise le fumeur et “victimise” le non-fumeur. Comme toujours, on “clanise” : les bons/les méchants, les riches/les pauvres, les Blancs/les Noirs... Le consommateur de cigarettes légales (rappelons-le) est stigmatisé comme une faible personne dénuée de volonté, un dépendant inconscient qui consume son espérance de vie à petit feu et pollue impunément, sans scrupule et presque volontairement, ses congénères. Bientôt, ce ne sera plus la cigarette qui transmet le cancer mais le fumeur. Alors, il est légitime de vouloir le parquer dans de ces fumoirs grotesques aux vitres transparentes, de le mettre en cage comme un animal de foire à la vue de tous, de le bannir sur les trottoirs pour tirer sa clope : honte sur lui ! Quant au non fumeur, après avoir subi pendant des années le dictat des crapoteurs, va enfin pouvoir à son tour se distraire, prendre du plaisir, aller en boîte de nuit, au restaurant : la résurrection tant attendue !

Question de lobbying ?

Le règne de la division, de la répression, des interdictions à vau-l’eau, des lois à tout vent est bien là. Et pourquoi d’ailleurs ne verbalise-t-on pas les personnes qui laissent sonner leur téléphone dans les lieux publics ? C’est vrai, cela importune tout le monde au restaurant ces sonneries fracassantes qui entravent notre digestion, risquant d’entraîner à terme, si l’on n’y prend garde, une recrudescence des ulcères à l’estomac. C’est gênant ces gens qui parlent fort dans leur combiné sans se soucier de leur voisin, qui agressent nos oreilles et nous empêchent de poursuivre sereinement notre conversation. Ce serait exagéré ? Assurément et d’autant plus extrémiste qu’aujourd’hui, tout le monde possède un téléphone portable, à commencer par les plus jeunes qui ne sauraient s’en passer. D’ailleurs, pour en revenir ici aux préoccupations de santé publique, ou en est-on de ces études relatives au risque cancérogène induit par les ondes des émetteurs téléphoniques, par l’usage excessif de la petite boîte à parole ? Question de lobbying... mais certainement pas de santé publique ou d’intérêt général.
Au moins, pendant que les Français font vivre la démocratie en débattant sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics, ils ne se penchent pas sur d’autres questions de fonds comme la remise en cause de la gratuité des soins, le démantèlement du Code du travail, le pouvoir d’achat... sur la remise en cause de leurs acquis sociaux.

Stéphanie Longeras

Chronologie

9 juillet 1976. La loi Veil impose des informations et la mention « abus dangereux » sur les paquets de cigarettes, interdit la publicité directe ou détournée et le parrainage des compétitions sportives.

1986. La distribution de cigarettes aux militaires est supprimée.

10 janvier 1991. La loi Évin interdit la fumée dans les locaux à usage collectif et les transports, sauf en zone « fumeurs ».

26 juillet 2005. Une nouvelle loi impose notamment la mention « Fumer tue » ou « Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage » sur les paquets de cigarettes et de tabac.

15 novembre 2006. L’interdiction totale de fumer dans tous les lieux publics et dans l’entreprise est imposée par décret à compter du 1er février 2007.

1er janvier 2008. Interdiction de fumer dans les cafés, restaurants et discothèques.