Débat parlementaire sur le projet de loi

Huguette Bello : « Un plan injuste »

2 juillet 2004

Le Parlement a commencé l’examen du projet de loi relatif à l’assurance-maladie le 29 juin dernier. Hier, à la tribune de l’Assemblée nationale, Huguette Bello a une nouvelle fois demandé au gouvernement d’étendre la CMU complémentaire aux personnes qui en sont exclues pour des effets de seuils, c’est-à-dire surtout les personnes titulaires du minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé. Son intervention est publiée ci-après.

On le voit bien quand revient l’époque des vœux : la santé est le désir le mieux partagé. Il n’y a donc à s’étonner ni de l’attachement unanime et irréversible à l’universalité de l’assurance maladie, ni de l’augmentation quasi mécanique des dépenses de santé au fur et à mesure du vieillissement de la population et des progrès de la technique. Ces deux évidences, aucune réforme ne peut les contourner.
En 1945, une France affaiblie, exsangue, trouve en elle l’énergie et la générosité de jeter les bases d’un système exemplaire, un des meilleurs du monde. Pas d’autre objectif possible pour la France de 2004, infiniment plus riche et plus puissante, que de donner un nouveau contenu aux principes d’égalité, de solidarité et de qualité qui nous ont été légués par nos aînés, selon l’inspiration du Conseil national de la Résistance.
Que voyons-nous ? Un plan de plus, probablement éphémère, et dont l’efficacité est incertaine. Plus grave : un plan injuste. Au lieu de corriger les inégalités entre les individus comme entre les territoires, il les alourdit. Ainsi, au nom du prétendu nomadisme médical, on choisit de faire peser sur les assurés eux-mêmes le plus gros des économies à réaliser ? De quel nomadisme parle-t-on ?
Qui ignore, comme l’écrit le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, que "la grande majorité des assurés et des personnes protégées n’expose que des dépenses limitées" ? Qui ignore que plus de la moitié des dépenses de santé est imputable à 5% des assurés, c’est-à-dire à des malades qui souffrent d’affections de longue durée, et surtout à des personnes âgées ?
Cette contrefaçon de la réalité n’aura pas d’autre résultat que de faire accepter comme un destin l’installation d’une médecine à plusieurs vitesses. La nouvelle augmentation du forfait hospitalier et la franchise prévue pour chaque consultation, d’un euro aujourd’hui en France, mais déjà beaucoup plus lourde dans d’autres pays européens, pénaliseront évidemment les plus modestes, lesquels, en outre, supporteront un alourdissement de la CSG.
De la marche vers cette médecine à plusieurs vitesses, la formule du médecin référent est l’illustration la plus éclatante. Que n’a-t-on tenu compte des expériences déjà tentées. La Mission d’information de l’Assemblée nationale écrit qu’elle a été frappée "de constater le décalage existant entre le soutien unanime à cette modalité d’organisation de l’offre de soins et le peu de succès d’expérimentations lancées il y a parfois une quinzaine d’années".
Quant au dossier médical partagé, version informatisée et obligatoire du Carnet de santé, il ne sera pas accueilli avec plus d’enthousiasme que son prédécesseur. Il est sans doute utile de lutter contre la multiplication des actes médicaux, mais pas au prix d’un doute sur l’usage qui pourrait être fait de renseignements touchant à l’intime.
Les Français, certes, ont confiance dans leur médecin. Mais, dans le climat de contrôle de plus en plus insidieux où ils vivent, ils ne manqueront pas de s’interroger sur l’usage extra-médical qui pourrait être fait de ces données.
Si je suis sensible à ce dossier, c’est que, dans mon département, le système d’assurance-maladie a permis une amélioration rapide et considérable de la situation sanitaire, mais c’est aussi parce qu’à La Réunion, où le chômage est particulièrement important, les consultations coûtent 15% de plus qu’en métropole, et les médicaments 30,3%. Il en résulte un renchérissement du coût des mutuelles. Dans ces conditions, l’application des mesures proposées par votre texte risque de dissuader un peu plus les ménages modestes de se soigner.
Je souhaite demander à nouveau au gouvernement d’étendre une fois pour toutes la CMU complémentaire à ceux qui, pour des effets de seuil, s’en trouvent exclus pour quelques dizaines d’euros, c’est-à-dire surtout à La Réunion les titulaires du minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé. Au moment où les complémentaires-santé coûtent de plus en plus cher, il devient urgent, au-delà des relèvements ponctuels de plafonds, de prendre les mesures durables qui leur permettront de ne plus avoir à différer voire à renoncer aux soins.
L’expérience encore récente des campagnes de prévention menées à La Réunion m’incite à regretter que cet aspect décisif de la politique de santé, dont on sait l’importance et l’efficacité, soit absent de ce projet de loi. Dans un département où l’on constate, quelle que soit la tranche d’âge envisagée, une surmortalité, la prévention s’impose, et notamment la lutte contre l’alcoolisme ou encore les maladies cardio-vasculaires.
Cette réforme n’atteindra pas les objectifs qu’elle se donne. Elle fait peser l’essentiel de l’effort sur les patients et les assurés et, en plus, elle leur montre qu’on se méfie d’eux. Agiter le fantasme de la mort de la Sécu, brandir le spectre de la privatisation n’incite pas à une démarche sereine et réfléchie.
L’assurance maladie suppose une réflexion profonde sur les finalités de notre société et sur les moyens qu’elles exigent de mettre en œuvre. C’est avec les citoyens que ce travail doit être entrepris, ni contre eux, ni sans eux.


Douste-Blazy à nouveau sur la sellette

La CNAM emboîte le pas à Bercy

Le déficit de la Sécurité sociale devrait se prolonger au delà de l’échéance 2007. Et ce n’est plus seulement la note mystérieusement sortie du ministère des Finances qui le dit, c’est maintenant l’avis de la Caisse nationale d’assurance maladie...

La note “confidentielle” mystérieusement sortie de Bercy a été contestée par le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy. Il a tenté à l’Assemblée nationale, tant bien que mal - et plutôt mal que bien, d’ailleurs - de démonter l’affirmation. Ce sera peine perdue puisqu’à son tour, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) n’exclut pas un déficit important en 2007. Elle l’a même chiffré : au moins 23 milliards d’euros. L’information est contenue dans le rapport sur l’évolution des dépenses maladie en 2003, publié hier. L’organisme estime que l’équilibre ne peut être atteint qu’en infléchissant "la dérive tendancielle des dépenses de santé".
Le raisonnement est simple : le déficit augmente de 3 milliards d’euros chaque année, les mesures proposées ne sont pas suffisante pour enrayer ce qu’elle appelle la "dégradation structurelle" de ce déficit, ce qui fait que celui-ci devrait atteindre les... 23 milliards d’euros pour l’exercice 2007.
Cette "dégradation structurelle", c’est par exemple le vieillissement de la population. La prise en charge des personnes âgées malades est lourde. Or la population vieillit. Donc le coût de la prise en charge augmente. "Le retour à l’équilibre supposera d’infléchir durablement la tendance à la dégradation structurelle du déficit", écrit la CNAM. 
Comme on ne peut pas “agir” sur le vieillissement, tout du moins directement, il faut donc trouver d’autres stratégies pour infléchir cette "dégradation structurelle". L’idée avancée est celle de mener une "action structurelle sur la dépense". Donc sur ce que l’on nomme généralement le "périmètre des soins remboursés", en clair les médicaments et les actes médicaux...
La CNAM opte pour une "définition plus précise et mieux respectée" de ce qui doit être pris en charge par la Sécurité sociale. Elle suggère que les médicaments coûteux ne soient plus remboursés que "dans les indications les plus justifiées". Cela permettrait, selon elle, d’augmenter les probabilités de ramener le déficit à 5 milliards d’euros en 2007, mais la branche maladie, quant à elle, resterait toujours nettement déficitaire. Des prévisions de déficit moins importantes que celles données par le ministère du Budget (qui évoquait un déficit de 8 à 15 milliards d’euros en 2007).
Douste-Blazy a tenté de justifier la pertinence de son plan : il a mis en avant la chasse aux “arrêts de travail abusif”, l’instauration du “médecin traitant”, du dossier médical partagé et informatisé. Mais (même ?) devant les parlementaires qu’il avait réunis, histoire de leur expliquer, grâce à une somptueuse mallette “pédagogique”, les bienfaits de sa réforme. À charge, pour ces parlementaires, d’en assurer la transmission aux professionnels de santé, syndicats et accessoirement aux électeurs.
En revanche, il y a un point à noter : le ministre ne s’est pas étendu sur la hausse de la CSG pour les retraités. Pas plus qu’il n’a évoqué le prolongement de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Et pour cause.
Tout cela n’a pas empêché Jean-Pierre Raffarin, à l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, de qualifier cette réforme de "juste, raisonnable" qui garantit "l’avenir" de la Sécu.
Mais pas du tout celui des assurés, notamment des plus défavorisés.

D.B.


Pataquès gouvernemental

Nouvel épisode dans la cacophonie gouvernementale. Nicolas Sarkozy vient de “plomber” son collègue Philippe Douste-Blazy, avec cette fameuse note “confidentielle”, qui, a-t-il expliqué, n’était qu’un simple "document de travail destiné à nourrir la réflexion". Le ministre de l’Économie a, devant les parlementaires, défendu "le droit pour les politiques de ne pas être obligés de suivre les technocrates". C’est dire la confiance qui règne entre membres du gouvernement. Certains se demandent d’ailleurs si ce n’est pas Sarkozy lui-même qui a été l’auteur de la fuite. En privé, Douste-Blazy n’a pas exclu qu’une volonté politique, quelle qu’elle soit, ait provoqué la fuite de ce document explosif...
L’un de ses collaborateurs va même jusqu’à affirmer que Jacques Chirac lui-même aurait été "bluffé" par la manière dont la réforme a été conduite. Tout cela peut, peut-être s’éclairer par une hypothèse : Philippe Douste-Blazy ne cache pas ses ambitions pour Matignon.


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