Groupe de travail sur l’alcool

Implication d’un large front d’élus et de professionnels

29 octobre 2004

La commission régionale qui travaille sur le problème de l’alcool à La Réunion affiche sa détermination à mener de front la bataille contre l’alcool. Des premières mesures se dégagent, mais il faudra du temps et de la pugnacité pour terrasser l’ennemi.

Fermeté, courage et ténacité seront nécessaires pour arrêter le fléau qu’est l’alcool et le faire reculer. Le président de la Région Réunion se dit extrêmement satisfait de voir réuni autour d’une même table un large panel d’acteurs et de secteurs concernés par la problématique et qui affiche unanimement la volonté d’agir dans l’intérêt général.
"Ce problème central éclairé, il faut l’aborder franchement", soutient Paul Vergès. Assez des bavardages et des tergiversations, "nous devons aller jusqu’au bout des propositions de chacun. L’efficacité de la commission se mesurera à ses résultats." Collectivités, institutions, médecins, douanes, fabricants et distributeurs d’alcool... le groupe de travail mis en place voilà trois mois au sein du Conseil régional a pu confronter opinions et propositions.
Après la phase d’analyse, une batterie de mesures doit être proposée aux différents acteurs pour un front d’attaque uni, une cohérence d’action et une prise générale de responsabilités. Le constat n’est certes pas nouveau, mais les mesures disparates ont démontré leur inefficacité. Au même titre que le tabac ou encore l’illettrisme, l’alcool est un obstacle de base, une peste qui s’attaque au fondement de notre société, qu’il convient d’éradiquer pour la libérer de son emprise. "Nous ne pourrons pas développer notre pays, si nous ne nous attaquons pas à l’aspect le plus aggravant de l’évolution sociale actuelle", affirme encore Paul Vergès.

Contrôler la vente

Accidents de la route, violences familiales, troubles du comportement, psychoses alcooliques, actes de délinquances, surmortalité et surmorbidité très importantes... : les multiples ravages occasionnés par l’alcool affaiblissent dangereusement la cohésion sociale de tout un pays.
Si 41% de la population réunionnaise déclarent ne pas consommer d’alcool, 15% souffrent de comportements addictifs. Bien que minoritaire, cette frange de la population est surconsommatrice de boissons alcoolisées. Si toutes les stratifications sociales sont touchées, les dégâts engendrés par l’alcool affectent plus particulièrement les personnes en situation de précarité économique et sociale. Plus vulnérables, l’alcool s’apparente pour elles à une échappatoire qui n’est en fait qu’une dépendance avilissante qui déconnecte de la réalité.
Pour la jeunesse, c’est souvent un moyen de se désinhiber, de faire la fête, d’"être dans le coup" quand on a sa pile plate dans la poche, de s’identifier. "Nous avons beaucoup parlé des jeunes", souligne la présidente de la commission et médecin Catherine Gaud. Des mesures concrètes peuvent être mises en place comme le contrôle de la vente d’alcool aux mineurs dans les boites de nuit ou dans les camions-bars. Des revendeurs d’alcool pratiquent sans licence et injectent en toute impunité ce poison chez nos jeunes. Les forces de l’ordre et la justice doivent alors jouer leur rôle de contrôle et de répression.

Information et formation

La famille a également sa part de responsabilité. Pour l’aider dans son rôle d’éducateur, le Rectorat peut participer à un travail de prévention des risques en direction des plus jeunes. Une large information et médiatisation sont également préconisées.
Selon Nassimah Dindar, présidente du Conseil général, les travailleurs sociaux identifient l’alcoolisme comme une grande source de désespoir chez les familles. Avec le concours de la Région Réunion, elle parle de renforcer la formation des travailleurs sociaux, comme des médecins, car l’alcoolisme n’est pas une tare mais bien une maladie qui représente un coût économique considérable. Les protections maternelles et infantiles auront à se mobiliser autour de l’alcoolisme fœtal, une priorité. "À brève échéance, nous souhaitons créer une structure de post-cure pour assurer un suivi des malades quand ils retournent dans leur famille", soutient la présidente du Département. "On ne peut pas continuer à mettre en place des mesures éparpillées pour se donner bonne conscience. Il faut prendre ce problème de société à bras le corps pour que dans 10 ans, les actions insufflées conduisent à une diminution de la consommation d’alcool." Elle annonce d’ailleurs que l’alcoolisme fera partie des fiches action de plan départemental de cohésion sociale.

Estéfany


"Une victoire collective et anonyme"

"Compte tenu de la structure de la population, il faut faire entrer d’autres valeurs chez nos jeunes. La société n’a pas besoin de tabac ou d’alcool pour s’affirmer", soutient le président Paul Vergès. Pourquoi serait-on un ringard si l’on refuse un verre d’alcool ? Pourquoi excuser ses abus par "ça n’est rien, il a bu un verre de trop" ? Si Paul Vergès rappelle qu’il faut tenir compte de tout un poids du passé, le secteur culturel qui célèbre souvent l’alcool, à La Réunion comme dans d’autres pays, doit également concourir à changer toutes ces images parasites, à condamner cette tolérance. Il s’agit donc bien d’"une œuvre de salut public", dont "les résultats seront dus à vous tous", dit Paul Vergès en s’adressant aux membres de la commission, pour "une victoire collective et anonyme."


Les alcooliers s’impliquent

Pour s’attaquer franchement au problème, la participation des alcooliers au travail de la commission est indispensable et courageuse. Les producteurs et distributeurs locaux affirment leur volonté d’implication à toutes les actions définies. Ils souhaitent surtout attirer l’attention des consommateurs sur les méfaits de l’alcool, lutter contre les pratiques addictives qui conduisent à une consommation subie plutôt que choisie et qui desservent, selon eux, l’image de la profession.
La Fédération interprofessionnelle des alcools de canne aspire ainsi à la fabrication d’un alcool de qualité et précise que "la molécule d’éthanol est une et indivisible et qu’il n’y a pas d’alcool fort." Si leur bonne foi ne peut être remise en cause, l’on peut se demander si les intérêts économiques seront faire la place à l’intérêt général. Brasseries de Bourbon, Rhums Réunion, CMM-UDV et depuis peu la distillerie Chatel, Mascarin et Sorebra sont membres d’"Entreprise et Prévention". Cette association nationale souhaite, à travers des actions préventives, inciter consommateurs, distributeurs et publicitaires à adopter une attitude responsable face à l’alcool, dans le respect des lois.
Si pour les alcooliers, cette implication est gage de leur bonne foi, rappelons néanmoins qu’"Entreprise et Prévention" est favorable à l’assouplissement de la loi Evin qui réglemente la publicité sur l’alcool. Son directeur national, Alexis Capitant, en visite dans notre île cette année, avait justifié cette position, en faveur d’une "lecture commune et responsable de la loi, pour que la profession s’autodiscipline". Soit. Cependant lorsqu’il s’agit du secteur de la grande distribution, on parle alors d’un travail à mener sur le long terme et de l’espace d’une génération nécessaire pour constater des changements de pratiques.
Faut-il une génération pour démonter ces pharaoniques piles d’alcool d’Écosse qui sont en première vue lorsque l’on rentre dans une grande surface ? La consommation de cet alcool d’importation augmente dangereusement. Il fait régulièrement l’objet de promotion et de soirées promotionnelles dans les boites de nuit et les bars (avec gadgets à son effigie offerts). Bien plus que la mise en avant de ses qualités gustatives, il s’agit bien là d’un commerce fructueux et disons-le franchement, d’une incitation à la consommation.


Jouer sur la fiscalité

La fiscalité est un outil pour lutter contre l’alcool au même titre que l’augmentation du prix du tabac. Demander aux législateurs d’augmenter les taxes de l’État qui sont déjà à leur niveau maximum semble peu probable. Pour lutter contre la concurrence déloyale, l’ancien régime de l’octroi de mer fixait un indice d’écart de 50 entre les produits importés et les locaux. La Commission européenne a réduit cet écart à 30, réduisant par la même considérablement les capacités régionales. "Avec 28, nous sommes déjà presque au plafond différentiel", soutient Paul Vergès qui estime que "nous pouvons aller jusqu’à 50 tout en gardant un différentiel entre la production locale et l’export." Cependant, la consommation de la production locale diminue alors que celle de l’importation augmente. Il n’est donc pas sûr d’obtenir le résultat attendu en jouant sur la fiscalité de l’octroi de mer.


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