’L’Humanité dimanche’ interroge Éric Fruteau

Épidémie de colère

23 mars 2006

Le 12 mars dernier, dans son premier numéro, notre confrère posait trois questions à Éric Fruteau sur les leçons à tirer de la catastrophe. Nous reproduisons ci-après cet interview parue dans le premier numéro de ce nouvel hebdomadaire d’information, ’l’HD’.

Les Réunionnais font face. Alors que le bilan humain s’alourdit, les répercussions économiques s’annoncent catastrophiques.
Des milliers de victimes, de nombreux décès : l’épidémie virale qui touche La Réunion n’est toujours pas maîtrisée. Quelles leçons tirer de la catastrophe ? Trois questions à Éric Fruteau, conseiller général (groupe Alliance) de Saint-André (Réunion).

HD : L’explosion épidémique du virus du chikungunya commencé il y a trois mois. Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des Réunionnais ?

- Éric Fruteau : Plus de 90 personnes mortes de ce virus, des milliers de malades : vous pensez bien que l’émoi est général. Mais ce que nous ressentons aujourd’hui est au-delà de la colère. Les Réunionnais font face. Nous sommes obligés de gérer une épidémie, nous la gérons comme nous pouvons, avec des moyens souvent réduits.

HD : La rapidité de réaction du gouvernement Villepin et les moyens déployés vous semblent-ils satisfaisants ?

- Évidemment, nous approuvons le renforcement ponctuel des services sanitaires et d’hygiène. Mais si nous prenons ce que l’on nous donne, nous ne sommes pas pour autant satisfaits. Non seulement les autorités étaient prévenues des risques bien avant que l’épidémie n’atteigne son niveau actuel, mais, sur le fond, nous payons au prix fort de la politique de réduction des services sanitaires de l’île. Au-delà de la réponse à l’urgence, il va falloir dans les mois qui viennent reconstituer un véritable service de prophylaxie, doté de moyens humains, matériels et financiers réels, équivalents à ceux déployés pour lutter contre le paludisme dans les années 1970. Comment remettre sur pied un véritable dispositif de lutte anti-vectorielle à La Réunion ? Il va falloir répondre à cette question très vite. En outre, nous n’avons pas fini de mesurer l’impact humain ni les répercussions économiques de cette épidémie. On constate que les gens peuvent rechuter après deux, trois, quatre mois. Sans parler des conséquences environnementales du traitement chimique - alors que nous demandions une action biologique, sur les larves de moustiques. Il va falloir rester très vigilant.

HD : Quelles nouvelles mesures doivent être prises ?

- De deux choses l’une. Il est nécessaire de revoir la situation particulière de La Réunion, celle d’une île qui comptabilise 30% de chômage (50% chez les jeunes). Cela appelle des mesures spécifiques. Une politique très forte d’emplois durables, que l’on pourrait créer dans les services publics - par exemple dans les services hospitaliers ou dans les services territoriaux - pourrait être une de ces mesures. Mais la crise met le doit sur un autre problème, celui des transferts de compétences de l’État vers le département. On a pris acte de l’impossibilité de ce transfert dans la situation de crise que nous connaissons. Mais celle-ci pose avec une triste acuité la question des moyens financiers du transfert à venir. Allons-nous assister à un transfert de compétences, sanitaires, par exemple, vers un service de trente personnes, ou vers un service de deux cents personnes, comme dans les années 1970 ? Autrement dit, de quels moyens l’État va-t-il doter le Département pour qu’il puisse assumer ses nouvelles compétences. Les Réunionnais attendent des réponses fortes à ce problème, ils y sont d’autant plus sensibilisés maintenant.

Entretien réalisé par Jérome-Alexandre Nielberg


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